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Vladimir Ilitch contre les uniformes

Par larouge • Diez Rolo • Mardi 23/06/2009 • 1 commentaire  • Lu 1366 fois • Version imprimable

Vladimir Ilitch contre les uniformes
de Rolo Diez (Auteur)





 
Broché: 334 pages
Editeur : Gallimard (9 septembre 1992)
Collection : Noire

Mettez ensemble un retraité, un adolescent maniaco-dépressif, une vieille tortue anarchiste et un employé de banque de trente ans.Placez-les au cœur de Buenos Aires, en pleine dictature, alors que la " guerre sale " prend fin à l'avantage des militaires. Quelle est l'action la plus raisonnable qu'ils entreprendront ? Braquer une banque et signer ainsi la défaite par une victoire. En réaliste impitoyable, Rolo Diez raconte comment l'histoire ne donne pas nécessairement raison aux " bons ". Militaires, psychiatres, machos, yuppies et ménagères, personne n'échappe à l'irrévérence de l'auteur.Les révolutionnaires deviennent tordants à force de marcher droit et ce n'est pas parce que les salauds ont tort qu'ils n'ont pas leurs raisons. Face à cela, il ne nous reste qu'à admirer l'Homme Araignée et l'intrépide Vito Nervio, à nous méfier de Von Kranach et de l'envoûtante Madame Sabath. Ne serions-nous pas moins grotesques si nous prenions, comme Vladimir, la bande dessinée au sérieux ? Rolo Diez combine la tonalité du tango - âme profonde de l'Argentine - avec cette vision burlesque de l'existence.
L'un des points forts de ce roman picaresque est le rocambolesque hold-up de la banque. Aux cotés de ces braqueurs d'opérette, on découvre avec délectation d'autres personnages emblématiques : des militaires, un mouchard, quelques militants révolutionnaires... Certes, Rolo Diez fait le choix de la dérision, mais il reste d'une impitoyable lucidité pour mettre à nu les illusions des uns et les perversions des autres. --Lisa B.

