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L’immigration française en Argentine, 1850-1930.

Par larouge • Otero Hernán • Lundi 23/11/2009 • 1 commentaire  • Lu 17760 fois • Version imprimable

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L’immigration française en Argentine, 1850-1930.

Pluralisme Culturel  et  Melting Pot  dès une perspective régionale.

 

 

Hernán Otero[1]

 

 

Dans l’Argentine du XIXe siècle la France a occupé le premier poste comme modèle culturel et intellectuel des classes dirigeantes, le second –derrière la Grand Bretagne- dans les investissements de capitaux, et le troisième –après les Italiens et les Espagnols- dans la composition quantitative du flux migratoire. Paradoxalement, l’insistance sur le premier aspect, avec la particularité de son cycle temporel d’immigration et sa plus rapide intégration dans la société locale, ont fait que l’histoire de l’immigration française en Argentine n’ait pas été abordée avec toute la profondeur que le sujet demande[2].Cependant, quoique moins importante en quantité que celle de ses soeurs latines du sud ou que celle des îles britanniques, l’émigration outre-mer aurait emporté  231.500 personnes en dehors du territoire français entre 1851 et 1920 (Bunle, 1943), chiffre qui révèle l’importance d’un flux migratoire qui exige de nouvelles études, aussi bien dès la perspective du pays d’origine que celle des pays de réception.

 

En partant de la nécessité de renverser cette “indifférence historiographique” (Weil, 1996), nous nous proposons ici d’analyser les principaux espaces régionaux d’origine de l’émigration française vers l’Amérique et d’aborder les traits les plus importants de la présence française dans notre pays (composition du flux migratoire, formes d’insertion spatiale et occupationnelle, etc). En second lieu, nous analyserons les formes et les degrès d’intégration de cette communauté à partir des indicateurs disponibles (ségrégation spatiale et sociale, intégration matrimoniale, associationnisme et presse ethnique). Cette analyse, fondée sur les études de cas existantes, nous permettra d’esquisser une synthèse exploiratoire des modèles d’intégration du groupe français dans la société argentine, dont l’axe central sera la comparaison des espaces socio-régionaux du pays (espaces ruraux et urbains, tailles des localités, etc.). Dans tous les cas, nous chercherons à réaliser un état de l’art de la production existante sur les Français dans notre pays à partir du plus large débat théorique entre les deux modèles qui analysent l’intégration des immigrants pour le cas argentin: le Melting Pot (ou Creuset des Races) et le Pluralisme Culturel.

 

Première Partie:

1. L’émigration française vers l’Amérique: une géographie périphérique

 

Malgré le fait que les sources concernant l’émigration française[3] présentent les problèmes classiques des statistiques de mobilité spatiale (fort sous-enregistrement, discontinuité des séries, inexactitude des déclarations), il résulte possible de reconstruire une image d’ensemble, assez fidèle, de la géographie de l’émigration et, à partir de celle-ci, d’expliquer les tendances générales qui ont influencé la sortie des migrants[4]. Vue l’émigration d’un pays comme la sumatoire de flux régionaux, on peut distinguer quatre zones affectées dans l’émigration outre-mer: la frontière des Pyrénées (avec les départements de Basses Pyrénées, Hautes Pyrénées et Pyrénées Orientales); le bassin supérieur de la Garonne et le bassin inférieur du Rhône; les bassins du Rhin et la  Moselle et, dans le nord de la France, le bassin Parisien et le département de la Seine Maritime.

 

Ces zones, qui dans la plupart des cas sont des régions de frontière, permettent de caractériser l’émigration française du point de vue géographique comme une émigration “périphérique”. Dans ce cadre général, le département de la Seine, et surtout Paris, constitue un cas particulier car la capitale fut aussi bien le point de chute de la plupart des migrants internes qu’un lieu de passage pour beaucoup d’entre-eux, avant d’entreprendre le plus difficile chemin de l’émigration internationale, fait qui explique que la Seine ait le taux d’émigration le plus élevé (aussi bien en général qu’en destination de l’Amérique) de tout le territoire français. La distribution géographique signalée présente deux caractéristiques importantes: d’abord, sa concentration dans certains départements, puisque le plupart du pays n’a pas participé activement de l’émigration; puis, une spécialisation selon les pays de destin, qui reflète des tendances régionales d’émigration de longue durée. Cette spécialisation est clairement visible dans l’émigration vers les pays limitrophes, mais aussi dans l’émigration en direction de l’Amérique.

 

Si bien la géographie de l’émigration se caractérisa par sa stabilité tout au long de la période qui nous occupe, il est possible de déceler des transformations conjoncturelles significatives. La plus importante de ces transformations s’est produite vers la décennie 1880 et s’est caractérisée par une considérable augmentation des zones d’émigration, spécialement évidente dans la région Sud-Ouest. De cette étape datent certains flux régionaux très importantes comme l’émigration des habitants de l’Aveyron vers les Etats-Unis et l’Argentine (Pinède, 1954, 1957) et l’accroissement de l’émigration de la Savoie vers notre pays (Daireaux, 1889). Cependant, ces changements conjoncturels, n’empêchent pas de caractériser la période comme d’une remarquable stabilité. En effet, après la décennie 1880, la géographie de l’émigration récupere l’aspect de la période précédente, avec la seule exception de l’incorporation de la Bretagne, laquelle sera un foyer d’émigration dès le début du XXe siècle (mais pas en direction de l’Argentine). L’accroissement de l’émigration durant la décennie 1880 fut donc le produit de l’incorporation de nouvelles régions au processus migratoire, et non pas la résultante de la détérioration des conditions de vie dans les endroits traditionnels de sortie des migrants.

 

En termes démographiques, la composition par sexe du flux français présente la classique prédominance de population masculine. Ainsi, pour la période 1853-60, le taux de masculinité oscilla autour de 65%. Entre 1860 et 1890, la valeur moyenne fut légèrement supérieure (67%) avec deux exceptions (63% en 1874-77 et 65 % en 1890) qui certifient la plus forte influence de l’émigration familiale. Celle-ci consista surtout dans le regroupement des épouses et soeurs avec les hommes ayant émigrés antérieurement, car la participation des enfants fut assez stable durant toute la période (autour du 8 % entre 1865 et 1891). Cette évolution s’est vérifiée aussi, quoique de façon plus accentuée, pour l’émigration à partir de Bordeaux, principal port de sortie de l’émigration française vers le Río de la Plata[5]. La composition selon l’état civil se caractérisa par la haute proportion de célibataires, tandis que la répartition par groupes d’âges montre une forte prédominance des adultes de 20 à 50 ans; vers la fin du siècle, l’âge moyen des émigrants augmenta en produisant le vieillissement du flux migratoire. Diminution du taux de masculinité, accroissement de l’émigration familiale et vieillissement du flux migratoire constituèrent, donc, trois éléments d’une même évolution produite vers la décennie 1880. Pour le début du XXe siècle, la tendance s’inversa et le flux migratoire redevient masculin, jeune et célibataire.

 

En ce qui concerne les occupations, la statistique de passeports de la période 1857-77 suggère une composition assez équilibrée entre le secteur industriel (33%), le secteur agricole (31%) et le secteur tertiaire (36%). Pour la période suivante (1878-1891), la statistique de ports montre une augmentation progressive du secteur agricole qui passe à 39,5%, chiffre considérablement supérieur au  27,5% de l’industrie et au 33% des activités restantes. Si bien ces chiffres ne sont pas rigoureusement comparables, car ils proviennent de sources différentes, ils suffisent pour définir une tendance assez nette vers la prédominance progressive des activités agricoles. L’importance de celles-ci fut probablement supérieure si l’on considère qu’une partie des activités industrielles inclut l’artisanat rural.

           

Au délà de sa valeur descriptive, la géographie de l’émigration constitue une clé explicative des facteurs macro-structurels ou –pour éviter la connotation déterministe des interprétations structurelles- des “conditions de possibilité” (Devoto 1992) des flux migratoires.  Tout en simplifiant un panorama nécessairement plus hétérogène, il est possible de déceler plusieurs logiques régionales. En premier lieu, le cas de Paris et des départements dont les ports maritimes sont les plus importants[6], qui constitua un modèle d’émigration fondé aussi bien sur des mécanismes formels (agènces officielles d’émigation, compagnies maritimes, etc.) qu’informels (large diffusion d’information, traditions migratoires de longue durée, etc.) d’émigration. Une situation semblable eut lieu dans les grandes villes, où les fluctuations du marché de travail firent de l’émigration une alternative intéressante pour une partie du prolétariat et pour des secteurs sociaux moins favorisés. Dans plusieurs de ces cas, l’émigration outre-mer fut un pas de plus –bien que qualitativement différente- du processus de migrations ruraux-urbaines de courte et de longue distance.

 

En second lieu, il exista une logique d’émigration que l’on pourrait qualifier comme malthusienne. Cette logique fut, avant tout, rural et affecta la plupart des départemens d’émigration et, spécialement, les plus actifs (Bas et Haut Rhin, Basses et Hautes Pyrénnées, Basses et Hautes Alpes, Savoie). Il s’agit des régions caractérisées par la présence de trois facteurs: forte proportion de population dans le secteur agricole, prédominance de la petite propriété comme unité d’exploitation et forte croissance naturelle produite par une fécondité très peu contrôlée. Le fonctionnement de cette combinaison de facteurs fut le suivant: la fécondité élevée agit sur une économie essentiellement agricole, donnant lieu à un déséquilibre aggravé par l’existence des petites exploitations. Cette situation de déséquilibre structurel, particulièrement sensible aux crises agricoles, fut plus grave dans les départements de montagne, où les caractéristiques du relief accentuèrent la densité de la population et les effets négatifs de la sous-division d’une propriété paysanne moins rentable qu’ailleurs. C’est pas, sans doute, un hasard que les départements dont les taux d’émigration étaient les plus élevés furent ceux où la logique malthusienne s’est vue renforcée par le relief –comme l’avait rémarqué Fernand Braudel avec l’idée de complexes de montagne- et par l’existence de formes moins développées d’économie. Ce schèma général fut particulièrement sensible à des facteurs complémentaires, tels que les systèmes d’héritage, spécialement dans les régions comme le Pays Basque. Dans ces cas, les systèmes d’héritage inégalitaires (ceux dans lesquelles l’un des fils, pas nécessairement l’aînée, reçoit la propriété des parents), créèrent  des situations particulièrement difficiles et sans beaucoup d’alternatives pour les non-héritiers: le célibat (les frères de l’héritier pouvaient rester dans la maison familiale à condition ne pas se marier) ou l’émigration[7].

 

En plus de remettre dans son contexte les mouvements migratoires dans un schéma général qui introduit pertinemment les limites imposées aux décisions individuelles, l’explication proposée (trilogie haute fécondité/petite propriété/économie agricole) permet d’expliquer l’émigration française et ses origines régionales, mais aussi sa faiblesse par rapport aux spectaculaires mouvements migratoires de leurs voisins méridionaux. En effet, la précoce transition démographique française (Chesnais, 1986) permit de libérer le pays d’accroissements de population et, de cette manière, d’éviter un recours plus généralisé à l’émigration, surtout à partir de 1890. De cette façon le trend démographique constitue un facteur explicatif de premier ordre pour comprendre cette paradoxale émigration du sud européen qui, en ce qui concerne la chronologie historique, suivit le tempo de l’émigration du Nord.

 

Mais l’émigration ne fut pas seulement un processus de spécialisations régionales. Elle fut aussi un mécanisme de régulation sociale par lequel certains secteurs sociaux  virent limitées leurs possibilités de maintenir les formes traditionnelles de production, comme le montrent clairement les effets de l’évolution du secteur agricole sur la mobilité de la population. Deux grandes transformations doivent être signalées à cet égard. En premier lieu, l’incorporation de technologie et capital à partir de la décennie 1880  accéléra la transformation capitaliste de l’agriculture, en diminuant la nécessité de main d’oeuvre et  en rendant plus coûteux l’accès à la propriété. En second lieu, les crises agricoles produites par des facteurs climatiques et par la concurrence de produits importés, appauvrirent les petits producteurs qui, par la suite, durent opter pour l’émigration. Les crises agricoles de 1846-48, 1854 et 1870 et l’arrivée de produits agricoles en provenance des pays neufs comme l’Argentine et les Etats-Unis en 1890, en constituent des exemples paradigmatiques.

Le caractère rural de la population française et les facteurs mentionnés, firent que les crises agricoles furent en même temps un mécanisme régulateur qui affecta principalement les journaliers et les petits propriétaires ruraux. Les exemples plus clairs de la relation entre crise agricole et émigration sont fournis par la crise du vignoble de 1853-58 (produite par l’oïdium) et par la plus dévastatrice crise du phylloxera de la période 1870-90 qui affecta de vastes régions comme le Languedoc, le Pays Basque et l’ Aveyron. Le mécanisme de la crise fut toujours le même: le phylloxera produisait en premier lieu une diminuition brutale de la production et après une baisse du prix de la terre; comme cette situation se prolongait dans le temps, les petits et moyens propriétaires appauvris se virent obligés à vendre leurs propriétés et à émigrer[8]. A ce schèma, volontairement général, il faut aussi ajouter des facteurs politiques qui accélèrent le rythme de l’émigration dans certaines conjonctures, comme ceux connectés au processus de re-définition des frontières de l’Etat, particulièrement au Nord-Est et au Sud-Ouest de l’hexagone[9].

