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Juan Gelman





 
Juan GELMAN
(Buenos Aires, 1930 — ). Contraint à l’exil en 1976, il séjourne en Europe puis s’établit au Mexique. Traducteur, journaliste, il a publié de nombreux recueils de poésie et plusieurs de ses textes ont été mis en musique, notamment par Juan Cedron.
 


Juan Gelman, poète, journaliste, militant, né à Buenos Aires en 1930 fut contraint de s'exiler en 1976, lors de la dictature militaire. Il n'est pas revenu vivre en Argentine et après plusieurs années en Europe s'est fixé à Mexico où il vit toujours.

Ses poèmes traduits dans nombre de langues ont été popularisés par Juan Cedron, qui en a mis plusieurs en musique.

La force et l'originalité des 27 livres de poèmes qu'il a publiés entre 1956 et 2002 lui ont valu de nombreux prix. Parmi les plus prestigieux citons le Prix national de Poésie (Argentine, 1997) et le Prix Juan Rulfo (de littérature latino-américaine et des Caraïbes, 2000) et le Prix Cervantès 2007, qui est le Nobel de la langue espagnole.

Il faut ajouter à cette oeuvre poétique un important travail de journalisme, des textes en prose, des livrets d'opéra.

Victime comme des milliers d'Argentins de la politique de répression et d'enlèvements de la junte militaire, il a fini par retrouver le cadavre de son fils, «disparu» à l'âge de 18 ans, puis la trace de sa belle-fille, elle aussi «disparue», ce qui lui a permis, au bout de 23 ans d'arriver jusqu'à sa petite-fille enlevée et élevée en Uruguay par la famille d'un policier.

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L’Argentine en deuil après le décès du poète Juan Gelman
REUTERS/Tomas Bravo/Files
Par RFI
Le monde de la poésie est en deuil ce 15 janvier après l'annonce de la disparition du poète argentin Juan Gelman, décédé à l'âge de 83 ans à Mexico. Poète, écrivain, journaliste, traducteur, Juan Gelman était également connu pour son militantisme politique. Très engagé contre la dictature, la vie de ce poète concentre à elle seule toutes les horreurs de la dictature argentine. Installé au Mexique depuis 1988, suite à un exil forcé, Juan Gelman a remporté entre autre le prix Cervantes en 2007, la récompense littéraire la plus importante en langue espagnole. Cette disparition fait la Une de toute la presse argentine, et plus généralement de la presse du continent.
 
« L'homme qui a écrit la révolution, la douleur et l'amour, est mort », titre le matin du 15 janvier le quotidien Clarin. Juan Gelman fut l’un des poètes les plus importants du pays. « Il était l’un des seuls capable de faire de la grande poésie avec des mots communs », écrit ce matin le quotidien de Buenos Aires.
 
Auteur de plusieurs dizaines de recueils de poésie entre 1959 et 2013, il a commencé sa carrière très tôt. En 1941, la revue Rojo y Negro publie son premier poème. Il est alors âgé de 9 ans.
 
Les bébés volés de la dictature
 
Très engagé politiquement, il était connu pour être un inlassable pourfendeur des dictatures d'Amérique Latine et plus particulièrement du régime militaire argentin de 1976. Son fils Marcelo, âgé de 20 ans, a été assassiné par ce régime. Sa belle fille, Maria Claudia Garcia, est enlevée en 1976 à Buenos Aires, alors qu'elle était enceinte. Emmenée en Uruguay dans le cadre du plan Condor, un programme de répression des opposants à l'échelle internationale, elle accouche d'une fille qui sera donnée illégalement à la famille d'un policier uruguayen, puis disparaît. Juan Gelman se bat pour retrouver sa petite-fille. En 2000, 24 ans après, il y parvient.
Une véritable victoire pour cet infatigable poète qui continuait de lutter pour que justice soit faite contre les bourreaux de cette époque douloureuse pour les Argentins.
 

http://www.rfi.fr/ameriques/20140115-argentine-juan-gelman-poete-mort-condor-




Par larouge • Gelman Juan • Lundi 28/07/2014 • 0 commentaires  • Lu 4136 fois • Version imprimable

Juan Gelman est mort

Juan Gelman (1930-2014) : la vie de combat, de tendresse et de deuil d'un poète argentin
Le Monde.fr avec AFP | 15.01.2014 à 07h00 • Mis à jour le 15.01.2014 à 21h55 |Par Florence Noiville
 
