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Norberto Luis Romero

 

Né à Cordoba en Argentine, Norberto Luis Romero vivait en Espagne depuis 1975. Depuis 2013, Norberto Luis Romero vit en Allemagne. Ancien professeur d’art cinématographique et réalisateur de court-métrages, il est nouvelliste et romancier. Son style direct et agile ainsi que ses thématiques peu conventionnelles, voire risquées, lui ont permis de figurer dans plusieurs anthologies de narrative et d’obtenir plusieurs prix littéraires espagnols.

 

Recueils de nouvelles : son premier ouvrage de ce genre est Transgresiones [Transgressions], paru en 1983 chez Alción (Argentine). Il faudra attendre en 1995 pour que paraisse Canción de cuna para una mosca doméstica [Berceuse pour une mouche domestique], livre couronné par le prix Tiflos. L’année suivante paraît El momento del unicornio [Le Moment de la licorne], son ouvrage le plus connu, réédité en 2009 par Tropo Editores. En 2008 El hombre en el mirador, [L’Homme à la tour de guet] est publié au Mexique, comme ont été publiés aux USA, The Last Night of Carnival et The Arrival of the Autumn in Contanstantinople, deux recueils anthologiques réunis et traduits par H.E. Francis, sortis en librairie respectivement en 2004 et en 2010.

 

Publications de romans : À partir de 1996, Romero publie trois romans chez Valdemar (Madrid), d’abord Signos de descomposición [Signes de décomposition], puis [La noche del Zeppelín [La Nuit du zeppelin] (rééditée en e-book en 2011) et, en 2002, Isla de sirenas [Île de sirènes]. Paraîtront ensuite, chez d’autres éditeurs, Ceremonia de máscaras [Cérémonie et masques], en 2003 ; Bajo el signo de Aries [Sous le Signe d’Ariès], en 2005; puis, en 2009, Emma Roulotte, es usted, [Emma Roulotte c’est vous] et, en 2011 Tierra de bárbaros [Terre de barbares].

 

merci à Bernardo Schiavetta pour la traduction


 

Par larouge • Romero Norberto Luis • Jeudi 30/08/2012 • 0 commentaires  • Lu 2843 fois • Version imprimable

LES ESCARGTS ÉPISTOLIERS

 LES ESCARGTS ÉPISTOLIERS

 

Un peu plus loin que la plate-bande des géraniums il y a une colonie d'escargots. lis habitent la depuis longtemps sous les arums, au pied du chèvrefeuille, et ils ont toujours eu l'habitude de s'écrire entre amis et parents d'un village voisin qui se trouve dans le jardin de la maison d'en face.

L1 un d'entre eux est le facteur et il a la malchance d'avoir une lourde charge de courrier accumulé dans sa maison, dont il n1 a pu trouver les destinataires.

Dans le village des escargots les rues ont un nom et les maisons un numéro que chaque propriétaire choisit au hasard, de manière presque cabalistique; les escargots, bien que lents, mais très bons marcheurs, ne restent jamais au même endroit plus de trois heures d'affilée. Le résultat de leurs habitudes c'est la confusion.

Les escargots ne se rendent pas visite, sauf quand fortuitement, ils se rencontrent dans la rué. Et le facteur remet les lettres seulement á ceux qu'il croise sur son chemin. Comme il sait d'avance qu'il ne trouvera pas, par exemple, le numéro 543, dans le troisième pâté de maison d'une rué donnée, il décide de se promener dans tout le village, les lettres sur le dos, en criant le nom des destinataires. Résultat: fatigue et voix cassée.

Le facteur voulut présenter une réclamation au Ministère de 1'Inforniation, mais ce fut inutile, vu que celui-ci, étant un bâtiment jeune, marchait très vite.

Après plusieurs tentatives et poursuites il décida de présenter sa démission par courrier. Mais il n'a pas encore reçu de réponse.

II y a déjà deux ou trois mois qu'il a arrêté de travailler, cependant il lui reste encore 468 lettres, 57 cartes postales, et 18 revues á distribuer. II n'a pas de télégramme parce que les escargots préfèrent ne pas les utiliser. II dit que des qu'il parviendra á distribuer tout ce courrier il prendra sa retraite. Le village manifesté son désaccord sur le fonctionnement de la Poste, mais jusqu'à aujourd'hui on n'a pas réussi á trouver une solution. Ceux qui se proposèrent comme facteurs volontaires se fatiguèrent tout de suite et abandonnèrent ce travail. Les autres préférèrent aller directement á la poste pour porter et chercher leurs lettres, mais Ils ne virent personne.

