"Le Cercle des douze", de Pablo de Santi : le livre de l'Enigme
On entre aisément dans ce livre d'un auteur argentin déjà traduit en France. Les thèmes en sont délibérément originaux, abstraits même, puisqu'il s'agit de l'Enigme et de l'Indice, donc aussi de la Trace. Ces thèmes, l'auteur l'a bien compris, dépassent largement le cadre du simple détective. Les amoureux les plus tendres, les malades les plus angoissés, les généraux les plus audacieux recueillent et scrutent constamment des indices, comme ils affrontent des énigmes. Œdipe symbolise cette quête éternelle devant le sphinx, elle nous poursuit tous, à chaque instant. Elle nous angoisse, et le talent de cet auteur est d'abord de s'en être rendu compte et d'en avoir fait la matière d'un roman.
Que se passe-t-il exactement au pied de la tour Eiffel récemment construite, mais pas encore inaugurée, alors que Paris s'affaire aux préparatifs de la grande exposition, en 1888 ? La capitale, reine du monde, se grise d'avance des prodiges qui se réaliseront en son sein. Du monde entier arrivent des merveilles d'ingéniosité : des inventions salvatrices, des machines qui rendront l'homme libre de postuler enfin au bonheur.
Arrivent aussi des détectives, les meilleurs de la planète, ceux qui ont fondé le Cercle des douze et projettent de tenir pendant l'expo un de leurs rarissimes cénacles. Ils y ont leur stand et s'inquiètent un peu de savoir ce qu'ils y mettront : un microscope ? un revolver ? Mais c'est avec leur cerveau que ces maîtres déduisent et confondent, avec leur patience et leur minutie qu'ils réussissent leurs raisonnements : "Un assassinat est toujours un problème de chambre close. Et la chambre close, c'est le cerveau du criminel." Comment matérialiser la déduction, dans quelle vitrine exposer l'intuition ? Ils repoussent d'ailleurs l'idée même de révéler leurs méthodes à la plèbe : "Nous voulons vivre dans des bulles de verre... être des raisons pures." Cette gestion du stand de l'énigme et de la déduction est décidément bien délicate.
Sur le plan littéraire, on peut imaginer bien des manières d'approcher ces thèmes : c'est une conséquence de leur universalité. L'auteur, pourtant, comme intimidé par ses douze détectives dont certains viennent de loin - du Japon, par exemple, et naturellement d'Argentine -, a choisi de ne pas généraliser, de ne pas sortir de l'enquête criminelle, et d'exploiter librement le cadre de Paris à la fin du XIXe siècle. A partir de la tour de M. Eiffel et des meurtres qui s'y perpètrent - y compris sur des gens déjà morts -, il nous entraîne dans les milieux occultistes, les sectes, les crypto-chrétiens.
Le foisonnement des personnages risque de dérouter les lecteurs les moins appliqués, et les citations du Desdichado de Nerval ne simplifient pas le travail des détectives. Reste cette idée d'une théorie de l'énigme et de l'indice : à elle seule, elle justifie l'entreprise.
LE CERCLE DES DOUZE (EL ENIGMA DE PARIS) de Pablo de Santi. Traduit de l'espagnol (Argentine) par René Solis. Métailié, 272 p., 19 €.
source: abonnes.lemonde.fr/livres/article/2009/09/10/le-cercle-des-douze-de-pablo-de-santi_1238334_3260.html
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