Une vie pavée de deuils et d'exils mais aussi de convictions humanistes inébranlables et d'âpres luttes contre les dictatures d'Amérique latine : ainsi apparaît l'existence du grand poète argentin Juan Gelman, mort mardi 14 janvier à Mexico où il s'était installé il y a plus de vingt ans et qui fut la dernière étape d'un long exil forcé après le coup d'état militaire de 1976. Il était âgé de 83 ans.
Né le 3 mai 1930 à Buenos Aires, Juan Gelman est le troisième enfant d'un couple d'immigrants juifs venus d'Ukraine. Précoce, il apprend à lire à 3 ans, rédige à 8 ans ses premiers poèmes et se voit pour la première fois publié à 11 ans par la revue Rojo y Negro (Noir et Rouge). Bientôt, vient le temps de l'engagementpolitique. A quinze ans, il adhère à la Fédération des jeunes communistes argentins, hésite à se diriger vers un avenir de chimiste, mais préfère finalement la poésie. Au milieu des années 1950, il fait partie du groupe El Pan duro (Le Pain dur) qui publie une poésie radicale, puis il commence une carrière de journaliste dans les années 1960.
AU SEIN DE LA GUERILLA
C'est à cette époque qu'on le retrouve aussi militant au sein d'une organisation de guérilla, les Montoneros. En 1975, il est envoyé en mission à l'étranger par les Montoneros pour dénoncer les violations des droits de l'homme sous le régime d'Isabel Peron (1974-1976). C'est lors de cette mission, en 1976, qu'a lieu le coup d'état du général Jorge Rafael Videla. Commence dès lors pour Gelman, une longue vie d'exil, de Rome à Madrid, Managua, Paris, New York et enfin Mexico.
Pendant toutes ces années pourtant, il est impossible de dissocier l'histoire de Juan Gelman de celle de son pays. « On dit qu'il ne faut pas remuer le passé, qu'il ne faut pas avoir les yeux sur la nuque, écrivait-il en 2008. Mais les blessures ne sont pas encore refermées. Elle vibrent dans le sous-sol de la société comme uncancer sans répit. Leur seul traitement est la vérité et ensuite la justice. L'oubli est à ce prix. » Ces paroles, Juan Gelman les prononce à propos des plaies indélébiles infligées au peuple argentin, de 1976 à 1983, par la dictature. Le poète sait de quoi il parle. Si l'on estime entre 20 000 et 30 000 le chiffre des disparus – les Argentins disent « desaparecidos » -, les proches de Gelman, et notamment son fils et sa belle fille, tous deux militants de gauche, l'auront été d'une façon atrocement spectaculaire.
DOUBLE DISPARITION
En 1976, la junte s'en prend à son fils – lui aussi poète et écrivain engagé -, Marcelo Ariel Gelman, enlevé à l'âge de 20 ans, le 24 aout. Un ouvrage intituléPalabra viva, textes d'écrivains disparus et victimes du terrorisme d'état (SEA, 310 p., 19 euros), raconte comment Marcelo a été conduit dans un centre de détention clandestin de la banlieue de Buenos Aires pour y être torturé et tué d'une balle dans la nuque. Lorsque, vingt-quatre ans plus tard, en 1990, Juan Gelman identifie ses restes, il découvre non seulement qu'il a été sauvagement torturé, mais qu'il a ensuite été mis dans un tonneau de sable et de ciment et jeté dans un canal. Sa femme, Maria-Claudia Garcia, alors âgée de 19 ans et enceinte de sept mois, a été enlevée en même temps.
