En rentrant du spectacle « Borges vs Goya », deux pièces de Rodrigo Garcia jouées au bord du canal de l'Ourcq par la compagnie Akté, le président de la République, sous la forme d'un déroulant au bas d'un journal télévisé tardif, m'apprend que Georges Wilson est mort et qu'il « a été le théâtre ».
Être ou ne pas être le théâtre
Tous les « grands acteurs » -et Wilson en fut un- ont « été le théâtre » et la phrase présidentielle m'apparaît comme une lapalissade, une de plus (Sarkozy en est friand).
Cependant, sur Internet, je découvre le texte complet du communiqué de l'Élysée qui explicite le raisonnement présidentiel : « Georges Wilson n'a pas théorisé le théâtre, il a été le théâtre ». Étrange formulation. Faut-il en conclure que celui qui le théorise ratiboise le théâtre, ou même qu'il lui nuit, qu'il le bouffe par les racines ?
Faut-il voir là une haine sarkozyste pour tout ce qui ne relève pas, en matière culturelle, du seul divertissement (appelons cela le syndrome de la princesse de Clèves) ? Ou faut-il voir là, plus benoîtement, l'habituelle hypertrophie des discours officiels lorsqu'un artiste passe de vie à trépas et devient illico presto une icône inattaquable ?
Wilson et le rôle du vieil acteur
Il y avait quelque chose de sublime et de pathétique à voir à 88 ans, le vieux lion Wilson, jouant dans « Simplement compliqué » de Thomas Bernhard, faisant corps avec le personnage du « vieil acteur », faisant sien son ruminement, ses rancœurs, partageant avec lui le rôle de Richard III, donnant à l'acteur le dernier mot. Mais Georges Wilson (père de Lambert), fut aussi directeur et metteur en scène.
Est-il exagéré de dire que si Georges Wilson fut un « grand acteur », il fut aussi un directeur du TNP qui succéda difficilement à Jean Vilar dont l'ombre, forcément, pesa longtemps sur ses épaules ? Est-il scandaleux de soutenir que le metteur en scène qu'il fut (au TNP, puis au Théâtre de l'œuvre par exemple) fut d'honnête facture mais ne marquera pas l'histoire de la mise en scène ? Tais-toi, critique de merde. « Il a été le théâtre » et basta.
Garcia et le rôle du fouteur de merde
Rodrigo Garcia est le théâtre. Il joue, il écrit, il met en scène. Ce fils de boucher fait saigner la langue, rue dans tous les brancards, fait chier la firme Disney qui a voulu lui intenter un procès, emmerde les hommes politiques, les curés, la société protectrice des animaux, l'hypocrisie post coloniale, la société de consommation.. Il ne respecte pas les icônes, insulte les morts. On l'aura compris, c'est un moraliste.
Comme Garcia l'avait fait lui-même en 2006, Arnaud Troalic, cofondateur de la compagnie Akté avec Anne-Sophie Pauchet, met en scène ensemble « Borges » et « Goya ». Deux icônes intouchables dont Rodrigo Garcia se gargarise.
Borges et Goya version tuilage
Troalic ne les monte pas successivement en diptyque, il les « tuile », enchâsse les deux textes (des monologues).
De plus -autre ravissement-, le spectacle circule entre les langues : « Borges » est dit en français par Troalic avec sous-titres en espagnol de phrases emblématiques ; « Goya » est dit en espagnol (par le fabuleux Julien Flament) avec sous-titres en français projetés sur un mur où s'adosse le décor rudimentaire.
Des sous-titres que l'acteur envoie lui-même en appuyant sur le bouton rouge d'une sorte de souris, geste qui rythme son jeu et les mouvements de son corps éruptif.
Jeux de massacre
« Borges » est une commande pour honorer à Madrid le centenaire de la naissance de l'écrivain argentin Jorge Luis Borges, compatriote de Rodrigo Garcia. Immense écrivain et fieffé réactionnaire. Garcia écrit :
« J'ai faut ce que j'ai pu. Exprimer mon admiration pour son style et ma rage devant ses graves négligences civiques. »
« Goya » (sous-titré « Je préfère que ce soit Goya qui m'empêche de fermer l'œil plutôt que n'importe quel enfoiré ») raconte l'histoire d'un père madrilène dont les deux jeunes enfants veulent aller à Disneyland à Marne la Vallée. Le père, qui ne peut s'y résoudre, décide de claquer toute ses économies avec ses mômes dans une nuit de folie :
- acheter un maximum de coke
- faire venir d'Allemagne un philosophe à la mode pour qu'il leur cause dans le taxi
- aller bouffer les meilleures croquettes et enfin
- casser une vitre du Prado et entrer nuitamment au musée pour admirer les œuvres de Goya.
Voiture pourrie sur canapé minable
Entre l'espace confiné d'une petite voiture pourrie pour « Borges » et un canapé en skaï acheté au rabais pour « Goya », l'espace structuré du spectacle est rapidement mis à mal par la traversée d'un monologue par l'autre. Comme une contamination réciproque qui gagne l'espace. Borges versus Goya, exactement. On est mieux à deux quand on est seul.
Garcia est comme ça : même quand il écrit un simple monologue, il convoque la terre entière. Précoce en tout, il se moque volontiers de sa future disparition : « J'ai acheté une pelle chez Ikea pour creuser ma tombe » est le titre de l'une de ses pièces, « Et dispersez mes cendres à Eurodisney » était le titre d'une autre.
Menacé de procès par la firme, l'auteur a dû se résoudre à troquer ce dernier titre pour le plus anodin « Et balancez mes cendres sur Mickey ». Quoi, Mickey est mort ? On attend d'un instant à l'autre le communiqué de l'Élysée.
► Borges vs Goya par la compagnie Akté au théâtre Au Fil de l'eau, à Pantin - 20 rue Delizy, métro Eglise de Pantin - 19h30, jusqu'au 7 fev - 01 48 58 58 52 - Puis tournée jusqu'à la fin mars à la Comédie de Caen, Théâtre d'Arras, Théâtre 140 à Bruxelles, Atelier du Rhin à Colmar, Sallanches, Théâtre Durance au Chateau-Arnoux-Saint-Auban, Draguignan.
Photos : Olivier Roche/DR
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