Portrait
• Jardinage Humain• Le jour où je me suis acheté une pelle en solde pour creuser ma propre tombe• Le Roi Lear• Ronald, l'histoire du clown de chez McDonald(Les Solitaires Intempestifs, 2003
Qu’est ce qu’on mange ?
« (…) On peut apprendre à jouer au foot dans n’importe quel coin, mais on peut aussi apprendre à lire, à écrire et à penser dans n’importe quel coin. »4ème de couverture de Jardinage Humain
Et tout le monde peut comprendre le théâtre de Rodrigo Garcia. La vision des pièces de Rodrigo Garcia plus que leur lecture interloque tout à chacun. Point d’emphase littéraire mais une énergie folle qui part dans tous les sens, des mots qui s’emballent, crachats virevoltants de la scène jusqu’au public, glaviots contre les idées reçues, l’idolâtrie malsaine de l’argent, une soif de vivre et de changer la société en un espace qui dépasse le simple cadre de la consommation courante. Nourriture avalée à la va vite, humanité consommée sous plastique, l’auteur argentin s’attriste du 20ème siècle et dépeint l’être humain comme une poubelle sentimentale, un goinfre acéphale, un corps aux sécrétions trop abondantes, un cerveau vacant, un ventre, gouffre sans fond. Egal aux produits qu’ils achètent, tous plus dégueulasses les uns que les autres, l’être humain a du souci à se faire car ce n’est pas au supermarché, au centre commercial, haut lieu de l’expression du capitalisme quotidien, qu’il va s’élever et éviter l’horreur.
De la vitesse de la destruction de l’humain
Mâcher, digérer, assimiler, rejeter. Il en va de la nourriture comme de l’humain. Quand la mort se met à table, ce n'est pas beau à voir… ni à sentir. Images vidéos tour à tour saturées et douces, odeurs nauséabondes des produits dits de consommation courante traînant sur le plateau, déferlement de beat technos, airs d’opéras désuets, nappes synthétiques en suspens, morceaux rock testostérones, Rodrigo Garcia se plaît à tout mélanger pour nous restituer la bouillie qui se tient en nos cerveaux. Doué et se jouant des mythes comme des idoles, insolent mais se foutant de lui-même, son écriture est d’une fraîcheur peu commune, délivre un message clair et simple et touche non pas seulement en terme de spectateur d’une production théâtrale hors normes, mais avant tout en tant que citoyen qui voit la société telle qu’elle est devenue : un gigantesque supermarché des perversions.
« Avant on avait des villes, maintenant on a des magasins »
L’obscénité de la société de consommation, sa totale ineptie, sa latente vulgarité, sa profonde inhumanité, Rodrigo Garcia la traduit à travers un flot ininterrompu et abominable de nourriture sous emballage, ingurgitée sans limite par ses acteurs performeurs à qui il destine ses textes. Que l’on ne s’y trompe pas, point de gratuité dans le grotesque comme dans l’exposition des corps. Rien de pornographiques ici, la nudité n’a rien de gênant, bien au contraire, dans la mesure où elle a presque quelque chose de rassurant, s’intégrant du reste parfaitement à la mise en scène décadente et jouissive où chacun en prend pour son grade — si ce n’est Jésus, seule figure un tant soi peu respectée, en témoigne la jolie liste des 40 enculés du siècle dernier… Autant dire que les idoles de la jeunesse de certains, porcs décapités rabaissés aux rangs de bêtes de foires, perdent alors de leur superbe.
« Ma technique pour écrire est simple. D’abord je copie mot pour mot sur quelqu’un qui me plaît. Je transcris. Je laisse passer un an et avec le temps je crois que c’est moi qui l’ai écrit. J’oublie complètement que je l’avais copié. Plus tard je tombe sur un livre de cet auteur que j’avais copié mot pour mot et en le lisant je me dis : on s’entendrait bien, tous les deux ! »
Le gâchis avec des mots et de la bouffe pour faire vomir. L’écriture de Rodrigo Garcia n’a assurément rien de littéraire mais elle est essentielle en ce sens où en deux ou trois phrases, tout est réglé. D’ailleurs, le bonhomme, ironique, ne se soucie guère des règles du bon petit écrivain en herbe et autres addicts des plateaux télés pour montrer leur petit minois de fils de bonne famille élevé en batterie chez Balzac et compagnie… Ici c’est plutôt le sens de la formule cinglante qui règne en maître. Rodrigo Garcia a dû en hériter à la naissance car pas un paragraphe sans un pic contre l’humanité, pas une phrase sans humour, pas un mot sans révolte. Tient-on donc un survivant des temps modernes, dénonçant une génération dont le seul but est la jouissance immédiate ?
« Ma règle est la suivante : je n’ai rien à dire, mais si je fais dans l’excès, j’aurai du succès. Et ça rime. »
Et surtout il le prouve se servant du plateau comme le lieu d’extravagances les plus diverses. Dinde qui explose, caddie de nourriture atomisé, il ferait venir un bœuf sur scène et le décapiterait que l’on ne serait ni ému ni étonné. Le tragi-comique et le politiquement incorrect prend tout son sens. Il ose tout ce que personne n’ose, déclame tout ce que personne n’ose chuchoter. En somme, il n’y a sur ce plateau que de grands enfants qui dénoncent la mocheté du monde. Ceci étant se pose à présent la question de l’évolution de son travail ; les ressources de son théâtre sont certes multiples mais sa source d’inspiration ou plutôt d’éructation ne peut décemment pas être inépuisable… Peu importe.
« La nature animale est la nature animale. Et la nature humaine est la nature de la censure et de la pudeur, et aussi du plus honteux des sentiments de supériorité. La nature animale est du domaine du concret. La nature humaine représente la liberté, c’est à dire la capacité de choisir, parmi toutes les options, la pire. »
Si son propos tautologique perd parfois de sa force et s’annule, l’auteur argentin a le mérite de donner des spectacles accessibles et compréhensibles de tous et non dédiés aux seuls «théâtreux». Employer le terme de pédagogie serait un abus, l’idée d’éducation un blasphème et pourtant, dans le travail de Rodrigo Garcia, de quoi s’agit-il d’autre si ce n’est d’une tentative de sauvetage de l’être humain devenu prisonnier, pantin stupide, vermisseau de la société qu’il s’est créé pour mieux se mourir à petit feu. Que le spectateur une fois sortie de la salle se mette à réfléchir et à changer le monde.
Philippe Beer-Gabel(janvier 2004)
Merci a http://www.sitartmag.com/garcia2.htm
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