Obsédé par cette double disparition, Juan Gelman ne sera jamais en mesure deretrouver le corps de sa belle-fille. Mais pendant près de 35 ans, il se battra pourretrouver l'enfant. Il y parviendra en 2000. Dans le cadre du plan Condor - un programme de répression mis en place par le général Pinochet en concertation avec les autres dictateurs latino-américains -, Maria-Claudia a été emmenée enUruguay. A Montevideo, elle a donné naissance à une petite fille, Macarena, qui a ensuite été illégalement donnée à la famille d'un policier urugayen. De Maria-Claudia, on ne saura jamais plus rien. Mais en 2000, Juan Gelman retrouve sa petite fille. La jeune Macarena est alors âgée de 23 ans. Elle ignore tout de ses véritables origines. Pourtant, après avoir vérifié son identité, elle décide dereprendre le nom de ses véritables parents.
LA MÉMOIRE ET LA SOUFFRANCE
Pour Juan Gelman, c'est là l'aboutissement d'un long combat pour que justice soit faite en faveur des bébés volés. On estime à plus de 500 le nombre des enfants disparus à l'époque et remis à des parents adoptifs sélectionnés par les régimes militaires, expliquait-il. « Il y avait alors une sinistre liste d'attente pour chaque camp de concentration ». Dans la tête des militaires, les bébés devaient êtreremis à des « familles saines », non susceptibles d'être « contaminées par desidées subversives ». Les mères quant à elles, étaient éliminées.
Il aurait été difficile qu'une telle biographie ne façonne pas en profondeur l'œuvre littéraire de Juan Gelman. Foisonnante, faite de poésie en prose ainsi que de textes journalistiques, celle-ci est sombre et profonde, dominée par la mémoire et la souffrance. « Par là va la douleur de la conscience/couchée toute seule au soleil », écrit Gelman dans Salaires de l'impie (éditions Phi, 2002). Influencé par ses grands ancêtres latino-américains autant que par les mystiques espagnols, Gelman avait coutume de dire que ses thèmes de prédilection étaient « l'amour, la révolution, l'automne, la mort, l'enfance et la poésie ». Sans oublier le langage et le tour fallacieux ou manipulateur qui peut lui être donné.
DICTATURE ET LANGAGE
Selon, lui, comme selon l'écrivain uruguayen Carlos Liscano qui a magnifiquement relaté « l'affaire Gelman » dans Souvenirs de la guerre récente (Belfond, 2007), la dictature est d'abord un langage. « Les mots sont comme l'air, dit Juan Gelman.Les mots ne sont pas le problème. C'est le ton, le contexte, ce à quoi visent ces mots et pour qui ils sont dits. Bourreaux et victimes usent des mêmes mots. Mais je n'ai jamais trouvé les termes utopies, beauté ou tendresse dans des rapports de police. Savez-vous que la dictature argentine a brûlé Le Petit prince ? Et je crois qu'elle a eu raison de le faire. Non pas parce que je n'aime pas Saint-Exupéry. Mais parce qu'il y a dans Le Petit prince une telle quantité de tendresse qu'elle pourrait finir par nuire à n'importe quelle dictature ».
Depuis 1981 et Le Silence des yeux, préfacé par Julio Cortazar et publié aux éditions du Cerf, une douzaine de recueils de Juan Gelman ont paru en France, parmi lesquels, dans les plus récents, L'Opération d'amour (Gallimard, 2006),Lettre ouverte suivi de Sous la pluie étrangère (Caractères, 2011) et Compositions(Caractères, 2013), tous trois traduits par le poète Jacques Ancet. Quatre poèmes inspirés par la tragédie de son fils ont été mis en musique par Juan Cedron et interprêtés par le Cuarteto Cedron et Paco Ibanez sous le titre Le Chant du coq(1990). Couronné par de nombreux prix littéraires, Juan Gelman avait notamment reçu en 2007 le plus prestigieux de tous pour le monde hispanophone, le prix Cervantes. Lors de sa remise, en Espagne, en avril 2008, sa petite fille Macarena Gelman, était au premier rang.
§ Florence Noiville 
Journaliste au Monde
 

