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"La fiancée d'Odessa" vu par...

Par larouge • Cozarinsky Edgardo • Dimanche 21/06/2009 • 0 commentaires  • Lu 1458 fois • Version imprimable

L'auteur offre un étrange et beau voyage aux lecteurs qui suivent ses différents récits: un voyage au long cours, au gré de ses tranches de vie contées dans la brièveté de la nouvelle. L'histoire de l'éternelle errance pour trouver la Terre Promise, l'histoire d'une inlassable fuite d'une peuple pourchassé, l'histoire de leurs descendances dont les racines enrichissent le terreau de la terre d'accueil. Le lecteur parcourt le temps et l'espace en quelques pages: un jour il est sur le port d'Odessa à la fin du XIXè siècle, puis les années vert-de-gris de la chappe hitlérienne se rappellent au présent d'un pianiste de variété qui choisira de retourner vers l'enfer pour s'évanouir dans les couleurs parfaites d'un copiste fabuleux. L'Amérique du Sud tisse des liens avec l'Ancien Monde, celui de l'Europe ravagée par ses conflits et ses misères, devenue trop petite pour les espérances des plus deshérités. L'auteur, avec patience, s'emploie à mettre au jour l'envers de la tapisserie de l'Histoire: ces fils ténus qui usurpent les identités sans être coupés de ce que l'on croyait être, ces fragiles fils qui lient d'autant plus fortement que les secrets de famille sont lentement dévoilés. La nouvelle "La fiancée d'Odessa" ouvre une parenthèse qui se ferme avec l'ultime récit "Hôtel d'émigrants". Dans la première, une jeune modiste orthodoxe rencontrée par un jeune juif fuyant les pogroms ukrainiens, s'embarque pour une autre vie, acceptant une autre identité qui lui est offerte, abandonnant son appartenance religieuse pour revivre....quand quelques générations plus tard, le voile est levé, l'interrogation des descendants quant à leur judéité est immense (elle se transmet par la mère). Et si ce cas était-il loin d'être isolé? Ont-ils alors leur place parmi leurs correligionnaires? Dans la seconde, un trio (deux hommes unis par une grande amitié, allemands, et une femme, américaine) à la Jules et Jim, après une fuite devant les forces nazies, attend à Lisbonne, avec une patience désespérée, une partance pour les Etats-Unis. Un ami offre son nom à un autre, car la jeune femme ne peut en épouser qu'un pour lui offrir le passeport de la liberté, dont le petit-fils dénouera l'échevau et s'interrogera également sur sa judéité. Variations sur un même thème: celui des identités personnelle et nationale, bribes de nostalgie des patries véritables ou rêvées, portraits où pointe les sentiments souvent contraires des déracinés. L'Histoire ballotte, sans états d'âme, les destins que l'Entre-deux-guerre envoie sur de lointains rivages plus tolérants et porteurs d'avenirs à construire.
L'Histoire est parfois un triste rouleau compresseur difficile à arrêter. Ainsi, la vieille comtesse hongroise devant vendre un de ses derniers tableaux de maîtres, un Friedrich, elle qui après avoir survécu aux affres nazis et communistes, se dépouille de ses souvenirs pour tout simplement survivre. Ainsi encore le vieil écrivain autrichien réfugié à Buenos Aires, vivant sa vie amoureuse dans les ombres sales des toilettes pour hommes de la gare. Il y revoit un jeune homme rayonnant de beauté et de vie, Carlito dit Belle Gueule, qui le sauvera d'une rafle du régime militaire, celui qui tait, hypocrite, les attirances de son état-major, tout en menant une répression brutale sur les amours dites contre nature. Belle Gueule, qui grâce à ses charmes et à sa compréhension du système, louvoiera dans les méandres de la dictature sans dommage et actionnera les engins de torture dans de sombres cachots. Cependant, une lueur éclaire ces êtres au bout du rouleau, presque finis de solitude et d'oubli: celle de la compassion d'un autre qui réchauffera leurs souvenirs.
A noter que des références à un cinéma mythique sont présentes: le périple commençant à Odessa, l'ombre d'Eisenstein plane sur le port et on imagine la silhouette du cuirassé parmi les innombrables bâtiments en partance...en effet, près du jeune émigrant passe un landau où pleure un nourrisson "Pour éloigner cette peine qu'il ne savait pas effacer, il suivait des yeux chaque personne qui passait; toutes offraient quelque trait capable de l'interesser: une gouvernante en uniforme soigné poussait sans entrain le landau d'où, dans une profusion de dentelles, émergeait un bébé grognon." (p 10). Il s'achève sur un clin d'oeil à Truffaut et son inoubliable Jules et Jim, une relation amoureuse dans laquelle le coeur d'une jeune femme a bien du mal à choisir.
Alors, si vous aimez les récits dignes de l'épopée, si vous aimez les nouvelles, si vous aimez les parfums de l'Amérique du Sud, si vous aimez le cinéma, vous ne pourrez que succomber à ce voyage au coeur de destins ordinaires de personnages sublimes!
Une belle découverte d'un auteur de grand talent grâce à Kenavo de Parfum de livres!

 
Nouvelles traduites de l'espagnol (Argentine) par Jean-Marie Saint-Lu


source: http://www.forumdesforums.com

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