La géographie de l’émigration se caractérisa aussi par une significative spécialisation régionale selon les lieux de destin des émigrants vers les Amériques. Sur ce point, il exista une division presque parfaite entre une France de l’Ouest qui se diriga vers l’ Amérique du Sud (surtout vers le Río de la Plata) et une France de l’Est qui émigra vers l’Amérique du Nord. La séparation entre ces régions peut être fixée par une ligne qui, grosso modo, unissait les ports du Havre et de Marseille. Ils existèrent, bien entendu, des exceptions à cette répartition: ainsi, le Bas Rhin, les Hautes Alpes et  la Seine Maritime envoyèrent un pourcentage important de voyageurs vers l’Amérique du Sud, tandis que les émigrants en direction de l’Amérique du Nord furent originaires d’un ensemble de départements plus large et moins précis que celui de l’Amérique du Sud. En tout cas, on doit remarquer comme un trait significatif que la zone d’émigration vers le Río de la Plata fut beaucoup plus concentrée que celle de l’émigration vers l’Amérique du Nord.

 

Dans ce cadre général, les départements avec les ports les plus importants, envoyèrent des émigrants indistinctement vers les deux Amériques. Sans doute, dans les ports circulait une information plus riche et plus vaste des possibilités existantes dans le pays de destin, ce qui permettait aussi bien l’augmentation de probabilités d’émigration que la disponibilité d’une majeure variété d’alternatives migratoires.  Une situation semblable eut lieu dans le département de la Seine, où Paris constitua un carrefour de circuits d’information et de propagande. La spécialisation régionale mentionnée fut produite par des facteurs culturaux de mesure très difficile mais dont leur poids fut sans doute indubitable. Ainsi, la France du Nord-Est, plus proche du monde germanique et avec majeure présence du protestantisme, émigra vers l’Amérique du Nord, tandis que la France du Sud-Ouest, plus latine et catholique, se diriga vers l’Amérique du Sud, clivage culturel auquel on doit ajouter l’importance des traditions migratoires et commerciales d’origine coloniale entre les deux cotés de l’Atlantique.

 

Parmi les aspects culturels, les facteurs linguistiques méritent une attention spéciale, comme le montre l’étroite corrélation existante entre la géographie de l’émigration et celle de la méconnaissance de la langue française. Si, comme le montre une évidence qualitative très nombreuse, la langue était considérée par les futurs émigrants comme une barrière au moment d’abandonner le pays, les personnes en provenance de régions dans lesquelles on ne parlait pas le français, pouvaient se décider plus facilement pour l’émigration. Dans ce cas, le voyage vers l’Amérique ne semblait pas plus problématique que vers d’autres régions de la France, dans la mesure où les deux lieux de destin posaient le même problème d’apprentissage d’une nouvelle langue.

 

En plus des considérations géographiques mentionnées, les flux migratoires dépendirent aussi fortement des conjonctures politiques et socio-économiques des pays américains, comme le suggèrent les modèles pull. Durant la première moitié du siècle, la proportion plus significative du flux français se diriga vers les Etats-Unis et l’Uruguay, quoique avec des magnitudes clairement différentes: tandis que les Etats-Unis reçurent 195.971 immigrants entre 1820 et 1855, l’Uruguay capta seulement 13.922 entre 1833 et 1842, la plupart d’entre-eux originaires du Pays Basque et du Béarn. Pendant cette période, les Français sont allés surtout  à l’ Uruguay, car  la relation conflictive du gouvernement argentin du Général Rosas avec la France (tout en particulier les deux blocus français au Río de la Plata en 1838-40 et 1845-50) avait créé un climat xénophobe envers les immigrants de l’hexagone (Marenales Rossi et al, 1977).

 

Après la chute de la dictature du Général Rosas en 1852, l’Argentine dépassa l’Uruguay et  augmenta progressivement son importance comme pôle d’attraction par rapport aux Etats-Unis. Â partir de 1900, le  Canada devint plus important comme pays de réception mais avec des valeures inférieures à celles de l’Argentine (Penisson, 1985). Dans le reste des pays de l’Amérique Latine, l’arrivée des Français fut beaucoup moins importante. Le Brésil, par exemple, ne reçut que 34.260 immigrants entre 1820 et 1926 (Willcox, 1969). Dans ce cadre général, l’Argentine fut le premier pays américain en la quantité d’immigrants en rélation avec la population totale, et le second, derrière des Etats-Unis, en termes absolus[10].

 

 

2. L’immigration française en Argentine: une évolution particulière

 

Comme il a été dit, l’Argentine fut l’un des plus importants pays du monde dans la réception des immigrants français[11]. Ceux-ci commencent à arriver, en nombre réduit, dans les dernières années de la période coloniale et la prémière décennie de la période indépendente (1776 à 1820). De cette époque-là date l’arrivée des Malouins aux mers du Sud et celle des Basques et Béarnais à Buenos Aires. Certains immigrants, comme les Pueyrredón ou les  Terrada, pour ne citer que deux exemples illustratifs, arriveront à être membres du groupe dirigeant de la Révolution de Mai (Baulny, 1970). L’arrivée des Français augmenta dans la décennie 1820, favorisée par les politiques de Rivadavia, quoiqu’ en proportion inférieure à celle des Anglais. Comme on l’a vu, à partir des années ’30 la conjoncture politique détermina que le flux se dirigea vers l’Uruguay jusqu’à la chute du gouvernement de Rosas en 1852.

 

A partir de cette date commence l’authentique histoire de l’immigration française en Argentine, dans laquelle, comme le montre le Graphique 1, on peut déceler deux cycles bien définis. Dans la première étape (1860-1890), l’immigration des Français fut semblable, dans leurs rythmes et caractéristiques, à celle des catalans, des Italiens de la plaine du Pô et, surtout, à celle des Basques Espagnols. Ce premier cycle, dans lequel le flux français arriva dans des proportions semblables à l’immigration espagnole, présente deux importants moments d’augmentation: le premier lustre de la décennie 1870 (avec valeur maximale en 1873) et les années 1887-1889. Cette dernière et spectaculaire hausse fut produite par la politique de billets payés par le gouvernement argentin qui, en cherchant à réduire l’influence croissante de l’immigration italienne, distribua en Europe 132.000 voyages gratuits entre 1888 et 1890, dont 45.000 furent  octroyés en territoire français.

 

L’explication de l’accroissement du début des années ’70 résulte, par contre, moins évidente. Si bien l’historiographie sur les flux migratoires vers l’Argentine a affirmé que l’accroissement fut le produit de la crise politique qui suivit la défaite de la Commune de París en 1870 (Beyhaut et. al, 1966, par exemple), l’analyse détaillée des données oblige à nuancer l’interprétation exclusivement politique. En premier lieu, la série incluant les quatre ports contrôlés par le “Service de l'Emigration” montre que la courante d’émigration vers le Río de la Plata diminua après 1870 dans les deux ports spécialisés vers ce destin (Bayonne et Bordeaux): l’année 1870 expérimenta une baisse très importante des sorties et l’accroissement de 1871 ne fut pas suffisante pour récupérer les niveaux antérieures à la Commune[12]. En second terme, le mouvement des communards fut un fait essentiellement parisien et les rares et fugaces communes établies en province n’eurent pas lieu dans les régiones d’émigration vers le Río de la Plata. Par ailleurs, l’accroissement de l’émigration française durant la période 1871-75 coïncida avec des accroissements semblables au Danemark, en Allemagne et en Grand Bretagne ce qui suggère l’existence de causalités plus générales que le cadre national. Dernier argument, la plupart de l’émigration politique se dirigea surtout vers d’autres pays du continent européen[13]. Vu depuis l’Argentine, l’accroissement de l’arrivée d’immigrants aura lieu un peu plus tard, en 1872, dans un contexte d’augmentation globale des flux,  qui inclut aussi les Espagnols et les Italiens. L’amnistie des éxiliés de la Commune sanctionnée par le gouvernement français en 1881 n’impliqua pas, par ailleurs, une augmentation des taux de retour des Français comme aurait été prévisible d’avoir existé une quantité significative d’exiliés. Plus démonstratifs que ces considérations quantitatives, les informations des agents consulaires montrent jusqu’à quel point la presence de militants politiques liés à la Commune de Paris était faible à Buenos Aires[14]. En conséquence, si bien des exiliés de la Commune sont arrivés en Argentine à cette époque, l’accroissement de l’émigration française de la décennie 1870 ne peut pas être lié directement à l’émigration politique. La cause principale doit être cherchée dans la crise économique et sociale qui suivit  la répression de la Commune et la défaite de la guerre franco-prussienne.

 

Dans la seconde étape (initiée après la crise de 1890), l’immigration française fut plus semblable à celle des Allemands et des Anglais, et se caractérisa par des soldes migratoires réduits, avec la seule exception de l’augmentation observée vers 1912, produite par l’émigration saisonnière du Midi de la France et par la forte propagande réalisée par l’Argentine dans cette région au moment du conflict diplomatique avec l’Italie[15]. Le flux diminua de forme drastique pendant la Grand Guerre, en produisant des soldes migratoires négatifs comme conséquence de l’augmentation des retours pendant le conflict. A partir de 1918 la courante française continua avec des valeurs de l’ordre de 1500 immigrants par an et avec des soldes légèrement positifs (à l’exception de 1920-21 et 1924).

 

Comme conséquence de cette évolution, la participation des Français dans le flux total d’immigrants arrivées en Argentine fut de l’ordre de 5% jusqu’en 1870, atteignant son maximum (environ du 12%) dans les décennies 1870 et 1880, diminuant à 4% vers la fin du siècle  pour ne représenter qu’un faible 1% dans le lustre 1920-24. En termes synchroniques, la proportion de Français dans la population totale du pays dans les recensements nationaux de 1869, 1895 et 1914 fut de 16; 9,6 et 3,5 pour cent, respectivement. L’année 1890 signale, donc, la fin du cycle plus significatif de l’immigration française en Argentine, qui présente ainsi un aspect paradoxale: importante jusqu’à cette date, elle devient minoritaire quand commence l’immigration en masse.

 

La dynamique migratoire présentée montre aussi le rôle joué par la situation économique argentine. En plus des crises locales (la crise de 1876 et surtout la crise financière de 1890) et de la politique officielle de billets payés à la fin de la décennie 1880, les expectatives générées par les possibilités économiques du pays eurent un poids significatif en tant que facteur d’attraction. Malgré l’absence d’études sur le particulier, il est symptomatique que la géographie de l’émigration française ait eu une relation étroite avec la géographie des bas salaires agricoles. La comparaison de ceux-ci avec les salaires fournis par les sources argentines (tout en particulier par les brochures de la propagande officielle et des agents d’émigration[16]) et l’opinion des auteurs de l’époque (Lagnau, 1884) sont d’autres indicateurs dans le même sens. Le rôle joué par le salaire fut bien entendu décisif dans le cas de l’émigration saisonnière ("emigración golondrina" ou émigration hirondelle) à l’époque du Centenaire.  Il en fut de même, quoique peut être de majeure intensité, avec les expectatives des immigrants d’accéder à la propriété de la terre, expectatives qui, au moins jusqu’en 1890, correspondaient aux possibilités réelles du marché. Ce facteur, de grand importance dans les sociétés rurales comme celle de la France, pourrait expliquer aussi pourquoi à partir de cette date l’émigration française se dirigea surtout vers l’Amérique du Nord, où les possibilités d’accéder à la propriété étaient encore élevées.

 

Une fois en Argentine, les Français se sont installés surtout dans le littoral (provinces de Buenos Aires, Santa Fe, Corrientes et Entre Ríos) et spécialement dans la Capitale Fédérale, en suivant une règle de distribution spatiale semblable à celle des autres groupes migratoires, mais avec certaines exceptions importantes. Ainsi, pour le Premier Recensement National (1869) on observe une présence significative dans la province d’ Entre Ríos, évidente dès la première moitié de la décennie 1840. Dans cette province, fut décisive la politique du gouverneur Justo José de Urquiza orientée à l’appel préférentiel d’agriculteurs et de familles françaises et à l’engagement de figures importantes[17] qui auront une trajectoire remarquable dans la communauté française et la vie argentine pendant la seconde moitié du siècle. Pour le Second Recensement National de Population (1895), on observe une importante présence française dans la province de Mendoza, où des vignerons de cette origine, émigrés après la crise du phylloxera, contribuèrent à partir de 1870 au développement de la viticulture. La présence française augmenta aussi dans les Territoires Nationaux de Chaco, Formosa, Santa Cruz et la Pampa, quoiqu’ ici la faiblesse de la population de base exagère sa gravitation proportionnelle. Comme l’a remarqué Oteiza (2000), l’augmentation de la présence française dans certaines provinces est en rapport avec son insertion économique, particulièrement visible dans le cas de Córdoba, province dans laquelle l’augmentation observée dès la décennie 1880 put avoir été en rapport avec la production et le commerce de la laine. Le second recensement national constitue, donc, le moment de plus forte présence de la communauté française. Entre 1895 et 1914, le groupe français sera le seul à diminuer sa présence dans l’ensemble de la population du pays, aussi bien en termes absolus que proportionnels. Les règles d’établissement observées ne doivent pas nous faire oublier que seulement deux unités spatiales (la Capitale du pays et la province de Buenos Aires) concentraient trois sur quatre immigrants français tout au long de la période (83,9, 72,6 et 73,2 % en 1869, 1895 et 1914, respectivement).

