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Rodrigo Garcia ou les limites de la provocation sur scène

Par larouge • Garcia Rodrigo • Samedi 27/06/2009 • 0 commentaires  • Lu 1240 fois • Version imprimable

Rodrigo Garcia ou les limites de la provocation sur scène
Article paru dans l'édition du 29.12.07
Chaque jour, jusqu'au 29 décembre daté 30, retrouvez, avec l'un de ses acteurs, un débat qui a agité le monde culturel en 2007.
Si l'on en croit Ernst Jünger, « peu de personnes méritent d'être contredites ». Rodrigo Garcia fait partie de celles-là. Avec le Flamand Jan Fabre, l'Hispano-Argentin arrive en tête de ceux qui, sur les scènes, manient la provocation. En 2005, Jan Fabre a enflammé le Festival d'Avignon, dont il était l'artiste associé, en présentant L'Histoire des larmes dans la Cour d'honneur du Palais des papes. En 2007, Rodrigo Garcia a pris le relais, avec Et balance z mes cendres sur Mickey, qui a suscité une querelle, certes sans commune mesure avec celle d'Avignon, mais très représentative d'un état des lieux de la provocation aujourd'hui.
Tout est parti d'une offre d'emploi diffusée sur le site de l'ANPE-spectacle, dans les jours qui ont précédé la première du spectacle, au Théâtre du Rond-Point, à Paris, dans le cadre du Festival d'automne. « Urgent : le Théâtre du Rond-Point recherche pour la figuration du spectacle de Rodrigo Garcia, du 8 au 18 novembre 2007, 15 jeunes femmes aux cheveux longs acceptant de se faire raser la tête pendant le spectacle (rémunération 200 euro s brut). »
Raser les cheveux d'une femme sur scène : cette perspective scandalise Fanny Carel, auteure de deux romans parus au Mercure de France et comédienne sous le nom de Sophie Caffarel. Dans un texte qu'elle fait circuler sur Internet, elle dénonce violemment la proposition : « Le traitement jadis infligé aux malheureuses qui avaient «trahi la patrie» en couchant avec un soldat allemand soulève le coeur par la brutalité, la lâcheté, la stupidité du procédé : cela s'apparente a u lynchage, le plus abject des crimes. »
Fanny Carel rapproche aussi le rasage des cheveux de l'histoire de Fantine, l'héroïne des Miséra bles, de Victor Hugo. En rappelant l'humiliation de la pauvreté, et celle de l'épuration, la romancière-comédienne touche deux points sensibles en France - surtout le second. Elle attaque aussi la dimension esthétique de la tonte : « Ce qu'on va proposer au public est bien moins de l'ordre du théâtre que du plus ou moins «gore», ingrédient principal de ce qu'on appelle désormais une performance. »
La rapidité de la circulation sur Internet, liée à l'absence de filtres due à la réaction immédiate, provoque une vague de protestations. Sans qu'il soit question du contenu du spectacle de Rodrigo Garcia, dénoncé avant d'avoir été vu. Un seul point est retenu, jugé et condamné par principe : celui de la provocation.
Pourtant, Et balancez mes cen dres sur Mickey a déjà été joué sans aucun problème au Théâtre national de Bretagne, à Rennes, où il a été créé, en novembre 2006. Pour François Le Pillouër, directeur du TNB, la polémique de 2007 s'inscrit dans un contexte où « la droite relève la tête ; il y a un recul de la suprématie du discours de gauche, en matière culturelle ».
François Le Pillouër pointe aussi un autre élément de nature à alimenter la contestation d 'Et balancez mes cendres... : la rançon du succès. Rodrigo Garcia a « commencé petit », en présentant ses spectacles devant un public souvent averti, au début des années 2000. La provocation était déjà au coeur de son théâtre, qui n'a jamais cessé de renvoyer un miroir, volontairement trash, de la société de consommation.
Au fil du temps, l'aura de Rodrigo Garcia a grandi, en même temps que son public s'est élargi. Avec le risque inhérent à toute entreprise qui entend dénoncer, et qui, en le faisant, séduit : se voir récupéré par l'institution. Dans ce cas, c'est la part la plus spectaculaire - et pas toujours la plus intéressante - qui prend le dessus dans l'opinion et conforte la renommée : on retient de Rodrigo Garcia qu'il arrose de ketchup la scène - et les premiers rangs de spectateurs -, qu'il enduit les corps des acteurs de substances diverses et avariées, ou encore qu'il fait tondre une femme en scène. Et le reste est oublié. « Pourtant, dit François Le Pillouër, ce n'est pas la provocation qui est intéressante chez lui, mais son esprit d'observation très fin, à la Montaigne. »
Gérard Violette, directeur du Théâtre de la Ville, qui a fait découvrir Garcia à Paris, va un peu dans le même sens. « On vit une période privée de grands mouvements artistiques, en théâtre et en danse. On tolère tout. Le prochain spectacle de Jan Fabre va d'ailleurs s'appeler L'Orgie de la tolérance. Mais, de temps en temps, il y a une poussée de chaleur, qui est comme une tempête dans un v erre d'eau. »
Rodrigo Garcia, lui, est beaucoup plus radical... et fataliste. « Je n'aime pas mon public, parce que je me reconnais en lui. On vit tous surprotégés, à l'intérieur d'une bulle de faux bien-être. Je ne peux pas faire du théâtre pour que les gens continuent à être bien dans leur bulle. Je tente à l'intérieur de mon propre produit de consommation d'injecter une petite substance venimeuse. Mais je ne peux faire que ça. Si mon discours touche quelqu'un, tant mieux. S'il ne touche personne, c'est triste, mais, bon, je continue. »
Brigitte Salino

Source: www.lemonde.fr

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