Par larouge • Gelman Juan • Jeudi 16/01/2014 • 0 commentaires  • Lu 1366 fois • Version imprimable

COM/POSITIONS

 COM/POSITIONS
de Juan Gelman, traduit de l'espagnol (argentine) par Jacques Ancet




 
Editions Caractères
Juin 2013

DU NÉANT À L’AMOUR    
(Une poétique de l’exil)

                                                      Poésie : métaphore de la résurrection.
                                                                                   José Lezama Lima


A chaque instant nous vivons l’exil. De l’existence passée, des lieux et des temps qui furent les nôtres, de ce que nous avons été et de l’image que nous conservons de nous. La vie humaine est la déclinaison d’un très lent crépuscule. Nous quittons le jour, nous entrons dans la nuit. Où tout est perte, nostalgie et désir jamais réalisé de combler ce manque. Nous vivons chaque jour sans cesse tendus vers une impossible coïncidence. Avec le passé, avec le futur, avec le monde et, dans le présent le plus immédiat, avec nous-mêmes. La poésie, alors, ce serait peut-être cela : chercher à vivre dans l’instant prolongé de la parole le paradoxe d’une inaccessible unité. « La parole, dit Juan Gelman, comme l’utopie, est l’incessante émulsion d’une double perte — ce qui est désiré, ce qui est obtenu —, un paradis qu’on n’a jamais possédé. Le paradis perdu est devant, non pas derrière, et il nous fait sentir la perte de ce qui n’est pas. »
    Dans cette perspective, la poésie de Gelman qui est, à cette époque, une poésie de l’exil, est en même temps une poésie de l’utopie. C’est pourquoi elle ne pouvait pas ne pas rencontrer sur son chemin la mystique. D’où certains livres comme L’Opération d’amour ou Com/positions dans lesquels l’exil n’est plus envisagé dans sa dimension personnelle et politique mais dans une universalité qui permet à la voix du poète de rejoindre le chœur des voix d’autres poètes du passé, de se mêler à lui, de s’y confondre. Si dans le premier livre cité, ces voix sont essentiellement celles des deux grands mystiques espagnols  —  de Thérèse d’Avila, de Jean de la Croix —   et des paroliers de tango, dans celui-ci, ce sont essentiellement celles des mystiques judéo-espagnols. Dans les deux cas, Gelman, traduit, réécrit et même compose de toutes pièces les poèmes qu’il nous offre sous un autre nom. Comme il le dit lui-même dans l’exergue du livre, il les « com/pose » — il les pose avec, les écrit avec les poètes du passé : « j’appelle com/positions les poèmes qui suivent parce que je les ai com / posés, c’est-à-dire que j’ai mis des choses de moi dans les textes que de grands poètes ont écrits il y a des siècles. il est clair que je n’ai pas prétendu les améliorer. leur vision d’exil m’a remué et j’ai ajouté — ou j’ai changé, j’ai cheminé, j’ai offert — cela que j’éprouvais moi-même ; comme contemporanéité et compagnie ? la mienne avec eux ? ou l’inverse ? habitants de la même condition ? ». Ce en quoi il nous montre que toute création est transposition, transformation, traduction, que, dans la voix qui parle, elle est indissolublement l’autre de toutes les voix et leur mémoire immémoriale. Et que, réciproquement, toute traduction est création puisque la singularité d’une voix, qui est un corps dans la langage, en soi intraduisible, seule la singularité d’une autre voix — d’un autre corps — peut la traduire : « traduire est inhumain : aucune langue ou visage ne se laisse traduire ; il faut laisser cette beauté intacte et en créer une autre pour l’accompagner : son unité perdue est devant. » 

    Juan Gelman dont l’exil ne cesse de se prolonger à travers les années les pays et les livres nous dit, de ces grands poètes du passé dont il se réclame, que « leur vision d’exil [l’] a remué ». Exil qui, on l’a dit, est à entendre ici au sens le plus large de cette radicale séparation qu’est toute existence humaine. Un poème, entre autres, inspiré du poète, voyageur, érudit et traducteur judéo-espagnol Yehuda al Harizi et significativement intitulé « L’expulsé » prend, de ce point de vue, une valeur paradigmatique puisqu’il décline, dans l’intensité de sa réitération, les stations du chemin de croix de l’exilé avec, comme Gelman le fait pour ses propres livres, la mention finale des dates et des pays traversés :

On m’a chassé du palais /
ce fut sans importance /
on m’a exilé de ma terre /
j’ai marché sur la terre /
on m’a déporté de ma langue /
elle m’a accompagné /
tu m’as éloigné de toi / et
voici que mes os s’éteignent/
que m’embrasent des flammes vives/
je suis expulsé de moi-même/

                    yehuda al-harizi
        1170-1237 / tolède-provence-palestine)

    Si l’exil est ici d’abord politique, géographique et linguistique, il devient, dans la seconde moitié du poème, arrachement à l’être aimé et à soi-même. La voix de celui qui parle est celle aussi de celui qui aime. De l’être désirant à qui échappe toujours l’objet de son désir . Désormais l’exilé, le poète et l’amant ne font qu’un. De politique et personnelle, la dimension du poème s’est faite universelle :

