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ré- à propos de “le jouet enragé”

Par larouge • Arlt Roberto • Vendredi 12/06/2009 • 0 commentaires  • Lu 642 fois • Version imprimable

  • Currently 5/5

Note : 5/5 (1 note)

LETTRES D’AMERIQUE LATINE Arlt l’effronté

Article paru dans l’édition du 27.05.94

Réédition d’un Argentin méconnu, qui souhaitait que ses livres aient ” la violence d’un crochet à la mâchoire “

Cet étrange roman a été écrit en 1926. Publié en France il y a une huitaine d’années aux Presses universitaires de Grenoble (1), il vient d’être repris par l’éditeur Cent Pages, avec une préface de Juan Carlos Onetti : ” Je parle d’un romancier dont la stature va grandir au fil des années et qui, incompréhensiblement, est presque inconnu dans le monde entier “, écrit l’auteur du Chantier.Roberto Arlt a été dédaigné par Roger Caillois, le grand ” découvreur ” des lettres sud-américaines, peut-être parce que son écriture allait à contre-courant de l’esthétique littéraire admise. Cet homme solitaire au ” rire effronté “, qui ” littérairement parlant était un stupéfiant analphabète “, selon Onetti, déconcertait et passionnait ses contemporains. Borges clôt la littérature du XIXe siècle. Avec Arlt, c’est un renouveau. ” Aujourd’hui, écrit-il, parmi l’édifice social qui s’effondre inéluctablement, il n’est pas question de penser à la broderie. (…) Ce temps-là est révolu. Nous créerons notre littérature non en parlant continuellement de littérature, mais en écrivant dans une orgueilleuse solitude des livres qui auront la violence d’un crochet à la mâchoire. ”

Il est né avec le siècle à Flores, faubourg de Buenos-Aires, d’une mère triestine, qui lui lisait l’Arioste et Dante dans le texte, et d’un père prussien, ancien officier de l’armée impériale, qui lui ordonnait froidement à chaque polissonnerie : ” Venez dans ma chambre demain à six heures pour que je vous fouette. ” Il est mort d’un infarctus à quarante-deux ans, lui qui se vantait de monter à pied les dix-huit étages du cabinet de son cardiologue sans que rien ne lui arrive.

Autodidacte battu, humilié, Roberto Arlt quitte très vite sa famille pour la misère, les épaves et les truands de la capitale. Il fait passer son expérience dans des personnages taraudés par des aspirations obscures. Finis les quartiers pleins de mauvais garçons pittoresques et esthétiques. La ville d’Arlt est celle des bas-fonds, où les murs suintent et où les draps des pensions puent le sperme. Ses habitants ne valent pas mieux, ce sont ” des monstres qui pataugent dans les ténèbres “.

Comme une bombe

Le Jouet enragé est le premier roman de Roberto Arlt. Ce fut comme une bombe posée dans une société tournée vers la culture européenne ou figée dans l’exaltation du folklore. Son ton est rude, son écriture abrupte, d’une violence que rien n’atténue. Arlt y met en place les ruffians, les pervers, les fous et les inventeurs qui, plus tard, hanteront ses chefs-d’oeuvre, les Sept Fous et les Lance-flammes (2).

Le roman est structuré en quatre chapitres qui correspondent à quatre étapes de la vie de Silvio Astier Drodman, un adolescent issu d’une famille d’émigrants où le père est étrangement absent. Silvio lit tout ce qui lui tombe sous la main. Chassé de l’armée à cause de son intelligence, il est acculé à faire face aux réalités et tente de s’intégrer dans un milieu qu’il déteste. Comme un ” grand “, Silvio organise une sorte de gang avec deux amis, une société secrète de délinquants, où ils échafaudent des plans pour voler et tuer conformément aux modèles que leur offrent les adultes. Leurs intentions seront beaucoup plus ambitieuses que les forfaits réalisés. Plus ils plantent leurs griffes dans la société, plus elle les rend insignifiants plus elle leur devient absurde.

On reconnaît là un bon vieux thème qui fit la fortune du roman picaresque espagnol. Et, comme dans ce genre littéraire, le dérisoire et le sublime sont ici au rendez-vous.

Roberto Arlt croyait à la symétrie antique entre le bien et le mal, mais c’est la déchéance que son imagination a su peindre admirablement. Lors de la préparation d’un coup, Silvio donne son affidé, le Boiteux, à la police, atteignant par l’ignominie et la trahison l’affirmation de soi.

Tous les livres de Roberto Arlt sont très difficiles à traduire en raison de la langue dont il use. Les écrivains argentins d’alors écrivaient ” bien ” pour pouvoir se permettre de citer l’argot ou le langage parlé. Arlt ne cite pas, il transforme un matériau fait de restes, de bric et de broc, de tronçons de voix. Lui-même a déclaré que son écriture est une ” prose polyfacétique ” dans laquelle fusionnent le charabia des romans-feuilletons et des magazines populaires, le lexique souvent désuet des traductions _ notamment russes _, l’espagnol traditionnel et le jargon de son quartier _ lunfardo _, très marqué d’italien. En forçant à la fois la langue à traduire et la traduction, Isabelle et Antoine Berman ont trouvé des analogies qui déplacent les effets d’un lieu du récit à un autre. Par ces équivalences, ils ont réussi à rendre toute l’étrangeté du texte.

CHAO RAMON

© www.lemonde.fr

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