 

Dans le cas de la province de Buenos Aires, la plus importante du pays, ils se sont installés dans les terres d’ incorporation plus récente, au sud de la ligne qui  unit les “partidos”[18] de Tandil et Azul. Si on prende en compte, l’installation urbaine ou rurale, indicateur duquel on ne doit pas exagérer l’importance dans cette période de fortes relations économiques et sociales entre la ville et la campagne, on constate que, vers 1914, 69 % des Français se trouvaient dans les villes et 31% dans la zone rurale, règle semblable à celle du reste des groupes migratoires.

 

Prenant le flux migratoire comme un ensemble, entre 1857 et 1924 sont arrivés en Argentine 226.894 français, dont 120.258 auraient abandonner le pays, ce qui répresente un taux de retour de 53 %, valeur supérieure à celle de l’ensemble de l’immigration (47 %). Malheureusement, les sources ne permettent pas de distinguer la proportion de retours de celle de re-migrations vers d’autres pays, phénomène témoigné par des nombreuses références qualitatives, n’autorisant pas une reconstruction sérielle[19]. Le retour et les re-migrations des Français suivèrent en général les évolutions de l’économie argentine et de la conjoncture européenne, en correspondant ses périodes de hausse avec la crise financière et commerciale de 1890, avec les difficultés du marché de travail de la période 1904-1914 et, surtout, avec la Première Guerre Mondiale. Il n’est pas simple, non plus,  d’évaluer la signification du retour à cause de la pluralité des projets alternatifs des migrants et de la dualité de l’indicateur, symbole aussi bien d’échec que de succès dans l’ambitieuse entreprise de "faire l’Amérique". Dans le cas des Barcelonnettes des Alpes émigrés au Mexique (Gouy, 1980) et des Basques de l’Argentine, par exemple, il semble que le retour était l’objectif final de l’émigration, mais les études disponibles pour le cas basque, suggèrent que la proportion des retours couronnés par le succès ne fut pas importante (Carrère, 1976). D’autre part, dans l’émigration saisonnière le retour était un fait inscrit dans la logique du voyage (et par conséquence on ne peut pas le lire, dans ces cas, comme indicateur de succès ou d’échec). Sans doute, l’une des tâches des études à venir doit consister à différencier les migrations avec projet d’établissement, dont l’inclusion peut sous estimer artifitiellement les taux de retour observés.

 

La composition interne du flux français est connue de façon imparfaite car les sources statistiques argentines ne présentent pas des classifications par régions ou par provinces d’origine. De toutes façons, néanmois, il est bien connu que les Basques furent, avec les immigrants du Béarn, le plus important des éléments de la colonie française en Argentine, spécialement dans la période antérieure à 1880. Comme le suggère l’évidence empirique reconstituée à partir des études microanalytiques, la composition du flux français en Argentine reflète la géographie de l’émigration évoquée, mais avec un poids majeur de l’émigration basque et du Sud-Ouest en général. Ainsi, par exemple, les données disponibles pour Tandil, espace representatif de la très large région Sud-Est de la province de Buenos Aires, montrent qu’au moins  70% des immigrants provenaient du Sud-Ouest de la France[20] et qu’au moins la moitié des arrivées étaient d’origine basque (Otero, 1992). On peut extraire des conclusions semblables du cas de Tucumán, analysé par Feilyng (2000: 31). La région Sud-Ouest inclut aussi le département de l’Aveyron, qui eut une importance significative dans l’émigration vers l’Argentine. D’origine aveyronnais furent les émigrants de la vallée du Lot qui, en suivant l’initiative de Clément Cabanettes, fondent en 1884 la colonie de Pigüé, la plus connue des colonies françaises du pays, spécialement par  sa forte persistance culturelle en tant qu’enclave éthnique[21].

 

Dans le cas des Basques, leur cycle fut semblable à celui de l’ensemble de l’immigration française, mais avec un léger décalage, produit par leur arrivée plus précoce. La partie la plus importante de leur arrivée s’est produit entre 1830 et 1870 (Daireaux, 1889). A partir de ce moment, la courante basque se dirigea  vers le Chili  et surtout vers les Etats-Unis, pays dans lesquels ils se consacrent à l’élévage de moutons comme  bergers, en anticipant de telle sorte les lieux de destin et les activités de la "diaspora basque" du XXe siècle. Ce changement de lieux de destin des Basques fut accompagné d’une notable diminuition de l’intensité des sorties[22].

 

L’une des conclusions les plus importantes de la nouvelle historiographie sur les mouvements migratoires a été celle de mettre en doute la validité de l’Etat-Nation comme unité d’analyse de base pour les études. Le cas français, avec sa complexe juxtaposition de ‘pays’ du point de vue anthropologique très divers, n’échappe pas à cette règle. En plus des régions en dispute avec l’Allemagne (Alsace et Loraine) et l’Italie (Savoie), on trouve spécialement le cas d’ Euzkadi, dont l’histoire contemporaine eut lieu à cheval sur deux états nationaux différents. A cet égard, il y a des raisons pour aborder une étude unique des Basques (quoique les dangers d’extrapoler vers le passé une identité basque, dont le développement est -dans une large mesure- postérieur, ne sont pas négligeables) comme pour réaliser des analyses autonomes des flux  trans et cis pyrénnéens, chaque fois que les influences politiques, économiques et culturelles de Paris et de Madrid réussirent à imposser des différences importantes entre les deux zones[23].Cette seconde option, favorisée par les sources disponibles qui ne font pas la différence des migrants selon les origines régionales, et par la différente chronologie des arrivées des Basques Espagnols et Français, a été la plus suivie dans le cas argentin, quoique cette tendance a commencé à être révisée dans les dernières années (Iriani, 2000).

 

En ce qui concerne les mécanismes de voyage et d’arrivée, et malgré l’existence de nombreuses entreprises de colonisation organisées par des agents ou par des pionneers avec l’appui de l’Etat argentin (notamment la concession de terres), une partie très importante de l’immigration française s’est développée en suivant un mécanisme classique de chaînes migratoires familiales et de voisinage (en provenance des mêmes régions ou villages), c’est à dire sans intervention, au moins à grande échelle, de systèmes de médiation ou de contrôle externe. Dans le premier cas, le regroupement familial (voyage des femmes, avec ou sans enfants, pour se réunir avec leurs maris ou leurs frères) joua un rôle très significatif. Le cas de Tandil nous fournit, à nouveau,  la possibilité d’observer le processus au niveau micro: pas moins de 68% des migrants s’y installant provenaient d’un village qui avait déjà envoyé un autre émigrant, et  36% des arrivants avait des liens de parenté directe avec un immigrant arrivé avec antériorité. Comme ces mesures ne répresentent que la partie la plus visible du phénomène (celle qui permettent de reconstituer des sources assez muettes sur les relations interpersonnelles non familiales), on peut affirmer que l’intensité de ces mécanismes a du être  sans doute plus significative.

 

Le profil démographique du groupe, reconstitué à travers des données statistiques pour l’ensemble du pays, certifie ces formes d’arrivée: les pourcentages des adultes (79,8%) et des hommes (59,9%) sont plus bas que ceux des Italiens et des Espagnols, ce qui montre clairement une plus forte présence de femmes et d’enfants et une plus forte influence de la migration familiale. Celle-ci permet de réfuter, au moins en partie, l’image selon laquelle l’émigration française fut une simple “somme d’aventures individuelles” (Chevalier, 1947). Les formes d’émigration permettent d’établir un panorama de flux régionaux à plusieurs échelles. Deux exemples montrent l’effet différentiel d’homogénéisation joué par les entreprises de colonisation et les chaînes migratoires: de 195 immigrants de la Colonie San José (Entre Ríos), qui signent une lettre adressée au consul français à Buenos Aires en 1879, 86% étaient originaires de Haute et Basse Savoie, tandis que la liste de 136 Français rédigée à l’ ocassion du tremblement de terre du 20 mars 1861 à Mendoza, où il n’y a pas eu entreprises de colonisation, montre une énorme dispersion d’origines régionales[24].

 

On peut distinguer, donc, trois grands modèles d’émigration et –par la suite- trois formes d’insertion initiale en Argentine, dont leurs effets auraient de se prolonger dans le temps en influant sur le processus d’intégration: a) flux originés dans les entreprises de colonisation:  promûs par des agents d’émigration ou par des personnes en relation avec le gouvernement  (c’est à dire par des promoteurs externes aux émigrants mêmes), ces entreprises furent favorisées par les concessions de l’Etat argentin. Ses espaces d’influence dans le pays d’origine furent forcément limités, en favorisant l’émigration de paesanis, de groupes familiaux de la même région ayant de forts liens de parenté et relations inter-personnelles. Cette composition, sommée à l’installation rurale et, d’une certaine façon, isolée en Argentine favorisa des processus d’implantation se rapprochant des enclaves éthniques, comme l’illustre le cas de Pigüé; b) flux avec forte présence de réseaux familiaux et de voisinage: ces flux (dont Tandil fournit un exemple très claire) permirent –comme nous le verrons plus loin- la persistance de rapports sociaux et favorisèrent l’existence de traits pluralistes comme le mariage endogamique. A la différence du modèle antérieur, il n’ y a pas ici  de mobilisations de grandes quantités d’individus orginaires du même espace social  (Morel, 1972) pré-migratoire, sinon une énorme pluralité de réseaux de différente origine qui, vues depuis la localité réceptrice, donnent lieu à des populations beaucoup moins homogènes; c) flux spontanés: constitués par des individus isolés (ou avec des rapports inter-personnels très faibles) qui émigrent par des mécanismes impersonnels (renseignements généraux sur le marché du travail, etc.)

Bien entendu, il est très difficile de mesurer le poids  relatif de chacun de ces types de mouvements. Si bien les chercheurs argentins ont fait un effort considérable dans les dernières années pour reconstituer le second des mécanismes et pour combattre la plus traditionnelle figure du “déraciné”, les flux du troisième type ne doivent pas être oubliés, aussi bien pour leur importance quantitative que pour leurs effets sur les formes d’intégration qui en découlent[25].

 

Seconde Partie: L’intégration dans la société argentine

 

3. Insertion économique: une immigration hétérogène

 

La composition du flux migratoire ne se réduit pas, bien sur, aux formes d’arrivée dans le pays sinon qu’elle renvoie aussi au problème de la différenciation des capitaux (économiques, sociaux, culturels, relationnels) que –comme des bagages invisibles- les émigrants chargent pendant leur voyage ou qu’ils arrivent à créer  dans le lieu d’arrivée. La similarité des origines nationales, voir régionales ne devrait pas opacifier les clivages internes qui font d’un groupe national un ensemble si hétérogene que n’importe quel autre collectif social.

 

Analisée de façon générale, l’insertion économique et sociale française en Argentine peut être lue en termes optimistes, spécialement quand elle est comparée avec celle des groupes majoritaires (Italiens et Espagnols). En premier lieu, on doit remarquer que, selon les données de la période 1877-1897, les Français présentent le niveau de qualification le plus élevé du flux migratoire avec 59,2% d’agriculteurs et colons, 9,2 % d’artisans, 3,2% de commerçants et 7,2% de journaliers (Alsina, 1910: 130-131). Cette majeure capacité occupationnelle, ajoutée  à la précocité de leur cycle migratoire dans le Rio de la Plata, favorisa une active insertion dans la vie économique du pays, démontrée par la présence d’immigrants de l’hexagone dans la plupart des activités dans lesquelles ils ont joué, par ailleurs, le rôle d’authentiques pioneers. Une liste non exhaustive de ces cas couronnés par la réussite inclut les noms d’importantes figures de l’histoire du pays. Les Français eurent, en effet, un rôle remarquable dans l’élévage et ses industries secondaires (Luro, Daireaux, Capdeville, Delpech), le frigorifique (Tellier, Cané, Sansinena, Terrasson), la viticulture et l’irrigation (Iselim, Ballofet, Buisson), les industries du sucre  (Hileret, Saint Germes, Nougues), de la farine (Pourtalé, Hittier), de verres et de cristaux (Rigolleau), du lait (Nicol, Errecaborde), de la bière (Bieckert), de la nourriture (Noel, Saint),  de la salaison (Cambaceres), du forestier (Portalise) et du textile (Prat).