La porte

j’ai ouvert la porte / mon amour /
lève-toi / ouvre la porte / 
j’ai l’âme collée au palais
tremblante de terreur /

le sanglier des bois m’a piétiné /
l’âne sauvage m’a pris en chasse /
dans ce minuit de l’exil
je suis moi-même une bête /

        salomon ibn gabirol

    Tout le livre est traversé par souffrance de l’être que ravage et disloque une intolérable absence. A côté de l’image du psaume 137, celle de la langue collée au palais, reprise par Jean de la Croix, et qui revient plusieurs fois ici — « je brûle cloué à ton palais » / « nuit / collée au palais » — c’est tout un imaginaire de la violence et de la douleur qui porte ces poèmes avec une force qui n’est plus celle de la dénonciation, comme dans certains poèmes plus politiques, mais celle, physique, du corps qui est celui de tous et de chacun. Mais cet imaginaire, selon une coincidentia oppositorum propre à toute la littérature mystique, est en même temps celui de l’éblouissement, de la joie. Le feu et sa brûlure est à la fois souffrance et illumination :

Le pays de la colombe
            
oh/ mon cœur tout absorbé / toi tu rêves /
tu brûles en furies / éveille-toi maintenant /
avance dans l’éclat de sa présence /
lève-toi et marche / une étoile monte
du fond d’un puits et sa désolation /
c’est de ton propre puits qu’elle s’élève
et se montre et se cache / toi tu brûles
ton sang en rages et en consentements /
et qui donc a compassion sinon toi
de tes exils / tes morceaux /

                            yehuda halevi

    Inscrits dans l’antique tradition du Cantique des cantiques, l’érotisme brûlant de ces poèmes de la déchirure, de l’exil d’amour sont en même temps des poèmes d’amour mystique. Ce qui fait dire quelque part à Gelman que l’expérience de l’exil est celle de Jean de la Croix, dont la voix est si souvent présente dans ce livre et dans d’autres : « je brûle cloué à ton palais / comme -  rosée qui tremble - entre les fleurs de lis / ; « pourquoi / toi / la belle / n’envoies-tu pas de messagers - à celui qui t’aime /... ». L’être aimé — la belle, l’amie, l’amante — dans la tradition mystique, c’est l’inconnaissable, l’inaccessible — c’est le divin lui-même. Ce qui aveugle de sa beauté, de sa puissance. Ce que, donc, on ne peut pas nommer puisqu’on ne le connaît pas, puisqu’il dépasse tout ce qu’on peut en dire.  Ce qu’on ne peut appeler que ténèbres ou néant, mais qu’on éprouve, là, au plus intime de soi-même :

Mais où ?

en quelles ténèbres t’enveloppes-tu ? /
je ne parle pas avec toi / tu ne m’entends pas parler /
je ne te respire pas / ne te vois pas / me forgent
les coups de marteau de ton absence /
...                   

                                                         isaac luria

    L’aimée c’est l’absence. Cela qui se retire à mesure qu’on avance. La séparation est infinie. De l’amant à l’amante. De la créature au Créateur. Mais aussi du Créateur à sa création : « je suis exilé de moi-même / comme le Créateur de toute la création / ». Inspirée du grand mystique et kabbaliste Isaac Luria, cette théologie négative est poussée à l’extrême. Pour qu’il y ait création, il faut qu’il y ait rétraction. Il faut que Dieu se retire en lui, afin que dans l’espace ainsi dégagé, puisque se produire l’apparition de quelque chose — d’autre chose que lui-même. Exil, donc, de Dieu vers l’intérieur de Dieu . Ce que Dieu crée d’abord, ce n’est pas du plein mais du vide : un espace d’apparition — un néant d’être. 
    En ce sens, cette théologie de l’exil est une poétique de l’exil. Juan Gelman la partage avec le dédicataire de ce livre, son ami José Ángel Valente. Ce même Valente qui écrivait dans Material Memoria : « Peut-être le suprême, le seul exercice radical de l’art, est-il un exercice de rétraction [...] Créer c’est engendrer un état de disponibilité où ce qui est d’abord créé c’est le vide, un espace vide. Car la seule chose que crée l’artiste n’est peut-être que l’espace de la création. Et dans l’espace de la création il n’y a rien (pour que quelque chose puisse y être créé). La création du néant est le principe absolu de toute création :

        Dieu dit : — Que le Néant soit.
        Et il leva la main droite
        jusqu’à voiler son regard.
        Et le Néant fut créé. 

