Juan Filloy
Juan Filloy est né en 1894 de parents immigrés : d’une Toulousaine lavandière et guérisseuse et d’un paysan espagnol, tous deux analphabètes, mais qui se sont battus pour que leur fils puisse aller à l’école. Homme à la vie spectaculaire, Juan Filloy parlait sept langues et a été arbitre de boxe, gérant d’un club de football, caricaturiste, centenaire, juge de paix, chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres, fondateur d’un musée des Beaux-Arts, lauréat d’une dizaine de récompenses et auteur de vingt-sept romans qui partagent tous la particularité d’avoir uniquement des titres de sept lettres (Op Oloop, Vil y vil, Caterva, Sexamor, Estafen…) Son œuvre, encore totalement inédite en France et qui compte également des recueils de poésie, des pièces de théâtre et des nouvelles, a ouvert la brèche à une nouvelle littérature hispano-américaine.
Les critiques n’ont pas hésité à qualifier cet amoureux du langage, champion du monde de palindromes (il en a publié plusieurs milliers), de « magicien pré-Oulipien ». Jonglant élégamment avec le langage, Filloy révèle dans son œuvre l’être humain et ses vices. Maniant la satire et l’ironie à la perfection, il mêle à son jeu littéraire la philosophie et la psychanalyse pour donner naissance à un miroir complexe. À tel point qu’il gagnera l’amitié de Sigmund Freud à la sortie de son livre le plus connu, Op Oloop. Juan Filloy est mort quelques jours avant d’atteindre ses 106 ans, pendant sa sieste, réussissant ainsi le pari qu’il s’était lancé de vivre au cours de trois siècles différents.
OP OLOOP
D E J U A N F I L L O Y
Quand Op Oloop fut publié en 1934, deux choses se produisirent : d’abord, le livre reçut les éloges de Sigmund Freud ; puis, il fut interdit par l’administration publique de Buenos Aires pour “pornographie et atteinte à la morale et aux bonnes mœurs”.
Encore méconnu en Argentine il y a quelques années, Juan Filloy (1894-2000) écrivain prolifique et provocateur, auteur d’une œuvre féconde et acclamée par les critiques et les lecteurs, s’est imposé comme l’égal de ses amis et admirateurs Borges et Cortázar.
Conçu comme le journal de bord d’un psychorigide, Op Oloop retrace une journée (dix-neuf heures et vingt-cinq minutes) de l’existence d’Optimus Oloop, un statisticien finnois qui vit dans le Buenos Aires des années 1930 et ordonne son univers — de son petit déjeuner à ses visites aux bordels — avec une rigueur toute mathématique. Mais lorsqu’un minuscule accident de la route vient perturber le cours de cette vie chronométrée, le jour même des fiançailles de Op Oloop et, accessoirement, de sa 1000e relation sexuelle avec une prostituée, un autre tic-tac se fait entendre : le compte à rebours vers la plus imprévisible des fins. Telle une «ambulante contradiction», Optimus va alors traverser la ville de catastrophe en catastrophe, nous entraînant avec lui dans sa chute.
Personnage méticuleux à l’excès, méthodique au plus haut point, d’une pédanterie à la limite du supportable, Optimus Oloop est à la fois absurde et attachant. Plongé dans sa folie jusqu’au cou (à moins qu’il ne soit rongé par la syphilis), moitié Pnine de Nabokov, moitié Werther de Goethe, il vacille sans cesse entre réalité et divagation, et fait de ce roman un chef-d’œuvre facétieux et inattendu. Traduit pour la première fois en français, ce trésor de la littérature argentine a été une source d’inspiration pour Cortázar, Reyes et Irigoyen.
Editions Monsieur Toussaint Louverture
Correspondances
Le blog livres de Marine Landrot
Be “Op Oloop”, là, ici et maintenant
Pourquoi la notoriété de l'écrivain Juan Filloy, olibrius argentin mort en 2000 à presque 106 ans, n'a-t-elle jamais passé la frontière française ? Traduit par Céleste Desoille aux éditions Monsieur Toussaint Louverture, après 80 ans d'oubli, son livre Op Oloop est d'une drôlerie !
Ecrit dans les années 30, il se lit avec l'accent de Salvador Dali et les images de Luis Bunuel en tête. Essayez un peu avec ce passage : « La parole est une anomalie propice à l'homme. Les êtres lucides perçoivent cette déformation mentale comme une protubérance qui saille devant leur bouche. Constituée de concepts et de modulations, d'idées et de soupirs, de sensations et de fulgurances, la protubérance attire ou repousse. Si certains charlatans, capables d'expulser sans interruption par le cloaque verbal, sont de véritables spécimens tératologiques, l'intuition pure des sujets irrationnels est quant à elle un rare privilège. » Sigmund Freud apprécia, paraît-il, et se fendit d'une lettre de félicitations que l'écrivain exhiba fièrement à qui voulait y jeter un œil, jusqu'à la fin de sa mort.
Obsessionnel des chiffres (comme Juan Filloy qui n'écrivit que des livres dotés de titres à sept lettres, et composa des milliers de palindromes ) Op Oloop est un personnage pétri d'arrière-pensées, qui évalue, top chrono, les secondes de son existence où il vit réellement. C'est-à-dire finalement assez peu, comme tout un chacun, et ce constat désespérant donne le sourire, à la lecture de cette œuvre inclassable, très marquée par le surréalisme, souvent leste, diaboliquement grinçante. Etre là, ici et maintenant, telle est la philosophie d'Op Oloop, agité du bocal dont les divagations valent parfois mieux que la raison.
Ces mêmes années 30 ont inspiré le très contemporain Antoine Choplin, dont Le Héron de Guernica (éditions La Brune) raconte avec une gravité cendrée, la passion décalée d'un peintre pour les échassiers, en pleine guerre d'Espagne. Comme Op Oloop, Basilio semble avancer à reculons dans son temps, mais ses enjambées le mènent plus loin que les siens. La violence devient alors un décor de fond, transparent et vain, et la simplicité des êtres fait figure de force invincible dans l'ombre de Picasso, dont il tentera de contempler le Guernica, ses dessins de hérons sous le bras, ce personnage séduit par son humble entêtement. Et l'écriture de Choplin, par sa claire rugosité.
source: http://www.telerama.fr/livre/be-op-oloop-la-ici-et-maintenant,73806.php
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