 

Les Français contrôlèrent également des secteurs importants du commerce d’importation (principalement les vins et les liqueurs, en provenance de Bordeaux) et d’exportation surtout des laines (en relation avec des intêrets commerciaux et industriels du nord de la France comme dans les cas de Masurel, Caulliez, et Watinne Bossut) et eurent, comme nous l’avons dit, un rôle central dans  la colonisation agricole à travers de personnages clés comme August Brougnes, John Le Long, Clemente Cabanettes, Alexis Peyret, Pascual Chabas et Charles Souriguer. Les points de repère de la colonisation française eurent lieu dans les provinces d’Entre Ríos (colonie San José), Santa Fe (Esperanza, San Jerónimo, Rosario), Corrientes (San Juan), Córdoba (Casilda, Laboulaye, Cruz Alta), Chaco (Reconquista), Río Negro (Viedma), Mendoza (San Rafael) et Buenos Aires (Pigüé). De la même façon que dans la presse et l’associationnisme, les Français furent pionniers aussi dans cette rubrique, car le premier contrat de colonisation officielle de l’Argentine fut signé en janvier 1853 entre la province de Corrientes et le médecin français August Brougnes[26]. Egalement remarquable fut leur participation dans des entreprises culturelles comme l’imprimerie (Bernheim, F. Grandmontagne, Pablo E. Coni), les librairies et les maisons d’édition (Claudio M. Joly, Félix Lajouane José Escary et Augusto Espiasse, Abel Ledoux, Lucien et fils, Bernardo Loubière), le journalisme et, surtout l’éducation (Amadeo Jacques, Alberto Laroque)[27]. Vers le milieu de la décennie 1880, la création de deux institutions de particulière importance couronnèrent l’activité économique de la colonie française: la “Chambre Française de Commerce de Buenos Aires” (1884) et, deux ans après, la  Banque Française du Río de la Plata”, seconde banque privée nationale par l’importance de ses crédits au début de la décennie 1910[28].

 

La corrélation observée entre le flux migratoire et le commerce français, (spécialement quand l’indicateur utilisé est celui des importations), signalée par des observateurs contemporains comme Alsina (1910), mérite une considération spéciale. L’argument employé pour expliquer cette association soutient que les immigrants continuèrent leurs habitudes de consommation, augmentant alors les importations des pays respectifs.Cependant, les corrélations n’auraient pas été si simples dans le cas français. Si bien l’apogée de l’importation des produits français fut atteint vers 1890,  en coïncidence avec le maximun d’entrées d’immigrants, la cause de la fin des importations à partir de cette date, doit être cherchée principalement dans un marché international à forte concurrence qui produit le remplacement des biens français par des produits d’autres pays[29]. Pour le cas du vin, l’un des principaux articles français, le développement croissant de la production argentine joua aussi un rôle très important dans la diminution des importations. De telle sorte, la relation entre immigration et commerce d’importation put avoir joué ici dans un sens tout à fait différent: les immigrants français contribuèrent  au développement de la viticulture argentine qui, à son tour, permitta réduire les importations du vin de l’hexagone.

 

Vue leur insertion en termes de réussite économique, les Français furent l’un des groupes qui montrent les meilleurs résultats dans l’accès à la propriété de la terre. En 1914, date qui nous permet d’observer l’immigration française vers la fin de son cycle, 27,8 % des Français étaient propriétaires,  contre 13,6% de l’ensemble des groupes nationaux et 12,2% des Argentins. On trouve une situation semblable dans la direction des exploitations agricoles, spécialement dans la province de Buenos Aires. En termes sociaux, les Français –surtout les Basques- participèrent de manière active à la formation de l’élite du pays. Sans doute, son arrivée précoce en Argentine a rendu possible son intégration dans une structure sociale ouverte qui permettait encore la montée sociale des étrangers. L’analyse des familles de l’élite porteña d’origine française (7% de la classe haute de la ville en 1959) confirme cette hypothèse, car elles proviennent d’immigrants de l’hexagone arrivées entre 1840 et 1880 (de Imaz, 1965).

 

Le succès d’une partie des immigrants ne doit pas nous amener à élargir cette caractérisation à l’ensemble  de la masse migratoire. Il a été soutenu, par exemple, que les Français avec les Anglais, auraient été un groupe migratoire d’élite ou une “immigration aristocratique”. Ceux qui soutiennent cette opinion (Walle, 1913;  Gonnard, 1928; Oddone: 1966) utilisent des arguments tels que le volume et le moment d’arrivée, le niveau éducatif des immigrants et leur résistance à l’égard de l’assimilation. En rapport avec le volume et le moment d’arrivée, les Français furent –comme nous l’avons vu- un groupe très important jusqu’en 1890 et significatif entre cette date et 1914. Par ailleurs, attribuer le caractère d’émigration d’élite à partir de la proportion du flux, confond le concept d’immigration d’élite avec celui d’immigration minoritaire.

 

Le seul élément qui soutient, partiellement, la qualification d’immigration d’élite pour le cas français est son degré élevé d’alphabétisation (88%), supérieur à celui des Espagnols (79%) et des Italiens (61%), quoique semblable à celui des Argentins (83%) et très au dessous des Allemands et des Anglais (proche de 100%)[30]. Cependant, et malgré des succès notables de la communauté dans son ensemble, le flux français se caractérisa aussi par une composition très hétérogene, qui inclut des groupes avec une forte diversité socio-occupationnelle. Il serait mieux de parler, alors, d’un groupe avec des caractéristiques intermédiaires entre l’immigration populaire (les Italiens, par exemple) et l’immigration d’élite (Anglais), car seulement une petite proportion de l’immigration a effectivement les caractéristiques de celle-ci. Ainsi, par exemple, on ne pourrait pas qualifier comme élite le nombreux groupe basque, authentique "émigration populaire" comme l’ont très bien signalé ses contemporains (Etcheverry 1892, Lhande, 1910). La proportion d’immigrants journaliers et sans occupation (18 % pour la periode 1876-97[31]) et le taux de retour pourraient ajouter des éléments dans le même sens. Finalement, la résistance à l’intégration attribuée aux Français, comme nous allons le voir dans les pages qui suivent, est totalement incorrecte. En réalité, l’erreur de caractériser le groupe français comme une immigration d’élite nait de projecter les caractéristiques de l’immigration des années 1820-30 à la deuxième moitié du siècle, d’élargir à la totalité de la masse migratoire les traits des leaderships de la communauté et, dans une certaine mesure, des images et perceptions de l’élite argentine autour de la “culture française”.

 

Si nous réduisons l’échelle d’analyse, les données microanalytiques reconstituées pour Tandil (Otero: 1993) montrent que l’évolution historique de la structure sociale des Français s’est orientée dans cette ville vers une plus forte différenciation interne, et que vers 1895 45% des immigrants de cette origine avaient des occupations de strates basses (contre  23% en 1869). En conséquence, il est possible dans une première lecture d’identifier deux grands secteurs sociaux dans le flux migratoire français: a) un groupe composé par les immigrants situés dans de bonnes positions économiques et par des professionnels hautement qualifiés (y compris une quantité importante d’exiliés politiques[32], notamment dans la capitale du pays),  de vitale importance par son rôle comme leadership ethnique; b) un groupe, à caractère beaucoup plus populaire et de plus forte mobilité spatiale. Bien entendu, cette distinction est en partie artificielle car les passages entre les catégories socio-occupationnelles furent fréquents en raison de la mobilité sociale de la periode, mais –cas individuels en marge- les lignes de séparation socio-économique constituent, sans doute,  un facteur d’importance dans les modèles d’intégration résultants. La  différenciation interne du groupe français a dû contribuer sans doute à rendre difficile la création ou le niveau de couverture des institutions ethniques, affaiblissant les traits initiaux d’homogénéité socio-culturelle et contribuant, paradoxallement, à une insertion plus profonde dans la société locale, surtout dans les villes de moindre taille.

 

4. Espaces régionaux et ségrégation spatiale

 

La ville de Buenos Aires –comme celle de Montévidéo sur l’autre marge du Rio de la Plata- se caractérisa par de faibles niveaux de ségrégation spatiale et comme l’une des villes la moins ségrégative du monde du point de vue ethnique. Si bien des microconcentrations régionales et familiales significatives existèrent, celles-ci ne furent pas d’intensité suffisante pour être caractérisées comme enclaves ethniques (avec les seules exceptions des Italiens du célèbre quartier de La Boca et de la population juive). De la même façon que dans l’endogamie, les niveaux de ségrégation selon des critères ethniques expérimentèrent une claire tendance à la baisse tout au long de la période. Au-delà de ce contexte général, qui éloigne les villes du Rio de la Plata des modèles classiques de l’Ecole de Chigado sur le cas nord-américain, les trois groupes migratoires les plus importants de la capitale (Italiens, Espagnols et Français) présentèrent des règles différentielles de concentration spaciale.

 

Les Français se sont caractérisés par une distribution en partie coïncidente avec celle des Espagnols, mais déplacée (surtout vers la fin de la période), vers les sections 14 et 20 (quartiers de San Nicolás et Socorro), distribution qui, comme l’avait signalé Bourdé (1974), était semblable à celle des Allemands et des Anglais. Ces formes d’occuper la ville témoignent de la composition sociale hétérogène de la colonie française porteña: les immigrants de professions plus qualifiées habitaient dans le centre-ville et dans le quartier de Belgrano, tandis que les commerçants, les hôteliers et les couturières vivaient dans les zones proches de la Place San Martín.

 

Les règles de résidence des Français se caractérisent aussi par leur stabiblité temporelle et par la contiguïté spatiale des sections avec les niveaux les plus forts de concentration. A la différence de l’intégration matrimoniale, le groupe français apparaît dans cette dimension comme celui de plus forte concentration, suivi par l’espagnol et l’italien. Ces règles d’installation dans l’espace urbain furent aussi différentes pour les “résidants”en général et pour les “propriétaires”. Dans ce dernier cas, on observe un modèle d’installation périphérique et homogène (avec une très forte contiguïté spatiale), situé vers l’Ouest de la ville et clairement associé aux moindres prix de la propriété urbaine, ce qui démontre l’importance du marché et la capacité des immigrants à maximiser leurs gains, bien au délà de l’action des réseaux sociaux prémigratoires et de la recherche d’affinités ethniques. La faible intensité de l’accès à la propriété (à peu près 10 % vers 1904, aussi bien pour les natifs que pour les étrangers) confirme, à son tour, que la règle générale de résidence à Buenos Aires à la fin du XIXe siècle fut la location[33].

 

Malheureusement, nous ne disposons pas d’études sur la ségrégation spatiale des Français dans les villes de l’intérieur du pays. L’évidence qualitative suggère que les micro-concentrations familiales et régionales furent aussi fréquentes dans ces espaces, mais nous n’avons pas pour le moment d’études rigoureuses permettant de faire le saut entre ces impressions et la vérification précise et comparatiste des niveaux de ségrégation existants. D’un autre côté, la moindre taille de ces villes oblige à octroyer un sens clairement différent aux processus de micro-concentration, dans la mesure où l’espace joue ici un rôle moins décisif, ce qui facilite la formation de nouveaux liens pluriethniques.


5. L’intégration matrimoniale

 

L’intégration matrimoniale (endo/exogamie) constitue, sans doute, la dimension la plus étudiée par les chercheurs argentins pour mesurer le degré d’intégration structurelle des groupes migratoires, grâce à la disponibilité de méthodes et des sources (registres de mariages, aussi bien religieux que laïques), la possibilité d’obtenir des résultats comparables et, surtout, à l’association –certainement discutable- entre l’endo/exogamie et les théories du Pluralisme Culturel et le Melting Pot, respectivement.

 

L’évidence disponible montre que l’intégration à travers les mariages mixtes avec la population native fut beaucoup plus rapide dans le cas français que dans le reste des groupes migratoires. Quoique l’intégration eut lieu plus rapidement dans les régions rurales et urbaines de petite taille que dans les grandes villes comme Córdoba, Rosario ou Buenos Aires, aussi bien par l’échelle beaucoup plus réduite des espaces de sociabilité impliqués que par le moindre degré de complexité interne des structures sociales existantes, les Français furent, sans exception, le groupe migratoire le plus exogamique:  les taux d’exogamie de la periode 1854-1914 oscillent entre 64 et 41% à Tandil et entre 38 et 37% à Buenos Aires, pour les hommes et les femmes respectivement, tendances qui étaient encore plus notoires dans la seconde génération d’immigrants (Otero, 1990)[34]. De forme surprenante, la plus forte exogamie a lieu malgré les taux de masculinité plus élevés que les Français ont par rapport aux autres groupes. Vers le Centenaire de la Révolution de Mai (1910), les Français expérimentent dans la plupart des cas des taux d’endogamie égaux ou inférieurs au 50%, c’est à dire que -un sur deux- des originaires de l’hexagone était à l’époque dans une union mixte.