    Toute création, donc, commence par un exil comme l’évoque cette strophe de Machado, citée par Valente. Exil de Dieu hors de sa propre création. Exil, « disparition élocutoire », du poète pour que la véritable parole puisse advenir. Ecrire, c’est entrer dans le non savoir, dans une parole paradoxale qui ne dit que quand elle se tait : « tu es silence de la parole / — quand je ne parle pas je suis en toi / - tout ce que je me dis est silence de toi ». Ecrire, c’est s’exiler de soi-même pour que s’entende l’autre bouche, celle qui ne parle qu’en silence.
    Mais écrire c’est aussi, et du même mouvement, retrouver l’unité perdue, le temps d’une cadence ou d’un vers. C’est soudain, dans la fragile maison du poème, recommencer dans une parole qui vous recommence : 

Maison

elle n’est pas dans la mer ma maison / ni dans l’air /
je vis dans la grâce de tes paroles  / 

                eliezer ben jonon

    Il n’est pas indifférent d’indiquer pour finir que ce distique inspiré par un certain Eliezer ben Jonon , (Jonon pour Juan en hébreux) est en fait écrit par Juan Gelman lui-même. Et que dans la dizaine de poèmes qui figurent sous ce nom apocryphe se trame cette poétique de la mort et de la résurrection : « lève-toi et marche / une étoile monte - du fond d’un puits et sa désolation / » disent deux vers de « Le pays de la colombe » cité plus haut, où passe en filigrane une image chère à Valente : celle de Lazare. Figure du passage  —  de la mort à la vie, des ténèbres à la lumière, du silence à la parole, du néant à l’amour — Lazare est peut-être, la meilleure incarnation du poète, de l’exilé et donc de l’homme tout court. De cet homme, en particulier qui, sorti vivant de l’enfer de la souffrance et de l’exil, affirme avec obstination la force de vivre et d’aimer encore : 

Visages

...................................................
qu’est-ce donc que
cette dissolution en toi / ni peine /
ni châtiment / ni prison / transparence 
qui va au néant et revient amour ? /

                        eliezer ben jonon 

source: http://jancet.blogg.org/



Par larouge • Gelman Juan • Samedi 20/07/2013 • 0 commentaires  • Lu 1290 fois • Version imprimable

Chroniques de Chiapas : Cronicas de Chiapas

 

Chroniques de Chiapas : Cronicas de Chiapas

Juan Gelman (auteur)








  • Broché: 144 pages
  • Editeur : Editions L'atinoir (3 novembre 2011)
  • Collection : L'atineur

Dés les premiers jours de janvier 1994, Juan Gelman est sur place, envoyé par le quotidien Página 12 de Buenos Aires pour couvrir le soulèvement de l'Armée Zapatiste de Libération Nationale dans l'Etat de Chiapas. Avec sa sensibilité de poète et son talent d'écrivain, sa rigueur de journaliste et ses convictions de militant, il écrit une série de chroniques sur la situation qu'il a observée directement et personnellement. Ces textes sont suivis d'un entretien avec le Sous-commandant Marcos sur son action politique et militaire tout en révélant certaines facettes de sa personnalité.



 

 

 

 

 


Par larouge • Gelman Juan • Jeudi 26/01/2012 • 0 commentaires  • Lu 1072 fois • Version imprimable

à propos de Juan Gelman

L'Express du 26/06/2003
→ plus
Par larouge • Gelman Juan • Dimanche 28/06/2009 • 0 commentaires  • Lu 1269 fois • Version imprimable

Lumière de mai

→ plus
Par larouge • Gelman Juan • Dimanche 28/06/2009 • 0 commentaires  • Lu 1235 fois • Version imprimable

Les poèmes de Sidney West

Les poèmes de Sidney West
de Juan Gelman (Auteur)







 
Broché Editeur : Creaphis (1 octobre 1997)
Collection : Les cahiers de Royaumont

La voix de Juan Gelman se distribue, selon son humeur, sur les registres toujours neufs des circonstances, des lieux et des personnages qui le hantent. Ces treize séquences proposent une rhapsodie de vies parallèles dont les héros ne ressemblent en rien aux figures de Plutarque.
 