Maintenant les escargots des deux jardins se trouvent un peu isolés.

Traduit par Fabienne Renalíer et Annick Thion Lefeu.

paru dans la revue "Europe Plurilingue" nº 7, Paris, 1994, 130/2




Par larouge • Romero Norberto Luis • Samedi 01/09/2012 • 0 commentaires  • Lu 1469 fois • Version imprimable

LES GRAPHILES

 LES GRAPHILES

Ce sont de toutes petites bêtes, guère plus grandes qu'un B majuscule, qui logent entre les pages des livres, se nourrissent de lettres, signes et symboles. Un nombre important de pseudo-docteurs en science d'écriture et d'imprimerie ont confondu ces innocentes petites bêtes avec le célèbre «champignon de l'encre»; mais ce dernier s'attaque a certains pigments sans tenir compte du contenu des textes: les champignons manquent d'intelligence et de détermination. Au contraire, les graphiles ont des goûts sélectifs. S'ils dévorent n'importe quel type de pigments ou d'encre d'imprimerie, leurs objectifs primordiaux sont diriges vers le contenu d'un texte et visent particulièrement les textes dépourvus de qualité.

Les graphiles sont si peu épais (à peine deux microns) et si translucides qu'ils demeurent imperceptibles à l'œil humain malgré la multitude de sujets présents dans un livre et même dans une seule page. Leur forme est variable: quand ils ont le ventre creux ils pourraient faire penser à une amibe dotée d'un petit air d'hippocampe; mais quand ils ont mangé ils prennent volontiers une coloration foncée et la forme de la lettre absorbée. Une fois repus et après avoir observé une petite sieste afin de faciliter la digestion de l'encre, ils se distraient en formant des mots et même des phrases pleines d'esprit et non dépourvues d'un certain cynisme. Ils ont un penchant pour les obscénités propices à effarer le lecteur et qui sont tellement brèves que ledit lecteur croit avoir été trahi par son inconscient. Bien que l'intelligence de ces petits animaux n'ait pu pour l'instant être démontrée scientifiquement, leurs nombreuses espiègleries prouvent de toute évidence qu'ils en possèdent quelque chose d'approchant. Sensibles à tout mouvement -grâce a leurs fines antennes qu'ils agitent vertigineusement- ils se sauvent promptement des qu'ils perçoivent le frôlement d'une main sur la couverture du livre ou le regard curieux du lecteur.

Le livre à peine ouvert à une page quelconque, les graphiles se sont déjà refugies vers d'autres pages poursuivant gloutonnement leur festin de lettres et de phrases entières. Et quand ils en ont fini avec un ouvrage ils passent derechef à un autre.

II y a des personnes qui ne croient pas à l'existence des graphiles. Ce sont, généralement, des ignorants ou des analphabètes. Mais quiconque possède une once de bon sens pourrait deviner leurs présence et ce malgré de grandes difficultés à les localiser quand ils ont l'estomac vide, à cause de la vélocité avec laquelle ils passent d'une page à l'autre (quasiment à la vitesse de la lumière). En effet, ils laissent des traces de leur passage dévastateur: de subtiles coquilles parqués parfois en deuxième ou troisième lecture. Sinon, comment expliquerions-nous qu'un auteur nous soit resté incompréhensible ou bien nous ait lassé et qu'au bout d'un certain temps, lors d'une nouvelle lecture il nous éblouisse par son charme? Cela m'est arrivé avec quantité d'auteurs; le contraire, également. Tout cela est, le plus souvent, l'œuvre des graphiles et de leur appétit démesuré.

Fréquemment, ils s'introduisent dans des manuscrits originaux et présentent une terrible menace pour leurs auteurs, dont les idées, affaiblies ou mutilées, se perdent á jamais. Des œuvres maîtresses en puissance demeurèrent à l'état d'ébauches pour cette même raison, et de nombreux talents ne se développèrent jamais et sombrèrent dans l'anonymat.

Il n’existe aucun procédé á ce jour permettant de les éliminer. Cependant, observons qu'ils détestent les mauvais livres et les détruisent. De sorte qu'ils mènent bonne vie dans les bibliothèques contemporaines et jouissent d'une belle longévité. La meilleure manière de se débarrasser d'eux serait d'éliminer les mauvais auteurs ou de privilégier les bons. Les graphiles éprouvent un religieux respect envers les classiques. Ils ne s'avisent jamais à les attaquer. Par bonheur pour eux la production littéraire est considérable, aussi ne manquent-ils pas de nourriture. II est évident que la plupart de leurs détracteurs ainsi que ceux qui nient leur existence se recrutent parmi les auteurs exécrables dont la production n'arrive même pas aux épreuves en placard puisque leurs manuscrits se transforment en pages vierges en peu de temps.