 

L’endogamie fut majeure chez les femmes françaises que chez les hommes français (à la seule exception de la ville de Buenos Aires), definissant ainsi un modèle de plus forte intégration matrimoniale masculine, largement vérifié pour le reste des groupes migratoires. Il faut tenir compte que si l’on inclut dans ce panorama d’autres indicateurs d’ordinaire absents dans les  études classiques sur le sujet (comme les unions de fait[35] et le célibat) et la proportion –certainement inconnue- des mariages accordés dans le pays d’origine et simplement formalisés en Argentine, les faibles niveaux d’endogamie observés résulteraient encore moins significatifs. La progressive réduction de l’endogamie vers la fin de la période considérée et la diffusion rapide chez les fils d’immigrants d’un modèle qui ne tient pas compte de l’origine ethnique du conjoint, délimitent une base quantitative suffisamment solide pour octroyer crédit aux nombreuses informations des contemporains sur la rapide intégration qui aurait caractérisé le groupe français dans cette dimension.

 

Vue en clé comparée, la tendance homogamique expérimenta des variations suivant les groupes ethniques considérés, ce qui permet d’établir une sorte d’échelle “d’ouverture”,  assez surprenante par sa stabilité d’un lieu à l’autre. Cette échelle montre que les Espagnols et les Italiens (dans cet ordre) furent les groupes les plus endogamiques, tandis que les Français constituèrent, dans tous les cas connus, le groupe le plus exogamique. Un cas à part fut celui des groupes minoritaires  (Allemands, Danois, etc. ou –en utilisant une catégorie analytique différente de la nationalité- les Juifs) qui, pour des raisons compréhensibles (distance culturelle, existence d’enclaves ethniques, etc) ont expérimenté une conduite hautement endogamique. 

 

En dehors des aspects macro du marché matrimonial, défini à partir des indicateurs démographiques, l’approche relationnelle a mis en valeur l’existence de mécanismes matrimoniaux complexes, tels que les mariages multiples, l’ endogamie micro-régionale (coïncidente, de façon générale, avec l’espace social prémigratoire), les migrations en chaîne orientées vers le regroupement familial, l’appel de conjoints, la formation de réseaux de sociabilité postmigratoire pour permettre de trouver un couple aux nouveaux arrivés, les "endogamies régionales de frontière" (entre Basques Français et Espagnols, par exemple) etc. Indépendamment de l’évaluation que l’on réalise des modèles relationnels, ceux-ci ont permis d’établir des évidences empiriques robustes pour appuyer l’hypothèse de Tilly et Brown (1967) selon laquelle les chaînes migratoires retardent le processus d’intégration matrimoniale, en favorisant de majeurs niveaux d’endogamie (Otero, 1990). En termes simples, l’équation “appartenance aux réseaux familiaux et paesanis denses/plus forte endogamie” a démontré ses avantages et a été vérifiée dans la plupart des études de cas, tout en illustrant la continuité des réseaux sociaux prémigratoires et l’existence de traits pluralistes, dans un contexte général caractérisé par l’exogamie.

 

L’intégration matrimoniale dépendait aussi de la taille des localités et des niveaux de ségrégation spatiale (qui impliquaient l’existence de marchés matrimoniaux segmentés). De telle sorte, l’insertion dans certains espaces urbains, indépendamment de ses causes, conditionna le marge d’action pour la réalisation de mariages endogamiques. Ainsi, par exemple, la périphérie de la ville de Buenos Aires (où il y avait des rapports de masculinité beaucoup plus élevés) s’est caractérisée par un marché matrimonial plus favorable pour l’intégration exogamique. Cette logique peut être aussi repérée pour d’autres univers d’analyse, comme le suggèrent les données de 1887 concernant les personnes qui habitaient les conventillos[36]de la capitale du pays. Quoique le recensement municipal de cette année là ne fournit pas d’informations détallées de chaque groupe national, la division entre Argentins et Étrangers montre que le conventillo typique fut habité par une forte majorité d’étrangers (surtout hommes) mais aussi par une haute proportion de population native (surtout femmes). Si l’on considère ces espaces de logement comme un univers de sociabilité qui conditionnaient  la formation de couples, il en résulte évident qu’ils ont constitué des voies d’intégration plus rapides et intenses que d’autres formes d’implantation urbaine, d’autant plus que l’exogamie ethnique fut favorisée, dans ces cas, par l’endogamie sociale (similitude de salaires, occupations et conditions de vie). Fortement séparés du point de vue social mais sans évidences de forte ségrégation ethnique, les conventillos favorisèrent  une sorte de Melting Pot  "depuis la base de la pyramide sociale”. Ce point n’est pas du tout secondaire si l’on tient compte qu’à peu près 40% de la population de Buenos Aires habitait dans ce type de logements vers la fin des années ’80 du XIXe siècle.

 

Ces sous-marchés matrimoniaux ne furent  pas, bien sûr, des espaces absolument fermés car la mobilité de la population à l’intérieur de la ville était sans doute importante à l’époque. La sortie vers les bals, fêtes et d’autres réunions organisées par les communautés migratoires, favorisée par un réseau de transport public de considérable modernité et extension, servit sans doute à élargir l’horizon matrimonial au delà du marché plus restreint des relations face à face du quartier ou des logements. Cependant, il serait aussi aventuré de supposer que la mobilité interne de la population des villes argentines du début du XXe siècle était plus forte que celle des villes actuelles, dans lesquelles les possibilités de formation de couples se trouvent fortement influencées par la distance en dépit des plus fortes facilités de transport.  Si le modèle proposé résulte valable, les espaces urbains de grande taille ont dû constituer des vecteurs d’intégration qui facilitèrent le saut décisif depuis les réseaux sociaux pré-migratoires vers la formation de nouveaux réseaux pluri-ethniques. 

 

 

6. Forces centripètes et centrifuges: Associationnisme éthnique et Etat

 

Si l’on tient compte d’autres dimensions du processus d’intégration comme la création d’institutions éthniques, l’absence d’études sur l’immigration française en Argentine devient encore plus évidente[37]. Les Français développèrent bien sûr leurs propres formes d’organisation, spécialement dans la capitale du pays, mais aussi dans les villes de l’intérieur, y compris celles de petite taille. Les fonctions de ces institutions furent très variées, y incluant depuis l’aide à leurs membres en matière de santé jusqu’à des fonctions plus clairement ethniques comme le maintien de l’identité culturelle et la récréation de la liturgie patriotique. Dans le premier cas, on doit remarquer que les Français créèrent en 1854 la première association mutuelle du pays,  "L'Union et Secours Mutuels”, suivie dans les années suivantes par d’autres importantes créations comme l’ “Hôpital Français” de Buenos Aires (1878), dépendant de la "Société Philantropique Française" fondée en 1832; l’”Orphelinat Français” de Buenos Aires (destiné aux filles orphelinnes dès sa fondation en 1867) et l’hôpital "Euskal Echea" de Lomas de Zamora, fondé en 1907 par la société basque du même nom. Il exista aussi une  "Fédération des Mutualités Françaises en Argentine" et une Société de protection aux immigrants français”. Dans le deuxième cas, on doit inclure, le "Club Français" et le "Centre Basque-Français", fondés en 1866 et 1895, respectivement. A ce large ensemble d’activités, on doit ajouter les journaux édités en français et quelques écoles[38] soutenues par les institutions de la communauté.

 

Quoique les études sur les institutions françaises sont encore rares,  on peut conjecturer que celles-ci constituèrent un premier niveau d’organisation qu’aurait favorisée l’intégration des immigrants dans la société argentine. Etant donné que l’identité n’est pas un élément monolithique sinon que, bien au contraire, elle reconnait la possibilités des loyautés  co-existentes, l’appartenance à ces institutions ne devrait pas être vue, au moins a priori, comme une forme antagonique à l’intégration dans la société locale. Plusieurs éléments  vont dans cette direction: sur le plan politique, la commémoration de la liturgie patriotique, évidente par exemple chaque anniversaire de la Révolution Française[39], ne fut pas accompagnée de rapports étroits avec l’Etat français, comme le montrent les plaintes répétées sur la faible tendance des immigrants à entrer en contact avec les consulats[40] ou le nul appui des gouvernements de l’hexagone à l’égard d’entreprises de premier ordre comme le journal “Le Courrier de la Plata”.

 

En second lieu, l’appartenance à ces institutions expérimenta des fluctuations importantes dans le temps. Ainsi, en fonction des sources disponibles il est possible d’établir deux moments dans le “niveau de couverture” des institutions ethniques françaises: la fin de la décennie 1880 et l’époque du Centenaire. La première phase se caractérisa par l’importance d’associations françaises  qui incluent une part très importante des immigrants de cette origine. Selon le recensement de la capitale, il y avait vers 1887, huit  sociétés et clubs français, avec un total de 6.251 membres, chiffre qui representait 31% des Français de la ville et clairement supérieure au 21.7% observé chez les Italiens (Cibotti, 1995). La Société Philantropique avec 4.200 associés et la Société Française de Secours Mutuels avec 400 membres étaient les plus nombreuses. Selon Daireaux (1889), dont les données méritent plus de confiance par sa précision, le chiffre des institutions françaises était supérieure (20 sociétés vers la même date). L’information consulaire, pour sa part, indique qu’un sur deux immigrants était affilié à une association ethnique vers la fin des années ’80.

La seconde “photographie” de laquelle nous disposons correspond au Recensement de Sociétés Mutuelles de 1913. Pour cette date, les associations mutuelles françaises rassemblaient seulement 15,5% des immigrants de cette origine, pourcentage semblable à celui des Espagnols (13,2%) et des Italiens (17,9%). Il y avait 92 sociétés françaises, créées à raison d’une trentaine par décennie à partir de 1880. La plupart étaient dans la Capitale du pays et, surtout, dans la Province de Buenos Aires. La masse des membres était vers 1913 de 12.311 personnes, dans sa grande majorité des hommes (86%)[41]. Les affiliés français ne représentèrent que 2,4% de tous les affiliés du pays, proportion inférieure à la participation relative du groupe dans l’ensemble de la population. (3,5%)[42].  L’univers associatif et de sociabilité des Français inclut aussi des fêtes, des spectacles culturels (comme l’opéra) et une pluralité de références identitaires qui n’a pas reçu, jusqu’à présent, l’attention qu’il mérite. Bref, en étroite relation avec son  cycle migratoire, on peut établir deux moments dans l’associationnisme français en Argentine: une première phase pluraliste et une seconde plus proche du Melting Pot.

La tendance observée dans les communautés italiennes et espagnoles à la création d’associations ethniques de base régionale, n’eut pas -à l’excepcion du cas basque déjà mentionné- la même importance chez les Français. Sans doute, la plus rapide et précoce intégration et, surtout, la moindre présence quantitative difficulta les processus de fragmentation régionale caractéristiques des groupes majoritaires. La base quantitative expliquerait aussi la tendance à former des associations avec d’autres communautés francophonnes comme les Belges et les Suisses, aussi bien en ce qui concerne les sociétés mutuelles que dans d’autre types d’associations, comme le suggère la "Société de protection aux émigrants français, belges et suisses".

 

En troisième lieu, l’absence des secteurs sociaux de plus bases conditions dans la direction des associations ethniques, vérifiée par exemple pour le cas de Tucumán par Feilyng (2002), relativise la representativité de ces institutions. Finalement, les associations plus actives fondèrent leur succès initial avec  l’offre de services non garantis par l’Etat (en particulier la santé) et, en conséquence, perdirent de l’importance avec l’expansion progressive et, par moments, vertigineuse du secteur public. Bien entendu, la caractérisation de la riche et complexe vie interne de l’associationnisme ethnique à partir d’une vision purement instrumentale (utilisation des services de la part de la masse des membres; moyen de prestige et de pouvoir des leaderships ethniques auprès les élites locales) constitue un réductionnisme inacceptable mais permet de poser le problème dans un contexte plus large qui exclut aussi l’idée de voir ces institutions comme purement ethniques.

 

La capacité des leaderships ethniques à s’intégrer à l’élite dirigeante et intellectuelle argentine, bien documentée pour d’autres groupes comme les genevois, n’a pas été étudiée de façon systhématique pour le cas français. Cependant, les nombreuses évidences présentées par Viviane Oteiza, suggèrent qu’un processus semblable (et peut être plus intense) eut lieu aussi dans la communauté française. Ce processus commença précocemment, comme nous l’avons vu, grâce aux relations de notables comme Peyret et Berheim avec le Gouverneur d’Entre Rios, Justo José de Urquiza, et avec Domingo Faustino Sarmiento (tous les deux futurs présidents de la République), dans la décennie antérieure à la défaite de Rosas à Caseros, et continua dans le temps malgré les va-et-vient de la politique factieuse argentine. En plus de leurs capitaux en tant que référents de la communauté, les notables de la colonie française jouèrent un rôle très important dans plusieurs activités de nette influence politique comme la presse mais aussi la participation dans la maçonnerie et dans le projet libéral-républicain représenté par celle-ci. Si bien il y avait des organisations de la maçonnerie selon des origines ethniques (comme Les Amis de la Verité”, “Egalité”, “Humanité et Fraternité” ou les  “Amis des Naufragés” pour le cas de Français), la maçonnerie représenta avant tout un espace de sociabilité autour d’idées et des projets politiques, qui facilita l’intégration vers l’élite dirigeante argentine. Dans ce contexte, la leadership ethnique des membres des institutions françaises put être accompagnée aussi par une active présence dans les institutions argentines. Le succès de cette intégration explique aussi qu’une partie importante des exiliés optèrent pour rester en Argentine après l’établissement de la Troisième République Française (Oteiza, 2000).