Par larouge • Gelman Juan • Dimanche 28/06/2009 • 0 commentaires  • Lu 1204 fois • Version imprimable

Salaires de l'impie et autre poèmes

Salaires de l'impie et autre poèmes
de Juan Gelman (Auteur), Jean Portante (Traduction)





 
Poche Editeur : Editions PHI (19 juillet 2004)
Collection : GRAPHITI

Ce livre est en trois parties, écrites à différents moments de la vie pérégrine de l’auteur. Les deux dernières, qui représentent les trois/quarts de l’ouvrage, diffèrent de la première, avec des poèmes de plusieurs strophes, deux ou trois quatrains successifs, avant une longue série de sonnets libres. Autre particularité, la ponctuation en slash, comme ici où on peut penser à quelques roubayats d’Omar Khayyam :

où est la clé de ton cœur ?/
l’oiseau qui passa est mauvais/
à moi il n’a rien dit/
moi il m’a laissé tremblant/

où est ton cœur à présent ?
un arbre d’effroi danse/
je n’ai plus que des yeux qui ont faim
et une cruche sans eau/

sous le chant se trouve la voix/
sous la voix se trouve la feuille
que l’arbre a laissé
tomber de ma bouche/ (p.54)

Ce poème à part, les autres poèmes semblent hermétiques, contrairement à ceux la première partie qui détonne à tous points de vue. Car ici, la prosodie cède la place à des affirmations laconiques, à l’image de l’exergue qui ouvre le recueil : « la mort rapide est une punition très légère pour les impies. Tu mourras exilé, errant, loin du sol natal. Voilà le salaire qu’un impie mérite (Euripide) ». Le bannissement pour impiété peut se prendre aux sens social autant que spirituel, rappelant en cela l’aphorisme catholique « en dehors de l’Eglise, point de salut » qui s’adresse à l’impie, comme mise en garde ou comme condamnation. C’ est bien là l’esprit de ces textes.

Mysticisme : le thème de l’Autre

Le poète s’adresse explicitement à l’Autre ( quel qu’il soit, Dieu ou le Soi selon les points de vues ), qui titre cette tirade dont voici la seconde partie : « la nuit lève le soupçon des fous comme secret ou croix […] Je voudrais que tu prennes beaucoup de noms pour me nommer. Je ne connais rien d’autre que toi, moi en toi que je ne connais pas (p.16) ». Cela est relayé par Illusion, aux relents nettement alchimiques : « la pierre, pierre veut être, et moi, toi. La conscience de moi comme illusion que je suis un autre (p.26) ». On retrouve alors les mêmes interrogations et émerveillements laissés par quantités d’écrivains mystiques, arabes autant qu’européens au cours des siècles de l’Histoire : « qui es-tu, autre intime ? Les heures de ton corps font l’éternité (p.28) » ; « dans la déchirure de l’effroi tu perfectionnes ta lumière et je me souviens (p.35) » ; « âme qui à présent penses : dis pourquoi en amour la solitude est forme de la lumière (p.42) ».

La quête du verbe, celle du commandement divin, est également exprimée dans Portrait : « personne ne doit faire du bruit dans le cœur secret […] Depuis que je suis né je suis plein de vide de moi-même et ainsi j’apprends que la vérité la plus innocente est un destin (p.23) »… Dernière illustration, ce poème qui décrit les voies impénétrables de l’Autre, sa nature changeante et implacable, qui font du sujet précisément ce qu’il est : le sujet de l’Autre ( quoique sans atteindre l’incarnation apparemment ), ou encore l’animal de l’Autre, la même sensation qui jadis engendra la figure du centaure, un maître serti dans un corps qui regimbe, soit :

L’Animal (p.15)

Je cohabite avec un obscur animal.
Ce que je fais le jour, il le mange de nuit.
Ce que je fais de nuit, il le mange de jour.
La seule chose qu’il ne mange pas c’est ma mémoire.
Il s’acharne à palper la moindre de mes erreurs et de mes peurs.
Je ne le laisse pas dormir.
Je suis son obscur animal.