Leur penchant exemplaire pour la bonne littérature et leur prodigieuse mémoire défrayent la chronique dans les cercles littéraires, les conversations de café, réunions et vernissages. Ils se transmettent génétiquement, de génération en génération, les connaissances qu'ils ont accumulées tout au long de leur existence. Leur savoir est incommensurable; leurs goûts littéraires exquis; leurs jugements infaillibles et redoutables. Malheur à l'œuvre originale qui tombe sous leurs regards avides et sous leurs puissantes mandibules. Je connais nombre d'auteurs qui abandonnèrent l’écriture et quantité d'autres qui préférèrent en finir avec leur vie en s'ouvrant les veines plutôt que de leur résister. Mystérieusement, il existe des écrivains qui s'en trouvent protégés mais dont le temps, par bonheur, se charge d'engloutir leurs œuvres.

On ne connaît guère grand-chose sur l'origine des graphiles; les uns attribuent leur apparition a la génération spontanée, d'autres, a l'évolution des espèces, considérant justement que leurs prédécesseurs sont a chercher parmi le groupe des « champignons de l'encre», ou bien encore chez les calamars (cette dernière théorie étant controversée). On dit aussi qu'ils furent inventes par les auteurs classiques afin d'en finir avec les écrivaillons; en fait, il est évident que leur apparition coïncide avec celle de l'écriture comme le démontrent de très anciens documents grâce auxquels on peut détecter à l'aide d'un microscope des traces de morsures dues à de minuscules dents. Le fait est que les œuvres classiques nous sont parvenues intactes, telles qu'elles ont été conques, gardant toute leur beauté et vierges de toute attaque.

Ces simples et modestes p ges pourront témoigner ind niabl ment de la légendaire et redoutable voracité des graphiles et je pourrais même en jurer (et parj rer) qu'au bout de quelques jours, quand je voudrai les relire, je les trouverai toutes blanc .

Traduit de l'espagnol 
par Max Pons

 

 

 

a été publie dans: La Barbacane, Nº 91-92, Aquitaine, janvier, 2008, 55/60




Par larouge • Romero Norberto Luis • Samedi 01/09/2012 • 0 commentaires  • Lu 1533 fois • Version imprimable

LE PLAN DES VILLES

LE PLAN DES VILLES

 

 

Ninive, Ecbatane, Cyrene, Samarcande, toutes ces villes ont disparu par engloutissement. Certaines ont été englouties brusquement, d’autres peu á peu. Certaines ont réapparu et persistent comme ruines éparses, mais il y en a qui attendent encore d’être régurgitées.

L’engloutissement ne se produit pas toujours de la même manière; des fois, les villes disparaissent complètement dans un court laps de temps, d’autres par morceaux et progressivement. Ecbatane commença à disparaître par les faubourgs de sa périphérie, avant de voir disparaître les palais et les temples qui se trouvaient dans son centre. Sodome et Gomorre sont un cas typique de disparition soudaine. Fréquemment, seulement une partie est engloutie et d’autres parties ne le sont que des siècles ou même des millénaires plus tard.

Carthage fut dévorée 7 fois et 7 fois régurgitée. Ses ruines successives ainsi le montrent.

II est inutile de s’alarmer et, par ailleurs, presque personne ne le fait. II n’y a que les imbéciles et les  lâches qui tentent de fuir des qu’ils entendent des rumeurs d’un prochain effondrement, Les disparitions sont imprévisibles: L’engloutissement d’une maison ou d’un temple n’est pas le symptôme sur de l’engloutissement de la ville entière.

Une légende affirme que les villes englouties émergent tôt ou tard dans un autre endroit de la terre, ou bien dans I’endroit même de leur disparition. Un dicton dit que tout mouvement descendant appelle á un mouvement inverse. Le sens commun du citoyen est tout imprégné de ce dicton et, ainsi, presque personne ne s’en préoccupe.

