La soif primordiale: Vampire, y'a pas pire
Pablo de Santis est-il un vampire ?Dans un roman que ne renierait pas le barcelonais Carlos Ruiz Zafon, le romancier argentin Pablo de Santis mêle goût des livres et surnaturel vampirique. Les amateurs de Twilight peuvent aller se faire cuire un steak (bleu de préférence) : la Soif Primordiale fait exactement ce qu'il faut faire pour prendre le mythe à sa source XIXème et lui donner des airs de jeunesse intelligents. Amateurs de frissons lettrés bienvenus, ceci est un (petit) chef d'oeuvre du genre. Découvrir un livre de vampires en 2012, c'est comme découvrir du pétrole au Moyen-Orient dans les années 1960 : un truc qu'on fait tous les jours et qui met un peu mal à l'aise. Il y a eu tellement de saloperies écrites sur les buveurs de sang et autres monstres des Carpates depuis que la vague vampirique bat son plein qu'on désespérait de trouver un jour quelque chose d'appétissant à se mettre sous les canines. Heureusement pour nous, Pablo de Santis, quadragénaire finissant et touche à tout de Buenos Aires, arrive et c'est une excellente nouvelle. L'homme s'est fait connaître par quelques romans dont le déjà remarqué Cercle des douze. La soif primordiale semble (on n'a pas tout lu de ses 4 romans) sortir du lot par son ambition et sa virtuosité. Dans les années 50, alors que l'Argentine respire mal sous la coupe de la dictature, un jeune homme sans véritable emploi (il répare des machines à écrire) va se retrouver embauché dans un journal en vue. Suite à la disparition d'un journaliste, Santiago reprend à son compte la rubrique « ésotérique » du journal. A cette occasion, il est mis en contact, lors d'une convention mystérieuse, avec « les antiquaires », des types bizarroïdes qui vivent entourés de vieux objets, s'échangent des livres rares et sont habités par la « soif primordiale ». Les antiquaires sont évidemment des vampires que chassent et traquent une bande d'aristocrates et de modernistes. De Santis reprendra par la suite les codes du genre : il y a les bons et les méchants, le passé sombre, les fous furieux et les sages, le sang de synthèse qui permet d'éviter de dévorer de l'homme frais, etc. La soif primordiale est un immense roman fantastique et social dans ses 100 premières pages. Le personnage de Santiago est dessiné en quelques coups de pinceaux remarquables : provincial un peu timide, puis reporter naïf. Il n'y a guère mieux que le début du roman qui nous plonge dans la normalité d'une ascension sociale pleine d'espérance et d'énergie. Les descriptions du journal sont parfaites. La disparition de l'aîné qui fait à la fois la rubrique ésotérique et les mots croisés superbe. Le jeune journaliste informe aussi le ministère où un employé fantomatique vit l'aventure par procuration. C'est un sans faute. Suce ou crève Santiago s'approche un peu trop près du mal. Il tombe amoureux fou et finit, comme on s'en doute, transfusé par du sang contaminé. Devenu vampire lui-même, il prend son médoc et intègre les rangs des bouquinistes. De Santis réussit à la quasi perfection à faire comme Zafon : il fait respirer les vieilles villes, les livres, le mystère des romans... mystérieux. C'en est presque caricatural mais on marche à fond entre les après-midi poésie et les virées chez les bouquinistes codés. L'amoureuse est la fille du chasseur de vampire. L'immortalité porte la tragédie : finie vie sociale, amis, famille. C'est réclusion et lamentation/damnation éternelles, le visage pâle et le nez qui coule. La seconde partie du roman est moins surprenante que la première. L'auteur déroule un schéma qu'on a déjà lu chez Stoker lui-même : le problème du passage d'un camp à un autre, la peur de l'isolement et l'enracinement de la différence. Cela n'en reste pas moins extrêmement bien fait. Le lecteur est saisi à la gorge par la façon dont son gentil reporter se laisse contaminer par le mal (il y a cette scène vaguement érotique où il suce sa mie dans le noir...) et perd ses repères. Dans une tentative assez branque d'améliorer les choses, le gentil Santiago précipite l'arrivée du bordel qu'on attendait. C'est l'affrontement, l'effondrement et le temps de la philosophie qui reprend tout à zéro. La fin du roman, après un petit passage en roue libre, se remet à la hauteur du début : on boit à cette Soif Primordiale comme si c'était du nectar et pas autre chose. Entre les vieux livres qui passent de mains en mains, la fille qui désire et l'ambiance Buenos Aires milieu du siècle, poussiéreux et droit du bulbe, c'est le bonheur complet. On frémit, on frissonne, on gémit et on joue au vampire avec la première jolie fille qui passe. Voilà un livre qui rend fort et sournois à la fois. Dire que la soif primordiale donne un coup de frais au mythe du vampire serait faire injure au genre. Le roman sent la viande faisandée, la naphtaline et la romance poussiéreuse. La soif Primordiale est un roman qui délaisse les effets de manche de l'époque pour s'intéresser autant à ses monstres qu'au temps qui passe et à l'environnement. Comme chez Stoker, ce n'est pas le vampire lui-même qui compte mais la perspective déployées par le passage d'un état à un autre, le rapport au groupe et à la passion. De Santis réussit un livre à la fois exaltrant, cultivé et envoûtant. C'est beaucoup et c'est bien peu. Il ne faut pas se laisser beurrer les lunettes par le savoir-faire. C'est du bon boulot et puis c'est tout.
Par Daniel De Almeida
source: http://fluctuat.premiere.fr/Livres/News/La-soif-primordiale-Vampire-y-a-pas-pire
Par Daniel De Almeida
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