Philippe Cesse

source:  http://artslivres.com

 

Par larouge • Gelman Juan • Dimanche 28/06/2009 • 0 commentaires  • Lu 1151 fois • Version imprimable

L'opération d'amour

L'opération d'amour
de Julio Cortazar (Postface), Juan Gelman (Auteur), Jacques Ancet (Traduction)






 
Broché: 160 pages
Editeur : Editions Gallimard (28 septembre 2006)
Collection : Du monde entier

"Chez cet homme dont on a décimé la famille, qui a vu mourir ou disparaître ses amis les plus chers, nul n'a pu tuer la volonté de dépasser cette somme d'horreurs en un choc en retour affirmatif et créateur de vie nouvelle. Peut-être le plus admirable de sa poésie est-il cette presque inconcevable tendresse là où serait beaucoup plus justifié le paroxysme du refus et de la dénonciation... " Julio Cortazar"


L’œuvre poétique de Juan Gelman est considérable, aussi bien par son volume (une vingtaine de titres à ce jour) que par ce qu’elle nous donne à entendre: une voix combative et fraternelle, blessée, traversée de fulgurances et de ténèbres, tendre et violente — l’une des plus justes (au double sens) de la poésie hispano-américaine d’aujourd’hui.
Atteint au plus profond de son être par la brutalité de la dictature argentine, il a choisi de mener son combat non pas avec les mots de la revanche, mais avec ceux de l’amour. Et c’est la langue des grands mystiques – sainte Thérèse d’Avila, saint Jean de la Croix – cette langue musicale si chère au cœur des écrivains hispaniques, seule capable d’exprimer l’indicible, qu’il reprend pour dire l’exil intérieur, la plénitude irrémédiablement perdue – et traduire l’horreur contemporaine.

Juan Gelman à reçu le prix Cervantes

Hommage à Juan Gelman | 02 décembre 2007
 
Le Prix Cervantes (le Nobel hispanique) vient d'être décerné à Juan Gelman, ce grand poète argentin, touché au plus vif, par les années de la dictature (1976-1982) — famille décimée, amis morts ou disparus, exil interminable. La découverte de son livre Citas y comentarios avait été une révélation pour moi, au début des années 80. Ces poèmes, dont le plus admirable, écrit Julio Cortázar, est « cette presque inconcevable tendresse là où serait beaucoup plus justifié le paroxysme du refus et de la dénonciation » m'ont poursuivi pendant presque deux décennies avant que je me décide à les traduire et les publier sous le titre de L'opération d'amour (Gallimard/ Du monde entier,2006)

hommage à Juan Gelman

Le jury Cervantès 2007 récompense le poète Juan Gelman


Par Lecteur (hélas) anonyme

Le jeudi 29 novembre le poète argentin, Juan Gelman, est devenu le lauréat du prix Cervantès 2007.

Cette récompense, souvent présentée comme le «Nobel des lettres espagnoles», couronne l'ensemble de l'œuvre de cet écrivain engagé qui, à 77 ans, déclare «vivre pour écrire de la poésie».

Créé en 1976 et baptisé du nom du célèbre auteur de «Don Quichotte», la récompense est traditionnellement remise dans la ville natale de Cervantès, à Henares près de Madrid. Le jury, sous l'égide du directeur de l'Académie Royale espagnole, est composé d'un directeur d'Académie des langues, de huit personnalités du monde académique, littéraire ou universitaire et du précédent lauréat. Ils priment alternativement un auteur espagnol et un auteur d'origine sud-américaine. Antonio Gamoneda, auteur espagnol, avait reçu le prix Cervantès en 2006; la règle de l'alternance est donc toujours de mise.

Juan Gelman recevra son prix ainsi que la dotation de 90.450 euros qui l'accompagne, le jour de la mort de Miguel de Cervantès, le 23 avril prochain.

Dans la liste des auteurs récompensés depuis 1976, on retrouve ces auteurs que l'on connaît bien en France: Jorge Luis Borges, Octavio Paz, Carlos Fuentes, Mario Vargas Llosa...


Quelques œuvres de Juan Gelman: «Lumière de mai» (Temps des cerises); «Il nous reste la mémoire: poèmes argentins de l'exil» (La Découverte); «Le Silence des yeux»(Cerf); «Obscur ouvert: poèmes» (Ecrits des Forges)...

source: http://bibliobs.nouvelobs.com


La recherche de Juan gelman

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