Au septième siècle avant Jésus-Christ une splendide ville sombra dans le désert du Thar; onze siècles plus tard, une autre ville similaire émergea dans un endroit des Andes Péruviennes. Des chercheurs, bons connaisseurs des mouvements des villes, sont d’accord pour dire que les deux sont la même. Ils affirment aussi que Constantinople se trouvait dans les steppes de Caucase quatre siècles plus tôt, que les preuves sont irréfutables et que seulement les ignorants peuvent les refuser. Pourtant, retrouver certains livres de la bibliothèque d’Assurbanipal serait la seule preuve absolue de leur théorie. Ils avancent aussi que les musées d’histoire et d’anthropologie sont pleins de preuves: des objets, petits et grands, démontrent clairement qu’ils proviennent d'une ville régurgitée, mais ces preuves passent inaperçues au commun des mortels.

Un grand espoir naît de l’apparition possible et annoncée d’une ville de dimension colossale, engloutie il y a deux mille quatre cents ans et dont les ruines n’ont jamais été trouvées. Herodote, dans le quatrième Livre de L’Histoire, la décrit en détail, et il mentionne aussi, sans donner trop d’importance á ce fait, la disparitions de certaines maisons de maîtres, Les contradicteurs des croyants argumentent que Herodote avoue ne pas avoir été le témoin direct des faits. Pourtant, affirmer, comme certains le font, que cette ville réapparaître dans notre siècle, sont, de toute façon, téméraires, étant donné que la disparition et la résurgence des villes est complètement arbitraire et imprévisible pour le commun des mortels. II existe, en plus, d’autres phénomènes, peu fréquents et néanmoins curieux, que rendent impossibles ces prédictions: parfois, la ville qui émerge n’est pas forcément celle d’origine, mais elle est composée de morceaux de deux villes ou plus. Quelquefois, aussi, on voit réapparaître la même ville, mais il y a deux ou trois maisons en plus ou en moins. Parfois, ce qui est en trop n’est pas une maison mais seulement un objet comme un jouet, une assiette ou un peigne.

II y a juste quatre ans, une maison a été engloutie en banlieue. Bientôt on murmura que c’était le début de l’engloutissement de la ville, et quelqu’un affirma qu’une autre maison avait sombré non loin de la, douze ans plus tôt. Un témoin disait qu’il avait vu cette maison pendant un voyage en Egypte, solitaire et abandonnée, prés des marges du Haut Nil. Cet état d’abandon confirme l’hypothèse que les villes n’émergent pas toujours avec leurs habitants en elle. Ils peuvent avoir été interchangés. Cette théorie est démontrée par l’apparition fortuite d’étrangers ou bien par la disparition de familles entières ou d’individus isolés. Quoiqu’il en soit, il est clair que le mécanisme engloutissement et de résurgence des villes se fait de manière équilibrée, presque symétrique, comme I’affirme le dicton. Personnes et choses sont transférées d’un endroit á l’autre avec une rigueur absolue et moyennant un plan élaboré, quoique inconnu des hommes. Souvent, nous sommes surpris de trouver dans une ville inconnue, une maison, un objet ou une personne qui nous sont familiers: l’existence du plan est évidente.

L’improbable persistance des villes ne nous empêche pas de voyager entre elles, même si elles sont éloignées, ni de programmer ces voyages trop á l’avance. Les engrenages que commandent les engloutissements et les réapparitions des villes semblent obéir á des règles dont le temps échappa á la dimension humaine des individus, voire des générations. Cette dynamique ne semble pas beaucoup affecter les gouvernements ni les citoyens: se fiant á la permanence, pourtant cyclique, du Plan, qui les dépasse aussi bien les uns que les autres, ils s’occupent exclusivement de leurs métiers et de leurs affaires, évitant d’y faire allusion, mais surtout, d'interférer avec le Plan.

On dit que dans les temps anciens des Sages ont découvert -par déduction mathématique- les mouvements du Plan des villes. Ces connaissances sont restées cachées pendant des siècles dans la bibliothèque d’Asssurbanipal le Grand, mais il est connu que cette bibliothèque fut engloutie I1 an 544 avant Jésus Christ. De ce fait, toutes les théories ne sont que des théories. Un seul événement pourrait révéler le mystérieux mécanisme: la réapparition de cette bibliothèque. Mais celui-là pourrait être le dernier des mouvements planifiés, et impossible de savoir s’il ne manquera pas, peut-être, dans son étagère, le traite.

 Traduit par Bernardo Schiavetta

 


Par larouge • Romero Norberto Luis • Samedi 01/09/2012 • 0 commentaires  • Lu 1517 fois • Version imprimable

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