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Julio Cortázar, le Cronope engagé

Par larouge • Cortazar Julio • Jeudi 02/07/2009 • 0 commentaires  • Lu 555 fois • Version imprimable

Julio Cortázar, le Cronope engagépar José Andrés RojoLire, mars 2001
La correspondance de l'écrivain argentin, publiée aujourd'hui en Espagne, révèle ses engouements mais aussi ses errements.
«Je me suis demandé si, au fond, ce que je cherche, ce n'est pas de rester pour toujours à Paris», écrivait le 26 juillet 1951 Julio Cortázar à son ami Fredi Guthmann. Et, effectivement, Cortázar est resté à Paris, où il est mort en février 1984. Grâce aux efforts d'Aurora Bernárdez, qui les a retrouvées dans les endroits les plus divers, les lettres de l'écrivain sont publiées aujourd'hui en trois volumes. La première d'entre elles est datée de 1937 et écrite de Bolívar, un village de la province de Buenos Aires où Cortázar enseignait dans les classes secondaires. «La vie ici me fait penser à celle d'un homme sur qui l'on aurait fait passer un rouleau compresseur», y écrivait-il.
Jusqu'à son voyage à Paris, il écrit surtout de Buenos Aires, de Chivilcoy et de Mendoza, où il s'installa en 1944 pour enseigner la littérature française et d'Europe du Nord, et qu'il quitta un an plus tard pour montrer son opposition au régime péroniste. Entre 1937 et son départ définitif pour l'Europe, il publie un recueil de poèmes, traduit, écrit ses premiers romans, des contes, ainsi que son œuvre théâtrale centrée sur le Minotaure, s'immerge dans le jazz et la musique classique et commence à étudier l'allemand pour lire Rilke dans le texte. A cette époque, il est complètement absorbé par la poésie de John Keats. Dans ses lettres, il mentionne quelques événements de la Seconde Guerre mondiale, mais ne fait aucune allusion à la guerre civile espagnole.
«Je ne veux pas écrire, je ne veux pas étudier (bien que je continue à le faire), je veux simplement être vrai; même si cela m'amène à découvrir que je ne suis rien», confiait-il à Fredi Guthmann. Et c'est pour être vrai qu'il vient à Paris, réalisant ainsi un rêve. En 1953, il officialise son union avec Aurora Bernárdez. Il voyage en Italie, est traducteur à l'Unesco, va en Espagne et devient un fan de tauromachie. En 1959, il écrit à Jean Bernabé: «Ce que j'écris est surtout le fruit de mon imagination, et si je l'invente, c'est que je ne me rappelle rien qui en vaille la peine.» Et de faire allusion à des écrivains aux aventures personnelles époustouflantes - Miller, Hemingway, Céline. «Moi, en revanche, je me casse un bras, je visite le Parthénon, je navigue sur le Gange, mais je reste toujours comme à l'intérieur de moi-même», poursuit-il.
Quelques lignes plus loin, Cortázar raconte que ce qu'il est en train d'écrire sera «une sorte d'antiroman, une tentative pour briser les moules dans lesquels ce genre est emprisonné». Il fait référence à Marelle (Gallimard), qui fut publié en 1963 et qui a rendu l'écrivain célèbre, en le faisant figurer parmi les têtes de file du roman hispano-américain, aux côtés de Vargas Llosa, de Fuentes ou de García Márquez. Ce roman est le sujet des lettres les plus intéressantes des trois volumes, parce qu'elles permettent d'entrer dans sa conception de la littérature et montrent la méthode de travail minutieuse de l'auteur de Bestiario (Le bestiaire d'Aloys Zotl, Ricci). En décembre 1962, Fidel Castro invite Cortázar à Cuba.
Voilà le problème. Celui qui lisait Rilke et Keats, ou qui se lançait le défi de briser les moules emprisonnant le roman, va voir Fidel Castro et en revient converti. Le Cronope* qui rédigeait pour le plaisir les instructions les plus délirantes en est arrivé à écrire, dans une lettre de 1967, toute une argumentation sur la littérature et l'engagement qui aurait pu s'intituler «Instructions pour une monumentale prise de tête».
C'est en cela que réside l'intérêt de ces lettres: dans cette possibilité qu'elles ouvrent de pénétrer le mystère de ce revirement commun à tant d'intellectuels du XXe siècle, qui les conduisit à abandonner les défis créatifs pour adopter les postulats les plus conservateurs de la littérature engagée. Le cas de Cortázar est l'un des plus frappants en langue espagnole, sans doute à cause de son caractère passionné qui le faisait se jeter corps et âme dans n'importe quelle bataille, comme si c'était une question de vie et de mort.
*Cronope: être fantaisiste et imaginatif.
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