 

Contre-balançant ce large ensemble de capillarités ethniques qui soutenait la communauté française, l’école publique argentine eut un rôle décisif dans la tâche de “nationnaliser” l’énorme légion d’Argentins fils d’immigrants. Ainsi, par exemple, la population écolière de la ville de Buenos Aires  montrait  vers 1904 un niveau très élevé d’assistance à l’école publique, laquelle pratiquement monopolisée avec 95% l’offre éducationnelle existante. Ces chiffres témoignent de l’importance de l’action de l’Etat, acteur fondamental du processus d’intégration de la population étrangère dans le cas argentin, grâce au rôle intégrateur d’une école publique de notable expansion et couverture, et motorisée par un rituel patriotique de significative capacité d’homogénéisation culturelle (Bertoni, 1992, 1996).

 

L’action de l’Etat renforça ainsi la tendance intégrative que, sur le plan des conduites effectives, jouèrent les mariages mixtes (d’autant plus que dans ce cas l’agent de socialisation le plus important  –la mère- était native) et les faibles règles de ségrégation spatiale. Quoiqu’ il y avait des écoles françaises (moins nombreuses que celles des Italiens) qui rivalisaient  timidement avec la volonté monopolique de l’Etat pour l’instruction et la socialisation des enfants, ces écoles ne recevaient qu’une partie assez petite -et par ailleurs limitée aux enfants des milieux aisés de la colonie (Serret, 1915)-  de la population écolière d’origine française. Ce rôle hégémonique de l’Etat argentin facilita l’apprentissage rapide de la langue espagnole et la faible persistance de la langue française chez  les membres de la seconde génération d’immigrants[43].

 

Dans le cas des villes de l’intérieur de la province de Buenos Aires comme Tandil la situation fut assez différente car il n’ y a pas eu d’écoles françaises, malgré la très active présence d’éducateurs de cette origine. L’absence d’écoles ethniques contribua, sans doute, dans ces espaces à une plus rapide intégration linguistique. Un phénomène identique eut lieu en ce qui concerne la participation politique et institutionnelle des immigrants, favorisée par leur succès économique et par leur poids dans les secteurs moyens en expansion. Ainsi, des membres importants de la colonie française comme Jean Capdepont, Jean Baptiste Arabehety, Valentin Chanfreau, Jean Marie Dhers et Bernard Sabatté Laplace, eurent dans cette ville des postes politiques au gouvernement municipale et dans plusieurs institutions (en particulier la création de banques) durant la seconde moitié du XIXe siècle. On trouve aussi des fils des Français (Dhers) dans la création de la “Junta Revolucionaria Radical” en 1893. Comme l’a montré Míguez (1987: 367), parmi 55 figures qui eurent une participation politique dans l’administration municipale d’une certaine durée (7 années ou plus) entre 1880 et 1910, 24 étaient étrangers (dont 9 Français) et 21 Argentins (quelques uns d’origine étrangère). Un rôle analogue fut joué par la maçonnerie et, surtout, par les sociétés ethniques, dont leur gravitation fut bien au délà de ses fonctions assistancielles et identitaires. Sans doute, leur condition de notables et la représentation de ses communautés auprès les autorités locales, permirent aux leaderships ethniques des villes de l’intérieur du pays de s’incorporer à une élite locale “intégrée” et pour laquelle “la stratification sociale fut un facteur beaucoup plus important (...) que le pays d’origine” (Miguez: 1987: 378). Le cas de Tucumán (Feilyng, 2000) suggère des conclusions semblables à cet égard.

 

En conséquence, si bien les immigrants ne participaient pas (en lignes générales, car il y avait des exceptions) à la politique factieuse des partis pour le contrôle de l’Etat national, comme soutiennent les hypothèses traditionnelles (Germani, 1962), ils eurent un pouvoir significatif au niveau municipal. Cette perméabilité de l’Etat à l’échelle micro et la moindre taille de la communauté française, expliquent sans doute le rôle moins important (et réduit aux aspects plus symboliques et purement récréatifs) des associations ethniques dans le cas des villes comme Tandil et aussi l’active participation des immigrants français dans les institutions à caractère pluriethnique. Il est intéressant de remarquer aussi que l’association française de la ville –la Société Sadi Carnot- fut créée quand le processus d’insertion était déjà très avancé[44]. Bien entendu, les institutions ethniques furent plus significatives dans les contextes de colonisation, comme le montre la création de la société mutuelle “La Fraternelle (1891) et du “Cercle Français” (1894) dans le cas de Pigüé.

 

 

7. Le journalisme français:

 

L’une des manifestations les plus importantes de l’associationnisme, défini dans un sens large, est le développement d’une presse à caractère ethnique, activité qui expérimenta aussi des variations selon les espaces considérés. Pour la ville de Buenos Aires et le pays en général, le cas emblématique fut le journal Le Courrier de la Plata”, sans nulle doute le plus important organe de presse de la communauté française du Rio de la Plata, dont les traits essentiels sont maintenant bien connus grâce au excellent et approfondi travail de Viviane Oteiza (2000)[45]. Authentique “journal de communauté”, son importance difficilement puisse être exagérée: à sa notable persistance temporelle de 81 années (du 1º juillet 1865 au 1º septembre de 1946), on doit ajouter qu’il fut le plus célèbre organe de presse de la communauté française (en étant lu aussi par les Belges et les Suisses car il était rédigé en langue française) de l’Argentine mais aussi de l’Uruguay.

 

Toujours selon Oteiza, les clés de son succès doivent être cherchées dans sa relative indépendance par rapport aux  luttes politiques locales (à la différence, par exemple, des journaux italiens), mais aussi par la qualité du journal, l’importance quantitative de la communauté, la capacité politique et commerciale de son fondateur et directeur (l’exilié alsacien Joseph Alexandre Bernheim), la  notable qualité de ses collaborateurs et –surtout- ses  étroites connexions avec les intérêts économiques français du Rio de la Plata et avec l’élite argentine, avec laquelle il partageait le programme libéral-républicain et un projet d’organisation de la Nation Argentine. Selon le recensement de la ville de Buenos Aires de 1887, Le Courrier avait un tirage de 4500 exemplaires par jour ce qui signifiait  –selon les calculs d’Oteiza- qui était lu par 17 à 18.000 lecteurs, c’est à dire par la quasi totalité de la population française de la ville (20.031 habitants) à cette époque là.  Le groupe intellectuel qui anima le journal dans ses diverses étapes fut composé par de notables personnalités de la communauté française comme son fondateur Berheim (imprimeur et journaliste), Alexis Peyret (éducateur, fondateur de la Colonie San José dans la province d’Entre Ríos),  León Walls (président de la commission fondatrice de la Banque Française du Río de La Plata), Alberto Larroque, Raúl Legout, Amadeo Jacques (éducateurs de renom), Emile Daireaux (avocat et écrivain) et Alfred Ebelot (ingénieur et écrivain). Cet ensemble de personnalités constitua un groupe caractérisé par son haut niveau de qualification intellectuelle acquise en France, ses convictions républicaines et libérales qui étaient à l’origine –pour beaucoup d’entre eux- de leur exile après la Révolution de 1848, son appartenance à la maçonnerie (Berheim, Peyret, Legout et Walls) et sa connexion avec l’élite politique argentine (spécialement avec Urquiza et Sarmiento, dans la phase initiale du journal).

 

Avec un contenu très vaste, le journal protégea et diffusa les intérêts économiques de la communauté française, tout en contribuant à la diffusion de renseignements utiles aux immigrants (à propos du prix de la terre par exemple), et des nouvelles de la vie politique et sociale de la France. Il diffusa aussi la liturgie patriotique centrée sur l’hommage à la Révolution de 1789 (commun aussi à d’autres communautés et à l’élite argentine), et contribua, de telle sorte, à la nationalisation “française” des immigrants qui provenaient du sud de la France.


A l’intérieur du pays, la taille des communautés et, comme nous l’avons vu, l’intégration à l’élite politique locale de leurs potentielles leaderships, difficulta ou simplement fit moins nécessaire la création de journaux ethniques. Ainsi, par exemple, dans le cas de Tandil, et malgré la précocité (le premier journal “El Pueblo” fut crée en 1854) et l’intensité de l’activité journalistique développée tout au long du XIXe siècle, les journaux ethniques furent très rares et, avec la seule exception du journal danois “Tandils Tidende”, paru entre 1889  et 1912,  eurent une vie très courte. Les journaux les plus importants –comme “El Eco de Tandil”, le plus ancien de la province de Buenos Aires et le quatrième du pays- furent réalisés par des entreprises composées d’Argentins et d’étrangers de différentes origines ethniques. Les Français de Tandil, très actifs dans d’autres rubriques, éditèrent une seule publication (Paris-Tandil. Tandil 14 juillet 1896- Numéro unique – 1789-1896” dédié à la Colonie Française de Tandil en Commémoration de la Prise de la Bastille), rédigée par le professeur français Eugèno Henry Lamy mais aussi par d’autres personnes qui n’appartenaient pas à la communauté française comme Ramón Santamarina et Raimundo Piñero (Barrientos, 1975). Cette publication –comme le suggère son nom- présentait la communauté française de la ville en société et  faisait  hommage à la Révolution de 1789, point de répère identitaire de la communauté mais aussi icône d’un programme libéral-républicain largement partagé à l’époque par les dirigeants  argentins et étrangers.

 

Troisième Partie: Conclusions

 

8.  En guise de synthèse: modèles d’intégration

 

Arrivés à ce point, il résulte possible d’esquisser un tableau d’ensemble et comparatif, quoique forcément partial et incomplet, des dimensions et des espaces socio-régionaux analysés. Comme dans les tableaux expressionnistes, ce panorama devra se réduire au design des traits forts des différents modèles d’intégration, en tenant compte de l’influence de l’espace, de la taille de la communauté et des formes de sociabilité. Un tel modèle (spatiale, exploratoire et, pour certains aspects, hypothético-déductif) nous permet de distinguer trois types de situations:

 

-Modèle urbain de villes de grande taille: Dans ces espaces (le cas paradigmatique est ici la ville de Buenos Aires, mais aussi les grandes villes de l’intérieur comme Rosario et  Córdoba) l’intégration des Français se caractérisa, comme nous l’avons vu, par des niveaux plus forts de ségrégation spatiale et de mariages endogamiques. Dans le même sens, l’associationnisme ethnique eut une force significative aussi bien par la création de multiples formes associatives (sociétés mutuelles, surtout, mais aussi des cercles, clubs, etc.) que par les écoles ethniques et le rôle très actif de la presse de la communauté. En même temps, les majeures marges de mobilité socio-occupationnelle ascendante et descendante –propres des structures économiques plus complexes et diversifiées- durent produire une différenciation sociale interne plus intense. Pour cette raison, les différences de classe (définies en termes classiques d’occupation mais aussi en termes de sociabilité et de rapports personnels) et de conditions de vie, jouèrent peut être un rôle plus significatif que dans les espaces de moindre taille, comme l’illustre ce que nous avons appelé le Melting Pot  "depuis la base de la pyramide sociale”. De la même manière, l’intégration des leaderships françaises avec l’élite dirigeante argentine (soit directement ou par la médiation des institutions comme la maçonnerie) et l’intégration des exiliés anarchistes et socialistes dans la dirigeance ouvrière et les sindicats, constituent des exemples paradigmatiques de la difficulté de constituer des communautés exclusivement fondées sur l’appartenance ethnique.

 

-Modèle urbain de villes de taille moyenne: ce modèle  (dont la ville de Tandil peut constituer un cas typique) se caractérise par des taux d’endogamie plus bas, à cause de la haute proportion de population rurale favorisant l’intégration exogamique et l’existence de sous-marchés matrimoniaux peu segmentés du point de vue ethnique, social et spatial, qui permettent des opportunités d’interaction et de formation de réseaux pluri-ethniques de plus forte intensité et plus horizontales. En claire prolongation de ces observations structurelles, l’associationnisme français (quand il exista en tant que tel et non intégré aux sociétés mutuelles pluriethniques) eut dans ce type d’espaces une moindre importance et un plus faible pouvoir reproductif des règles culturelles (en particulier, la langue) par la moindre ou nulle présence d’agents décisifs de promotion comme l’école ou le journalisme ethniques. La moindre différenciation socio-culturelle de ces espaces et, surtout, la plus réussie intégration des leaderships ethniques aux élites locales favorisa sa présence dans la vie et le gouvernement municipal, en faisant moins nécessaire la promotion d’un actif mouvement associatif sur des bases ethniques et contre-balançant l’influence jouée dans le sens contraire par la plus faible (en relation avec le modèle antérieur) différenciation sociale interne de la communauté.