Commentaires

à propos de par larouge le Mardi 23/06/2009 à 16:51

Critique de lemonde
Le 02 Octobre 1992
Folies argentines
Comment n'y pas penser ? Le lieutenant Julian Quesada, qui quitte, au petit trot, Buenos-Aires, un jour de novembre 1828, dressé sur " un cheval noir, nerveux et agile ", ne ressemble-t-il pas comme un frère au lieutenant Giovanni Drogo du Désert des Tartares ? Comme lui, à vingt-six ans, il a soif d'aventure, d'inconnu : " Quelque chose, n'importe quoi, devait changer dans ma vie. " Et sa destination, ce fort Independencia, perdu dans l'immensité de la pampa, qu'on n'atteint pas sans chevaucher de longues journées à travers " un désert froid et muet (...), plein de pièges mortels ", n'est-elle pas la réplique du fort Bastiani, qui dominera à jamais, dans l'imaginaire de millions de lecteurs, la plaine des Tartares ? Oui, comment, lisant l'Armée des cendres, de José Pablo Feinmann, ne pas penser au chef-d'oeuvre de Buzzati ? Tout y incite, jusqu'à cette attente que Quesada, parvenu au fort, doit subir, une attente qui use les nerfs et exaspère l'impatience de qui rêve du glorieux fracas des armes ou d'un destin et voit ses jours engloutis dans une pesante routine, cette même routine qui raison de la jeunesse et des élans de Drogo.Tout y incite, et pourtant ce n'est que faux-semblant, comme ces mirages qui se dissipent à mesure qu'on en approche. Car le véritable héros de l'Armée des cendres n'est pas Quesada, mais le colonel Andrade, le commandant du fort Independencia. Un homme d'ordre jusqu'au fanatisme, un " guerrier " visionnaire, convaincu d'avoir à mener une mission purificatrice. Lui, le héros de la bataille de Junin, sous les ordres de Bolivar, n'attendra pas que l'ennemi vienne à lui. Il ira le débusquer, où qu'il se cache dans le désert, emmenant avec lui Quesada et deux cents hommes.Quichotte sanglantCommence alors une longue errance, une impitoyable marche forcée. " Celui qui ne sera pas assez résistant restera dans le désert ", a prévenu Andrade. Il tiendra parole, exécutant de sa main ceux qui faiblissent, vaincus par la fatigue, un soleil de feu, cette fureur du ciel d'où, un jour, tombe même ce qui ressemble à des cendres, effaçant toute trace. " Ils formaient maintenant une armée grise. Une armée d'hommes gris, aux uniformes gris, sur des chevaux gris, sur une plaine grise. " Une armée hallucinée qui marchera désormais au hasard, sous la conduite d'un chef sombrant, peu à peu, dans la folie. Et finissant, Quichotte sanglant, par charger, seul, une dune de sable désespérément vide...Dans un précédent roman, Feinmann décrivait, avec la minutie d'un miniaturiste, un tueur tissant sa toile autour de sa victime et découvrant, au bout du compte, qu'il était lui-même la cible (1). C'est le même vertige qui saisit le lecteur de ce fascinant et talentueux jeu de miroirs avec l'oeuvre buzzatienne qu'est l'Armée des cendres. Comme s'il découvrait que, derrière la méditation sur la fatalité de la destinée humaine et la cruauté du temps qui passe, se cachaient nécessairement la folie guerrière et la cruauté des hommes.Folie de l'ordre d'un côté, éloge du désordre de l'autre. Car voici qu'au même moment paraît un roman d'un autre Argentin qui, affrontant une période plus récente de l'histoire nationale, tient une redoutable gageure : traiter en farce noire la " guerre sale ", cette guerre que, dans les années 70, les militaires argentins livrèrent à leur propre peuple, au prix de milliers de morts et de disparitions.Dans un Buenos-Aires étouffant, où rôdent des voitures sombres qui enlèvent les passants au hasard, selon le principe que même les innocents sont des coupables en puissance, Rolo Diez glisse, comme on placerait une bombe, un quatuor improbable, réuni dans un commun refus de l'étreinte mortifère et, au-delà, de tous les ordres, qu'ils soient médicaux, familiaux ou politiques : un adolescent fanatique de bandes dessinées, un retraité las d'être traité comme un enfant, un vieil anarchiste échappé d'un asile et un comptable ivre de se libérer du morne quotidien.Ces mousquetaires de la révolte, intuitifs, joyeusement imprévisibles, échappent à tout contrôle. Ils sont le grain de sable dans la machine de mort banalisée que symbolisent, sans jamais verser dans la caricature, une série de figures emblématiques : le commandant Araiza, qui aurait sans doute, s'il avait eu connaissance du personnage de Feinmann, applaudi aux diatribes du colonel Andrade sur " l'ordre sacré de la civilisation " et les " ennemis de la patrie ", mais, loin de la grandeur _ fût-elle démente _ du " héros de Junin ", n'est qu'un petit fonctionnaire de la répression, masquant mal, sous une attitude martiale, sa servilité envers les forts ; le cadre Di Goia, opportuniste inquiet, qui ne cesse de s'autojustifier ; et même le Responsable, militant révolutionnaire de haut rang, qui constate, jour après jour, l'effondrement de l'organisation sous les coups de la répression, mais veut continuer à croire à la validité de la " ligne ".L'auteur, qui a vécu dans sa chair ces sombres années, n'épargne rien à son lecteur. On meurt _ beaucoup _ et on torture _ avec férocité _ dans Vladimir Ilitch contre les uniformes. Les illusions des uns, les perversions des autres sont disséquées avec une impitoyable lucidité. Mais on y rit aussi, d'un rire libérateur contre la bêtise et l'abjection. Et par la grâce de Vladimir et de ses burlesques compagnons, c'est finalement un formidable hymne à la vie, à l'espoir maintenu au pays même de la désespérance, que signe Rolo Diez. La littérature argentine a, décidément, le génie du paradoxe.
AUDUSSE BERTRAND



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