A l’occasion de l’armistice du 11 novembre marquant la fin de la Première Guerre mondiale, rencontre avec l’historien et démographe Hernán Otero dont le livre La guerra en la sangre. Los franco-argentinos ante la primera guerra mundial (Editorial Sudamericana) vient de paraître. Histoire d’un dilemme communautaire
(Photo : couverture de l'ouvrage, DR)
Docteur en démographie (EHESS, Paris), Hernán Otero est historien et chercheur au Conicet. Professeur associé au Centre d’Etudes Nord-américaines de l’EHESS et directeur de la revue Anuario del IEHS, il a coordonné l’ouvrage El mosaico argentino. Modelos y representaciones del espacio y de la población, siglos XIX-XX et écrit Estadística y nación. Una historia conceptual del pensamiento censal de la Argentina moderna, 1869-1914. Il vient de publier La guerra en la sangre. Los franco-argentinos ante la primera guerra mundial (Editorial Sudamericana), ouvrage dans lequel il souligne, non sans étonnement, la vigueur des sentiments patriotiques des "Gaulois" installés outre-Atlantique.
"En 1914, 30% de la population argentine était étrangère", explique Hernán Otero. Parmi ces immigrants, les 80.000 Français se distinguaient comme "un groupe plus intégré que les autres : ils immigraient souvent jeunes, le nombre de mariages exogamiques (avec des Argentins) était élevé, ils se concentraient relativement peu à Buenos Aires, et s’intégraient économiquement", par la création de journaux, la première Société mutuelle du pays et la Chambre de commerce… Bref, ils jouissaient d'une insertion plutôt réussie dans le tissu économique et social de leur pays d’adoption. Mais ils étaient confrontés à une question difficile : alors qu'éclatait la Grande Guerre outre-Atlantique et que la société argentine restait divisée sur l'attitude à suivre (neutralité ou pas ?), étaient-ils prêts à sacrifier la vie pour leur (ancienne) patrie ?Sentiments ambigus
Comparé au contexte actuel, souligne l’historien, "il est indéniable que les valeurs patriotiques étaient bien plus présentes au quotidien". Et d’expliquer : "Ceci est dû à plusieurs facteurs : processus de nationalisation des masses, auquel contribuèrent presque tous les éléments de la vie publique (depuis l’école primaire, d’importance particulière en France, jusqu’au service militaire), sentiment national véhiculé par le monde culturel (littérature, folklore) et identification de la nation avec un peuple et un territoire, surtout après une longue histoire de conflits. La défaite française à l’issue de la guerre franco-prussienne de 1870 et la perte de l’Alsace et la Lorraine – « provinces perdues » à récupérer – donnèrent lieu, en outre, à un discours patriotique très virulent". Dans l’hexagone, la défense nationale rencontrait une adhésion résolue, se traduisant par un faible taux de désertion (environ 1,5%). Sur le plan politique, les oppositions catholique et syndicale se ralliaient à l’Union Sacrée pour faire face à l’ennemi commun.
En revanche, le rapport des émigrants français à la Patrie était plus ambigu : ils n’avaient en général pas fréquenté les bancs de l’école publique républicaine. En outre, nombre d’entre eux avaient quitté la France en quête de nouvelles opportunités professionnelles, voire, tout bonnement pour fuir le service militaire. Comment les Français d’Argentine ont-ils alors réagi à l’ordre général de mobilisation lancé par le président Poincaré le 1er août 1914 ?
(Photo : portrait d'Hernán Otero, EHESS)
Paradoxe français
"C’est une des conclusions de ma recherche : quoique la communauté française fût une des mieux intégrées à la société argentine, son soutien à la patrie en guerre fut considérable, ce qui n’était pas prévisible a priori", révèle Otero. "Ce paradoxe s’explique par la conjonction de plusieurs phénomènes : la situation militaire de la France, avec un territoire faisant office de théâtre de guerre ; la forte pression diplomatique et militaire de Paris sur les communautés émigrées afin que celles-ci contribuassent en ressources et soldats ; l’histoire culturelle et militaire du pays". Les associations françaises en Argentine se prêtèrent ainsi à la mobilisation de leurs compatriotes. Les faits marquants du conflit, comme la victoire de la Marne en 1914, suscitèrent des manifestations de solidarité, souvent dans des lieux emblématiques de la communauté. Quoique limités, les refus d'enrôler furent plus importants en Argentine qu’en France."Quant aux Franco-argentins", précise Otero, "ils refusèrent pour la plupart d’acquitter l’impôt du sang". Fille d’immigrants née en Argentine, cette seconde génération ne se sentait pas tenue de partir à la guerre et, quoique écartelée entre ses deux nationalités, opta majoritairement pour son appartenance à la citoyenneté argentine, plutôt qu’à son héritage français.
En ce sens, le conflit mondial "a marqué une double rupture en Argentine : beaucoup d’immigrants de première génération réaffirmaient leurs liens avec leur pays d’origine, tandis que la seconde génération privilégiait ses liens d’identité avec l’Argentine". La meilleure preuve d’une intégration aussi rapide qu’efficace…
Iris MEYER (www.lepetitjournal.com /Buenos Aires) mercredi 11 novembre 2009
source: http://www.lepetitjournal.com/content/view/49346/303/
Monsieur,
Je viens de lire votre très intéressant livre « La guerra en la sangre » où vous évoquez avec beaucoup de justesse et de précision la situation des français d’Argentine face à la mobilisation générale du 1er Août 1914, ainsi que les conséquences qui découlèrent de leur décision de s’engager ou non dans ce conflit.
Ayant fait quelques recherches à ce sujet, je suis tout à fait d’accord avec vous sur ce que vous écrivez, et ceci me permet d’apprécier la qualité de votre travail qui me laisse admiratif . ---- Je vous exprime mes plus vives félicitations.---
En tant que passionné de Carlos Gardel, je m’adresse également à vous au sujet de ce que vous avez écrit en page 126 dans le texte suivant que je me permets de reproduire : « Otros, en cambio, no dudaron en romper con esos marcos, como lo ilustra el caso de Carlos Gardel, quien recibió la convocatoria a través de una carta de sus familiares de Toulouse. Convencido por su madre, Berthe Gardés, (el apellido Gardel era su nombre artístico) de la brutalitad del sacrificio, el « francesito » - como lo conocían en el Abasto – recurrió a sus contactos con la policía y los políticos conservatores para obtener un acta falsa de nacimiento según la cual había llegado al mundo en Tacuarembo (Uruguay) en 1887 »
D’après Juan Carlos Estebán, co-auteur aux éditions Corregidor du livre : « Carlos Gardel : sus antecedentes franceses », Carlos Gardel se présenta avec deux témoins (Razzanno et Leguisamo) au Consulat d’Uruguay de Buenos Aires le 8 octobre 1920, et s’y fit délivrer, un sauf conduit où il affirmait être né à Tacuarembo. Mais le point sur lequel je serais heureux d’avoir des précisions est la convocation adressée à Charles Romuald Gardes qui lui aurait été transmise dans une lettre de sa famille toulousaine. Pourriez vous me dire quels sont les éléments qui attestent cette information de premier ordre ?
En vous remerciant de l’attention que vous apporterez à me répondre je vous prie de croire, Monsieur Hernán Otero, à l’expression de mes plus chaleureuses salutations Georges GALOPA-Association Carlos Gardel de Toulouse