 

-Modèle rural des régions de colonisation: favorisé par la plus forte homogénéité des flux migratoires (égales origines micro-régionales, forte densité des réseaux familiaux et de voisinage, compagnies ou institutions d’ encadrement, etc), par le caractère rural des colonies et par la moindre présence de population réceptrice et d’institutions publiques argentines, ces espaces permirent –comme dans le célèbre cas de Pigüé- de recréér plus activement la communauté d’origine. En réalité, on assiste surtout à une continuité des conduites et des règles socio-culturelles,  plus qu’à la recréation d’un espace prémigratoire, tâche qui implique un rôle très actif des dirigeances ethniques ou un processus d’invention d’ethnicité (Conzen et. al., 1990).  Dans un contexte de haute ségrégation (quoique cet indicateur soit tautologique pour les colonies), l’endogamie, la continuité linguistique et l’associationnisme ethnique eurent un effet clairement différent, par rapport aux modèles antérieurs. Quoique les colonies n’étaient pas constituées, en règle générale, à partir d’individus du même groupe migratoire, il est indéniable que l’influence ethnique initiale susbsista bien au-delà de l’arrivée postérieure des natifs et des immigrants d’autres origines, et que les groupes fondateurs maintinrent pour un certain temps un pouvoir symbolique et réel, absent dans les autres espaces.

 

Si le cadre que nous venons d’exposer permet d’ appuyer la thèse de différents modèles socio-spatiales d’intégration des Français dans la société argentine, la présence du groupe basque oblige à rendre plus complexe le schèma. A cet égard, Alvarez Gila (1995) a signalé que les profondes similitudes culturelles entre les Basques Français et Espagnols, auraient facilité un processus d’intégration entre eux et la formation précoce d’une communauté basque, avant même l’apparition des institutions ethniques de cette origine. Parmi les facteurs qui favorisèrent le processus, le chercheur basque signale le fait de partager la même langue (l’euskera) et les mêmes espaces de travail (salaisons, élevage des moutons) et de sociabilité, les règles d’installation au sud de la province de Buenos Aires, les mariages endogamiques entre Basques Espagnols et Français et le fait que la société locale les percevait comme membres d’un même groupe ethnique. Si l’on considère valable cette hypothèse il existerait pour les Basques Français un modèle d’intégration à plusieurs directions: vers les Basques de l’autre côté des Pyrénées, vers les Français en provenance d’autres parties de l’hexagone et vers la société argentine, mouvements que l’on pourrait concevoir comme séquentiels  ou comme simultanés. Les éléments mentionnés jusqu’ici et la récente étude d’ Iriani (2000),  semblent octroyer une plus forte plausibilité à cette dernière hypothèse. Dans le même sens, l’évidence des contemporains[46]. suggère que les Basques Français se sont intégrés plus rapidement que d’autres groupes migratoires français dans la société argentine, raison par laquelle les modèles proposés devraient inclure dans le futur des analyses plus approfondies sur la composition ethnique du flux migratoire français dans chaque espace socio-régional.

 

Si l’on incorpore les conduites des Argentins fils de Français (l’évidence se fonde ici seulement sur les unions matrimoniales desquelles, il faut insister, il n’y a  pas pour le moment des données abondantes), il est possible de faire l’hypothèse que les modèles mentionnés répéteraient l’échelle relative proposée aux paragraphes précédents: 1) très forte continuité ethnique dans la première génération (qui pourrait continuer aussi chez la seconde et troisième génération) dans les zones de colonisation;  2) continuité -en degrés variables en fonction d’autres paramètres- dans les villes de haute ségrégation; 3) plus forte ouverture dans les villes de taille moyenne. Bref, une sorte de courbe en U,  permet de désigner une échelle de niveaux d’intégration ou, pour être plus exactes, de tempos d’intégration: a) traits pluralistes importants dans les grandes villes, particulièrement forts dans la phase ascendante du cycle migratoire comme le suggère le niveau de couverture associative de la ville de Buenos Aires; b) intégration plus rapide dans les villes de taille moyenne et petite; c) moindre intégration et plus forte persistance culturelle aux colonies. Si bien certains aspects symboliques –comme la liturgie patriotique centrée sur la Révolution de 1789 ou la recréation des fêtes et coutumes nationales- furent communes aux trois espaces, leur présence eu des effects reproductifs différents selon l’intensité des indicateurs analysés. Pour cette raison, la similarité des continuités symboliques ne doit pas faire oublier les fortes différences structurelles  existantes dans chaque espace régional.

 

Les modèles signalés (communs probablement à d’autres groupes ethniques) doivent être nuancés pour, au moins, trois raisons. En premier lieu, il faut tenir compte qu’il s’agit de qualifications relatives dont leur signification n’est compréhensible qu’en comparant les modèles entre eux et que ceux-ci constituent, en lignes générales, des processus d’intégration plus rapides que ceux observés dans d’autres pays d’immigration, en particulier le cas nord-américain habituellement pris comme point de comparaison. En seconde lieu, ces modèles sont fondés sur les segments de plus forte “stabilité” du flux migratoire français et, de telle sorte, n’incluent pas de larges groupes de population comme les célibataires et les unions de fait dans l’intégration matrimoniale; les non-affiliés aux sociétés ethniques dans l’associationnisme, et la population mobile (entre ville et campagne, entre espaces régionaux, les re-émigrés vers d’autres pays ou les retournés en France) dans la mobilité sociale et spatiale. L’inclusion de ces sous-populations et des Argentins fils de Français (tâches spécialement difficiles étant donnée la rareté d’études et les problèmes méthodologiques impliqués), ouvre un signe d’interrogation qui demande des approches et des sources nouvelles. Finalement, les trois modèles n’impliquent pas de contiguité spatiale car ils peuvent coexister à l’intérieur de chaque unité administrative. De la même façon que les départements français ne constituent pas, dans certains cas, des unités d’analyse pertinentes pour comprendre la complexité des processus migratoires de l’hexagone, comme l’a très bien signalé François Weil (1996), les unités administratives des pays de réception n’offrent pas non plus des certitudes rassurantes.

 

Au-delà de ces nuances, quelle est la validité des modèles proposés? Etant donné la rareté d’études de cas sur la présence française, l’exercice réalisé se trouve forcément proche des travaux des paléontologes, dans lesquelles les chercheurs sont obligés de reconstituer de complexes structures à partir de faibles évidences. Indépendamment de cette faiblesse, la typologie esquissée nous  permettra de reconsidérer le cas français à la lumière du débat historiographique entre les modèles du Melting Pot et le Pluralisme Culturel. Elaborés en moments historiques et fondés sur des approches théoriques et méthologiques différents, ces modèles fournirent des images alternatives du passé argentin. Tandis que le premier -inspiré par les approches macro-structurels de la sociologie de la modernisation- soutint dès la décennie 1960 l’idée d’une intégration rapide des immigrants qui n’hésita pas à qualifier comme “fusion”, le second -influencé par la new urban history  et l’ ethnic history nord-américaines et la microstoria italienne-  démontra à partir des années ’80 l’existence des traits pluralistes (endogamie, ségrégation spatiale, associationnisme ethnique, etc.) qui permettaient de douter de la  rapidité du processus. Centrés en échelles et en dimensions différentes du social, les deux modèles contribuèrent à enrichir les termes d’un débat académique, politique et culturel de grande importance pour l’Argentine en tant que pays d’immigration[47].

 

Le cas français ne permet pas, bien entendu, de fermer un débat aussi large et profond, à partir de l’expérience partiel d’un seul groupe migratoire. Néanmois, cette même expérience démontre l’inconvenance de considérer ces cadres théoriques comme nécessairement antagoniques, dans la mesure où la perspective spatiale et les études de cas suggèrent que les deux formes d’intégration furent importantes contemporainement. Comme nous l’avons vu, dans l’Argentine de l’immigration de masses  coexistent différents modèles spatiaux capables d’être intégrés dans chaque théorie ou, dans les deux, si l’on incorpore la dimension historique. Ainsi, dans un contexte général qui fait de l’Argentine un cas particulièrement proche du maximum de Melting Pot possible dans un pays d’immigration de masses, les Français de la capitale (au moins jusqu’à la fin du XIXe siècle) et des colonies se seraient caractérisés par des niveaux significatifs de Pluralisme Culturel, en clair contraste avec l’intégration plus rapide des autres espaces sociaux évoqués.


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[1] Instituto de Estudios Históricos y Sociales, Universidad Nacional del Centro (IEHS-UNICEN, Tandil); Centro de Estudios Migratorios Latinoamericanos (CEMLA, Buenos Aires); Consejo Nacional de Investigaciones Científicas y Tecnológicas (CONICET). E-mail: hgotero@arnet.com.ar

 

    [2]  Par cette raison l’historiographie sur l’émigration vers l’Argentine est encore peu abondante. Voir à cet égard Pinède (1954, 1957), Bochacá (1971), Bennassar (1976), Andreu et al. (1977), Otero (1987), Charnisay (1996). Pour une analyse des causes de “l’indifférence historiographique” vers l’émigration française et de l’état actuel des études, voir la récente synthèse de François Weil (1996).

    [3] Malgré la relative absence d’études, il existe des travaux qui abordent le problème des sources (Bennassar, 1976; Mauro, 1979). Les statistiques de passeports sont analysées par Vidalenc (1971) et les sources diplomatiques par Ozanan (1963).

    [4] Pour une analyse plus approfondie de la géographie de l’émigration cfr. Otero (1987).

    [5] De 153.000 émigrants qui sont sortis par ce port entre 1830 et 1914, 64 % se dirigea vers le Río de la Plata (Bochacá, 1971).

    [6] Les ports les plus importants de l’émigration française furent Marseille (Bouches du Rhone); Bordeaux (Gironde); Le Havre (Seine Maritime) et Bayonne (Basses Pyrénnées).

    [7] Cfr. l’étude de Carrère (1976) sur la localité basque française de Macaye. Du point de vue antropologique, les  systèmes à maison comme le basque, orientés vers la préservation de la maison, favorisèrent l’émigration de ceux qui n’étaient pas des héritiers. L’insertion dans un espace moins contraignant comme celui du Rio de la Plata impliqua un changement important dans la conduite des immigrants (adoption de normes égalitaires d’héritage et augmentation de la fécondité), que nous avons analysé en Bjerg et al.(1998) et Otero (1996), respectivement.

    [8] Des analyses au niveau micro de ce processus se trouvent chez Pinède (1954) et Luque de Sánchez (1982).

    [9] Deux exemples paradigmatiques à cet égard sont l’émigration des alsaciens vers les Etats-Unis et le Brésil après la guerre franco-prusienne de 1870 (Maire, 1980) et l’émigration basque-française produite par le transfert de la frontière administrative  vers le Bidassoa en 1841, après la première guerre carliste (Goyeneche, 1979).

    [10] Pour 1912, la population française dans les pays américains les plus importantes était la suivante: 125.000 (Etats-Unis); 100.000 (Argentina); 25.100 (Canadá);  14.000 (Brésil);  10.000 (Chili); 9.500 (Uruguay) et 4000 (Méxique) (Tapinos et. al, 1976).

[11] La présence française dans l’ensemble de l’Argentine est analysée par AA.VV. (1986), Sarramone (1994, 1995);  Otero (1999);  Pelosi (1999) et  AA.VV (1999).  Les principales études de cas existantes sont les travaux de Lassalle (1998, 2001) sur La Pampa; Paez de la Torre (1979) et Feilyng (2000) sur le Tucumán; Celton (1983) et Szchuman (1980) sur Córdoba, Márquiégui (1998) sur Luján  et Otero (1993, 1994, 1995, 1996) sur  Tandil. Pour une présentation exhaustive de la bibliographie sur la présence française en Argentine et d’autres pays du Cône Sud, voir Otero et al. (2002).

 

    [12] Les chiffres d’émigrants français sortis par les quatre ports furent de 7898, 4600, 5947 et 15829 entre 1869 et 1872 (Willcox, 1969: 677).

    [13] En effect, les 4.000 exiliés politiques qui quittent la France en 1871 se sont dirigés vers la Belgique, l’Angleterre et la Suisse (Noël, 1971).

    [14] A propos du banquet de refugiés de la Commune de Paris, réalisé en 1880 à  Buenos Aires, l’agent du Consulat envoie au Ministère des Affaires Étrangères de France le rapport suivant: "les refugiés de l’insurrection de 1871 –actuellement à Buenos Aires- se sont réunis le 18 mars, dans un banquet, au nombre de cent vingt personnes environ. Le compte rendu qui m’a été fait de cette réunion prouve que les pauvres gens n’ont rien appris ni rien oublié. Ils ont parlé de revanche dans leurs filandreux discours et émis l’espoir du prochain triomphe de leurs criminelles folies"(Archives du Ministère des Affaires Etrangères, Correspondance Commerciale, -AMAE, CC, à partir d’ici- Consulat de Buenos Aires, 1879-1881, Tome XI). .

     [15] Après un conflict pour le contrôle sanitaire argentin des bateaux italiens, le gouvernement de l’Italie décida l’interdiction d’émigrer vers ce pays sudaméricain. Le gouvernement argentin réalisa alors (1911) une forte propagande dans le sud de la France pour combler la diminuition de main d’oeuvre résultante. Le Consultat français à Buenos Aires envoya des nombreux rapports à son gouvernement dans lesquels  il reccomandait de prendre des mesures  “confidentielles” pour “surveiller le mouvement migratoire vers l’Argentine (...) sans prendre de mesures susceptibles de froisser l’amour propre –toujours en éveil- des Argentins” (AMAE, Immigration, 1903-1918, Nouvelle Série, Tome 32).

