Mots-clés : antonio di benedetto, le silenciaire, ecrivains, argentins
Le Silenciaire
de Antonio Di Benedetto (Auteur), Bernard Tissier (Traduction)
Broché: 191 pages
Editeur : José Corti Editions (11 février 2010)
" "Être dans le bruit". Telle est la consigne, [...] "Le monde sera bruit ou ne sera pas" ", dénonce le narrateur-sans-nom, le silenciaire du roman. Du bruit, il dit encore qu'il asservit, qu'il corrompt l'être, qu'il est un instrument-de-non-laisser-être. Entre un monde voué au bruit et le protagoniste, le conflit est donc irréductible. Fuyant les bruits de la ville qui le persécutent jusque dans sa chambre, le narrateur-sans nom entraîne sa mère et son épouse dans la vaine et interminable quête d'un lieu inaccessible au son. Il a beau affirmer qu'à l'inverse de son grotesque et tragique ami Besarión il tient en bride aspirations et imaginations, qu'il s'acquitte des devoirs du foyer et du bureau, peu à peu les noeuds qui rattachent au quotidien se défont. Le champ de sa conscience tend à se rétrécir jusqu'à ne plus laisser entrer - paradoxalement - que ce dont il a une crainte obsessionnelle, à savoir les bruits. Enfermée dans une perception monomaniaque de la réalité, s'égarant dans des ratiocinations compulsives, sa raison s'altère et chancelle. Cependant, pour malade qu'elle soit, la conscience du narrateur-sans-nom reste une conscience rebelle aux prises - et en prise - avec le monde. Pour évoquer la longue chute de son triste héros, Benedetto bannit les artifices rhétoriques et les discours explicatifs ; il use d'une langue sobre, ne s'attachant qu'à l'essentiel, et d'une efficacité étonnante. Son écriture laconique, mordante, incisive, et qui ignore superbement les transitions de la narration traditionnelle, est par ailleurs d'une étonnante souplesse. Car la sobriété du style n'est point chétivité ; celui-ci est au contraire riche de nuances et se plie à toutes sortes de registres : familier, soutenu, descriptif, réflexif, voire, lyrique.
La grille donne directement sur l’étroit patio carrelé. J’ouvre la grille et me heurte au bruit. Je le cherche du regard, comme s’il était possible de déterminer sa forme et de mesurer sa vitalité. Il vient d’au-delà des chambres à coucher, d’un terrain vague que je n’ai jamais vu – arrière-fond d’une vaste maison qui émerge d’une rue voisine. Du seuil de la cuisine, ma mère me prévient : « Ç’a été comme ça toute la matinée. » Déconcerté, je m’enquiers : « Mais qu’est-ce que c’est ? – Ils ont amené un autobus, mis le moteur en marche, et ils le laissent tourner, alors il tourne… » Comme je n’ai plus mine de vouloir entrer, elle ajoute : « Ton oncle est venu. Il va manger avec nous. Il est en train de lire le journal. » Le soleil ruisselle sur la table de la salle à manger. Louer sa bonté appartient au rituel du déjeuner et passe pour aussi nécessaire que l’action de grâce. Mais pas moyen de procéder comme à l’accoutumée. Le bruit, continu, s’impose à nous plus que n’importe quel autre objet. « Comment savez-vous que c’est un autobus ? – J’ai demandé à ton oncle d’aller jeter un coup d’oeil. » Le frère se borne à un hochement de tête qui avalise l’information. Le pourquoi de la démarche est implicite : depuis que le bruit a commencé, elle s’énerve et s’agite et s’inquiète, par anticipation, pour le fils. Mon oncle opine : « Ça ne peut pas s’éterniser. Les autobus, ça va ça vient. » Le bruit, qui me comprime la tête, m’excite à répliquer : « ‘‘Ça va ça vient’’ ? Balivernes ! Vous ne vous rendez pas compte que cet autobus est différent, qu’il est encastré dans la maison ? Vous ne l’entendez pas, par hasard ? Évidemment vous n’allez pas en souffrir, vous n’habitez pas ici !…»
source: www.jose-corti.fr/titresiberiques
/silenciaire_di_benedetto.html#Ancre%20extrait
Derniers commentaires
→ plus de commentaires