Ofrenda de propia piel [La peau même en offrande], Alicia Kozameh,
Alción Editora, Córdoba, 2004, 128 pages.
Les huit textes de ce recueil, dont certains ont connu une publication séparée dans des
revues voire sur la toile, se trouvent ordonnés en deux parties : « Consagraciones » [Consé-
crations] et « Cárceles complementarias » [Prisons complémentaires], précédés d’une sorte
de prologue, « Acumulación » [Accumulation]. Deux temps, celui de l’emprisonnement
sous la dictature dans les années 70 et son après ; celui de l’enfermement aussi dans notre
propre histoire individuelle. Sachant que l’un ne va pas sans l’autre et que nous ne sommes
que le résultat d’une accumulation. Récits de témoignage en un sens, toujours amenés par
une dédicace, mais dont l’écriture suppose une réélaboration qui ancre les textes, sans pour
autant les enfermer, dans une réalité identifiable tout autant qu’ils renvoient à des situations semblables sans qu’aucun ancrage ne devienne nécessaire.
« Esquisse des hauteurs » (1992) ouvre la première partie. Là, s’y trouvent mises en scène
les trente femmes qui partagent une cellule dans le sous-sol d’une Préfecture de Police et
parviennent à échapper à leur enfermement par le jeu, le partage, le rire.
« El encuentro. Pájaros » [La rencontre. Oiseaux] (1994), voit se retrouver, après leur
libération, vingt-sept des prisonnières du pavillon 31 de Villa Devoto afin de préparer la
rencontre qui marquera la réunion des trente femmes qui partagèrent la même cellule et
sont toujours, bien que théoriquement libres, sous surveillance et menacées.
Dans « Dos días en la relación de mi cuñada Inés con este mundo perentorio » [Deux
jours dans la relation de ma belle-sœur Inés avec ce monde péremptoire] (1994-1995) deux
personnages, dont l’un s’exprime (en italique dans le texte) et l’autre demeure muet explorent le pourquoi vivre et ne pas rester enfermé dans le chagrin provoqué par la disparition
violente d’un époux. La nécessité de dire pour vivre, d’écrire pour comprendre et s’approprier une expérience que l’on n’a pas voulue.
Par l’image du vent tournoyant, de l’entonnoir qui engloutit les ombres, les gens, «
Vientos de rotación perpendicular » [Vents en rotation perpendiculaire] (1999) vient réaffirmer la volonté de comprendre une situation, une période qui reste humainement incompréhensible.
« Último mensaje » [Dernier message] (2003-2004), se présente comme une lettre écrite
par Sara depuis le sous-sol de la Préfecture de police de Rosario, le 25 mars 1976. Adressée à
« Ma chère Grosse », elle évoque la fin prochaine de toute possibilité de communication des
détenues avec l’extérieur tout en réitérant les raisons qui invitent à rester debout, à l’exté-
rieur comme en prison, la liberté mentale n’étant pas tributaire de contingences matérielles.
Après cette première boucle portant sur l’expérience carcérale et ses prolongements, le
recueil explore, au long de trois récits, des « Cárceles complementarias » [Prisons complé-
mentaires].
« Mungos mungo » (2002), offre une réflexion sur le dehors et le dedans, l’agitation
extérieure, le bruit, la musique confrontée aux tourbillons de l’âme d’une voix seule, enfermée dans une pièce, accompagnée d’un simple bol de pop-corn.
Quant à « Alcira en amarillos « [Alcira en jaunes] (1995), il évoque le parcours d’Alcira
(personnage principal de Patas de avestruz aussi) de l’âge de 5 ans jusqu’à ses 23 ans, en prison. Comment échapper à ses propres origines, en l’espèce comment s’accommoder d’un
père violent et intolérant et d’une mère juive effacée quand on croit à ce point en la liberté et au pouvoir des mots ? D’une forme de prison individuelle, familiale, à l’enfermement pour raisons politiques, une forme de continuité s’instaure.
Avec « La forma » [La forme] (1994), le recueil revient sur l’évocation de toutes ces
choses qui nous poursuivent, nous hantent, nous interpellent, sur l’impossibilité qu’il y a à
se défaire de ce que l’on est et à l’impérieuse nécessité qu’il y a à l’exprimer pour chercher
encore et toujours à comprendre.
Reste que les textes réunis dans cette offrande, écrits sur une période de plus de dix ans,
au-delà de la matière dont ils traitent, du travail de mémoire qui le sous-tend, constituent
aussi un très remarquable travail sur les mots, la phrase, sa construction et son rythme,
et sont souvent empreints d’une poésie dont les lignes qui précèdent, essentiellement factuelles, ne rendent pas compte.
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