[16]  Malheureusement, les facteurs  d’attraction de l’Argentine sont encore mal connus, en particulier les images du pays dans la presse française (et surtout ses effets sur les migrants), les mécanismes de diffusion de l’information,  les différences de salaires, le rôle des  virement d’argent et la –très active- action officielle des agents d’émigration.

 

    [17] L’éducateur français Alexis Peyret qui, à la demande du gouverneur Urquiza, fonda en 1856 la Colonie San José, constitue l’exemple plus célébre à cet égard.

 

[18] Division administrative des certaines provinces argentines.

 

     [19] Ainsi, comme conséquence de la crise économique de 1890, quelques Français se sont dirigés l’année suivante vers le Brésil (AMAE, CC, Consulat de Buenos Aires, 1891, Tome XVI).

     [20] Le Sud-Ouest inclut ici les départements d’ Haute Garonne, Corrèze, Gironde, Dordogne, Landes, Gers, Lot et Garonne, Tarn et Garonne et Aveyron.

     [21] La meilleure étude de la colonie de Pigüé est celle d’Andreu et al. (1977). Les aveyronnaises fondèrent au moins deux autres villes en Argentine: Sarget en 1860 et Bouquet. Selon le journal boulangiste Le Pays Noir, parmi les  23.330 immigrants français de Buenos Aires en 1888, il y avait à peu près 2.000 d’origine aveyronnais. Donnée fournie gentiment par Jean Marty.

     [22] L’émigration des Basses Pyrénées, département qui correspond en lignes générales au Pays Basque Français, passa d’une moyenne annuelle de 1775 émigrants en 1865-1874 à  540 en 1878-1881 (Boislisle, 1876; Schnerb, 1883).

     [23] Tandis que le Pays Basque Espagnol connut une expansion économique importante dans la seconde partie du XIXe siècle, fondée sur l’industrialisation et la transformation capitaliste de son secteur minier orienté vers le marché britannique, son homologue français suivit une évolution inverse. Malgré les tentatives de développement sidérurgique de la période 1855-1870, il restera une société essentiellement agraire.

     [24] Voir AMAE, CC, Buenos Aires, 1879-1881, Tome XI, et AMAE, CC, Buenos Aires, 1861, Tome V, respectivement.

[25] Sur les réseaux migratoires voir les analyses des groupes basques, français et dannois inclues en Bjerg et Otero (1995). Les résultats obtenus sont semblables à ceux fournis par le Commissaire Général de l’Immigration Juan Alsina (1910) pour 1893. Alsina soutenait que 40 % des immigrants arrivait au pays avec des contacts préalables avec d’autres compatriotes. Autrement dit, 60% durent recourir à des mécanismes plus impersonnels. Comme le suggère Fernando Devoto(1998), ceux-ci durent être très importants pour le cas argentin. Selon lui, les pays d’émigration vers le Río de la Plata se sont caractérisés par un contexte émigratoire familiarisé avec les possibilités et les limites de l’émigration et avec une multiplicité de voies d’information qui rendaient moins utile le recours aux liens sociaux forts. Le contexte migratoire rioplatense (avec forte expansion de l’économie, existence de marchés fluides, haute demande de travail, liberté juridique pour entrer et sortir du pays et absence de préjugés discriminatoires à l’égard de la main d’oeuvre étrangère) aurait produit le même effet.

[26]  Pour une analyse des premières colonies dans les provinces d’ Entre Ríos et Corrientes voir López (1970, 1982).

 

 [27] Des renseignements partiaux sur la présence française dans les activités économiques argentines se trouvent en Dussaut (1966); Carreño (1971); Weill (1957) et Maisonave et al (1998). La participation française dans les activités culturelles est analysée par Pelosi (1999), AA.VV. (1999) et Oteiza (2000).

 

[28] Les investissements français en Argentine eurent deux grands cycles:  a) entre 1881 et 1902, avec une phase d’apogée jusqu’en 1890; et b) entre 1902 et 1913. Les capitaux français occupèrent le second lieu tout au long de la période et représentèrent presque 20% des investissements étrangers à la veille de la Grande Guerre, en se caractérisant par une structure diversifiée qui incluait les chemins de fer, le secteur public et les finances. Sur les investissements français en Argentine, la référence obligée sont les nombreux travaux d’ Andrés Regalsky, en particulier sa récente synthèse (2002). L´historie de la Banque Française du Rio de la Plata est analysée par Regalsky (1990). Voir aussi M. I. Fernández (1999) et Marichal (1976).

 

[29] Les importations de produits français étaient composées surtout par des articles de luxe (tissus, vins et boissons en général), rubrique particulièrement fragile vis-à-vis de la concurrence internationale comme le montre la pertre des marchés du Chili, Uruguay et  Canadá. Sur ce point voir Capdepuy (1969) et Ferreyra (1977).

[30] Données du Recensement de la Ville de Buenos Aires de 1887.

[31] Deuxième Recensement National de Population, 1895.

 

[32] Sur ce point particulier voir aussi Philips (1923) et Descola (1973).

 

[33] Pour des analyses des formes de ségrégation spatiale des immigrants, fondées sur les modèles de réseaux sociaux, voir Moya (1998) sur le cas espagnol et Baily (1985) sur celui des Italiens. Pour une présentation générale et comparatiste du problème pour les principaux groupes migratoires (y compris le cas français) dans les villes de Buenos Aires et Montévidéo, et une critique de la représentativité des modèles relationnels voir Otero et Pellegrino (à paraitre).

 

[34] Une vision d’ensemble sur l’intégration matrimoniale des immigrants et sur  l’influence de la taille de la localité et le degré d’urbanisation se trouve en Otero (2001). Les études de cas incluant le groupe français sont les suivantes: Szchuman (1977), Freundlich (1986); Otero (1990), Miguez et al. (1991) et Marquiégui (1992).

 

[35]  Pour le cas des Français de Tandil, les “unions de fait” représentent l52,4 % de l’ensemble d’unions reconstituées à partir des sources. Ceci suggère l’existence des biais assez significatifs dans les études fondées exclusivement sur les mariages sanctionnés par l’Eglise ou par l’Etat, d’autant plus que les unions de fait se sont caractérisées par une plus forte endogamie (due en partie à l’influence de mariages réalisés en dehors de la région ).

 

[36] Anciens batiments de la haute classe porteña, utilisés postérieurement comme des chambres à louer aux immigrants.

 

     [37] Des références sur les institutions françaises se trouvent en Lhande (1910),  Uriart (1950) et Dussaut (1966). Parmi les textes plus récentes cfr. Sofer et Szchuman (1975), Colombato (1992) et Feilyng (2000) pour les cas de Córdoba, La Pampa et Tucumán, respectivement.

     [38] Selon le Troisième Recensement National de Population existaient seulement trois écoles françaises en 1914. Quoique ce chiffre est clairement sous-estimé, il semble que ces institutions n’ont pas atteint chez les Français l’importance qu’ils eurent dans le cas italien. Il y avait aussi des écoles françaises dans les ville de l’intérieur du pays comme le Collège Français de Córdoba, créé en 1880 (Celton, 1983).

     [39] Pour le Centenaire de la Révolution de 1789 eut lieu une importante commémoration avec la présence du président de la République Juárez Celman: "Les 21 sociétés françaises réunies en corps, ont parcouru les rues principales de la ville, bannières déployées, et après avoir salué le représentant de la République, se sont rendues dans le jardin de l’hôpital où un arbre de la liberté a été planté en présence de plus de 5000 personnes”. Grâce à une permission spéciale du gouvernement, les maisons de Français furent ornées avec le drapeau tricolore (AMAE, Correspondance Politique, 1889, Tome LXI). Selon la même source, vers la décennie 1880, les fêtes étaient “absolument françaises et ne reçoivent qu’un apport insignifiant de l’élément argentin ou étranger " (AMAE, CC, Buenos Aires, Tome XII, 1882-1883).

     [40] Voir, par exemple, AMAE, Viceconsulat de France à Rosario, 1883-1897, Tome I. Il y avait aussi une significative production dans le pays d’origine dirigée à déplorer l’absence de "sentiment patriotique " chez les émigrants. L’ouvrage de Valincourt (1898) constitue un exemple paradigmathique à cet égard.

     [41] Troisieme Recensement National (1914, Tome X, pp. 240-311).

     [42] Les sociétés mutuelles italiennes réunissaient vers 1910 28% des hommes et  9% des femmes de cette origine (Baily, 1982); les sociétés espagnoles, pour leur part, incluaient  25% des hommes durant la période 1890-1905 (Fernández, 1992).

[43] Les références sur ce particulier sont très abondantes. Voir par exemple Cros (1919: 134-35), Papillaud (1909), Serret (1915: 66). Malgré cette rapide adaptation linguistique, l’influence de la langue française dans l’argot argentin (et surtout dans celui de la ville de Buenos Aires) semble avoir été assez significative (Maisonave et al.1998).

 

[44] La première association mutuelle de Tandil fut la Sociedad Filantrópica la Caridad, fondée par des immigrants de plusieurs nationalités, comme le montre clairement le changement de son nom par celui de Sociedad Cosmopolita en 1879. Les Espagnols et les Italiens créèrent leurs propres associations dans la décennie  1870, tandis que les Français fondent en 1894 la Société Sadi Carnot après une convocation  de l’agent consulaire de France à Tandil, le notable local Jean Marie Dhers. Malheureusement nous n’avons pas d’études sur cette société, car les sources nécessaires pour le faire semblent avoir disparu.

 

[45] Le premier journal étranger de Buenos Aires -L’Indépendant du Sud,1818- fut français. Dirigé par Charles Robert de Connaut, éxilié après la chute de Napoléon, cette publication –comme la plupart de celles des périodes suivantes- eu une vie très courte. Dans la décennie suivante on trouve L'Echo Français, L'Abeille, Le Censeur et Le Spectateur. Vers 1850 il y avait déjà treize périodiques d’origine française. Une liste non exhaustive des principaux organes français inclut Le Progrès (1853); Le Commerce (1853), L’International (1855), L’Union (1855), L’Echo du Commerce (1855), L’Emigration (1856), L’Union Etrangère (1857), L’Epoque (1861), Le Républicain (1871, fondé par Alfred Ebelot, ancien sécrétaire de la  Revue des Deux Mondes en France), La France en Amérique (1871), Le Révolutionnaire, L’Union Française (fondé en 1880 par Emile Daireaux et Alfred Ebelot), La Vérité (1881), Petit Journal (1882), L’Indépendant (1886),   L’Immigrant (1888,  organe d’aide aux immigrants) , La Marsellaise (1889), La Lanterne,  Le Petit Journal (1890), La France, Le Décadent (1894), Le Courrier Français (1984). Il y a eu aussi de nombreuses revues comme Ahseverus Revue Universelle (1853), la Revue Illustrée du Río de la Plata (1892), El Avisador de Forlet et L’Immigrant. Selon le Consulat français à Buenos Aires "Le Courrier de la Plata" (...) exprimait une ligne plus optimiste et proche du gouvernement argentin, tandis que "L'Union Française", fondé par Emile Daireaux en 1880 représentait un secteur de la colonie française plus critique du gouvernement (AMAE, CC., Consulat de Buenos Aires, 1879-1881, Tome XI). Selon Papillaud, l’Argentine fut le pays d’Amérique avec le nombre le plus élevé de publications en français (74 entre 1818 et 1946). Sur le particulier voir Papillaud (1947) et Oteiza (2000).

[46] Voir, par exemple, Godofredo Daireaux (1905).

 

[47] L’exposé le plus ortodoxe de la théorie du Melting Pot est celui de Gino Germani (1962). Pour un état de la question fondé sur la perspective du Pluralisme Culturel voir Devoto (1992). Une analyse critique du Pluralisme se trouve chez Sabato (1989), qui considère que les études pluralistes ont réduit le problème de l’intégration migratoire à ce qu’elle appelle la “capsule ethnique”. Selon cette métaphore, les immigrants sont artificiellement isolés (c’est à dire par une présupposition théorique ou méthodologique)  de la  société réceptrice, en donnant de cette façon une image qui surestime le degré de Pluralisme. En suivant, en partie, les idées de Sábato, nous avons proposé (Otero, 2001) une distinction entre  deux types de Pluralisme: le Pluralisme méthodologique (type et usages de sources, concepts, indicateurs, etc.) et le Pluralisme interprétatif (critique du Melting Pot), et soutenu qu’il résulte possible d’utiliser les travaux promûs par les hypothèses du Pluralisme méthodologique  pour essayer de défendre le modèle Melting Pot, tout au moins pour des importantes régions du pays.

publié avec l'autorisation de l'auteur

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Lien croisé par le Vendredi 27/11/2009 à 18:52

Liens : Les enfants de Tite : "http://www.bigourdans.com/genemigration.html L'immigration française en Argentine, 1850-1930"



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