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La " gloire " de Silvina Ocampo

Par larouge • Ocampo Silvina • Vendredi 10/07/2009 • 0 commentaires  • Lu 1314 fois • Version imprimable

Critique de Le Monde
Le 21 Juin 1991
La " gloire " de Silvina Ocampo
Il s'en est fallu de peu que l'Argentine Silvina Ocampo ne soit un écrivain français. Arrivée en France à l'âge de quatre ans, elle a passé son enfance et une bonne partie de sa jeunesse à Paris où, d'abord, elle apprenait la peinture sous le regard métaphysique de Chirico et celui, pour ainsi dire " volumétrique ", de Léger.Par la suite, alors que déjà elle écrivait en français, c'est quand même à l'espagnol qu'elle se rallia, par amour des plaines de son pays natal, avec ses bandes incessantes d'oiseaux et ses chevaux en liberté, qu'elle a tant célébrés dans sa poésie.Ainsi, vers les années 40, commence-t-elle à faire alterner poèmes et nouvelles, devenant vite l'une des figures de proue de l'école de Buenos-Aires. Là, entre le génie insouciant de Borges et l'intelligence éprise de fictions ourdies à la manière de théorèmes qui caractérise Bioy Casares, Silvina Ocampo apparaît comme une sorte d'Alice qui, ayant délaissé les sortilèges du Roi Rouge et du miroir, rappelle à ses amis _ voués aux plaisirs de l'érudition et s'amusant à compliquer les labyrinthes du fantastique _ l'étrangeté et le mystère du quotidien.La réalité qu'elle décrit ignore, certes, les frontières et, en sa compagnie, l'univers le plus terre-à-terre risque, à tout instant, de basculer dans le merveilleux. Mais les phénomènes à première vue inexplicables que l'on trouve dans son oeuvre, le lecteur peut toujours les ramener à l'ordre de la nature. Car Silvina Ocampo a toujours entretenu en elle un certain esprit d'enfance et, très paradoxalement, son regard de sybille est demeuré innocent, enjoué, voire malicieux. D'où, chez elle, ce mélange d'ironie et de nonsense, de rire sous cape pour alléger les tourments d'amour et de jalousie, ce qui met un bémol aux grandes effusions. Et on n'oubliera pas, non plus, la terrible candeur dont elle use pour interroger le monde.Ici, une adolescente qui ignore son passé se souvient de son futur ; et là, une fillette consigne dans son journal l'effroyable avenir qui attend sa gouvernante. Un homme qui dort rêve-t-il qu'il commet un meurtre ? C'est son frère jumeau qui est en train de l'accomplir. Tandis que dans ce chef-d'oeuvre qui ouvre le recueil, l'Imposteur _ court roman où l'amateur d'affinités trouvera peut-être un écho de l'Etranger sur la terre, de Julien Green, _ un jeune homme halluciné meurt dans un duel au couteau avec son double...Si la gloire est la somme des malentendus se créant autour d'un nom, elle n'a pas, dans la littérature argentine, de victime plus exemplaire que Silvina Ocampo, du fait même que dire " Ocampo ", c'est nommer la grande Victoria, sa soeur, la fondatrice, en 1931, de Sur, la revue qui, pendant quarante ans, influença le domaine hispanique tout entier.Or, des deux soeurs, c'est Silvina l'écrivain. C'est elle le poète admirable et _ comme le prouve cette vaste anthologie que le public français s'est vu proposer en 1974 _ l'un des plus remarquables auteurs de nouvelles d'un continent qui abonde en illustrateurs de ce genre le plus ancien de la littérature, et qui les traverse toutes, quand il ne se trouve pas à leur origine même.
BIANCIOTTI HECTOR
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