de Julio Cortázar (Auteur)
Editeur : Gallimard (26 septembre 1973)
Collection : Folio
« Les porteurs de torches marchaient les premiers, éclairant vaguement le passage aux murs humides et à la voûte si basse que les servants du prêtre devaient courber la tête. On l'emmenait maintenant, on l'emmenait, c'était la fin. Face contre ciel, à un mètre du plafond taillé à même le roc, et qui s'illuminait par instants d'un reflet de torche. Quand, à la place du plafond, surgiraient les étoiles et se dresserait devant lui le grand escalier incendié de cris et de danses, ce serait la fin. »
Il fut une époque où je pensais beaucoup aux axolotls. J'allais les voir à l'aquarium du Jardin des plantes et je passais des heures à les regarder, à observer leur immobilité, leurs mouvements obscurs. Et maintenant je suis un axolotl.
La première phrase de la nouvelle Les Axolotls est à l'image de l'ensemble du recueil de Julio Cortázar, qui propose un panel de textes plus ou moins brefs, en équilibre sur le fil distinguant la fiction de la réalité, le rêve de l'état de veille. Le fantastique, décrit par Cortázar comme "l'autre côté des choses", est toujours en prise avec le réel, où il étend son empire, modifiant le temps et l'espace, les lois de la nature et la logique. Ainsi un homme ne sait-il pas ce qui se cache derrière son besoin d'observer ces poissons fascinants, les axolotls... tout comme ce photographe ne sait pas jusqu'où va le mener sa capacité à observer ceux qui l'entourent. De même cette biographie romancée du saxophoniste Charlie Parker intitulée L'Homme à l'affût qui nous propose le destin d'un homme qui recherche, dans sa quête métaphysique, une ouverture vers un ailleurs... mais lequel ?
Avec Les Armes secrètes, Julio Cortázar confirme son talent et accède au succès. Le réalisateur Antonioni tirera d'ailleurs de la nouvelle Les Fils de la Vierge le film Blow-up. --
Hector Chavez
Les Armes secrètes, Julio Cortàzar
Les Armes secrètes est un recueil de nouvelles du grand écrivain argentin Julio Cortàzar.
Né à Bruxelles en 1914 de parents argentins, il passe plus de 30 ans en Argentine avant de venir s'établir à Paris en 1951 - Paris qui, d'ailleurs, sert de décor à plusieurs de ses oeuvres.
Cortàzar est traditionnellement classé parmi les écrivains d'inspiration fantastique.
Les nouvelles qui composent ce recueil sont, pour la plupart, des déclinaisons, des variations autour du thème du double.
Le fantastique de Cortàzar se caractérise par l'absence de frontières entre l'inconscient, le rêve, l'imaginaire... et la réalité, par une réalité qui se transforme... en quelque chose d'autre.
Il est donc très différent du fantastique dit "classique", tel que décrit par Tzvetan Todorov (rupture, intrusion du surnaturel dans un cadre réaliste, connu et rassurant, et hésitation du personnage et/ou du lecteur entre une interprétation rationnelle et une interprétation irrationnelle des évènements).
C'est également un fantastique économe dans ses effets. Pas de rupture, mais un glissement au fil des pages.
En fait, en même temps que les personnages, le lecteur est invité à pressentir que le réel est équivoque, que la perception que nous en avons ne mérite qu'une confiance limitée - de percevoir que, derrière ou autour du cadre rassurant de la réalité, il existe un arrière-plan d'ombre, d'incertitude, d'inattendu.
Un autre réel non contrôlé mais si proche, si familier, si simple qu'il n'en est que plus angoissant.
C'est donc principalement le thème du double qui est ici traité, avec différentes nuances : dépossession (de soi)/possession, perte d'identité/acquisition d'une nouvelle identité allant souvent de pair avec une distorsion spatio-temprelle.
Le recueil contient 11 nouvelles, parmi lesquelles nous retiendrons :
"La Nuit face au ciel"
Le personnage principal a un accident de moto. Lors de son hospitalisation (rêve ? réalité ? hallucination ?), il vit en rêve l'expérience d'une victime sacrificielle aux temps des Incas. A la fin de cette nouvelle, le personnage principal est autre...
L'excellent "Axolotl", où le narrateur se voir fasciné, puis obsédé par des lézards sud-américains. Citons l'incipit, il est remarquable :
"Il fut une époque où je pensais beaucoup aux axolotls. J'allais les voir à l'aquarium du Jardin des Plantes et je passais des heures à les regarder, à observer leur immobilité, leurs mouvements obscurs. Et maintenant je suis un axolotl."La dernière phrase est à prendre au sens littéral.
"Continuité des parcs" qui est une extraordinaire mise en abyme ayant pour thème l'acte de lire.
"La Lointaine", dans laquelle nous avons véritablement affaire à un Doppelgänger. Le personnage principal, une jeune femme choyée, sent la présence d'une autre qui lui est intimement liée (sans qu'elle la connaisse, ni sache où - et quand - elle se trouve). Elle saisit des bribes d'une vie misérable sur un autre continent. Jusqu'à ce que, irrésistiblement attirée, ait lieu la rencontre.
"Les Fils de la Vierge" qui a inspiré le Blow up d'Antonioni : du pouvoir de la photo pour figer une scène désagréable, et d'une photo qui redonne de la réalité à cet incident - une réalité qui se déroule sur un autre plan mais qui contamine celle du personnage principal.
Et enfin "Les Armes secrètes". Cette nouvelle distille une atmosphère assez dérangeante et débute comme une histoire d'amour. Or, la jeune femme voit peu à peu l'amoureux prendre les traits psychologiques et le phrasé du bourreau de son enfance.
Les Armes secrètes donne une vision à la fois fidèle et poétique de l'univers fantastique de Cortàzar - un fantastique d'intériorité et de perméabilité (des identités, des "réalités") qui l'inscrit parmi les grands noms du fantastique contemporain, mais qui l'inscrit également parmi les grands noms de la littérature sud-américaine au même titre que Garcia Marquez et Borges.
Un auteur à lire absolument.
V. Ricci 24/11/09
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