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Julio Cortázar et la mémoire de la Révolution cubaine

Par larouge • Cortazar Julio • Lundi 05/07/2010 • 0 commentaires  • Lu 1820 fois • Version imprimable

1963, début de l’engagement pour la mémoire

1Les questions que nous abordons dans le cadre de ce numéro, dédié en partie à la mémoire et ses représentations esthétiques, ne se posent pour Julio Cortázar qu’à partir d’un moment précis : au début des années soixante, lors de son voyage à Cuba (1963) en tant qu’invité de la Casa de las Américas. Ce sont surtout l’expérience directe de la Révolution cubaine et l’implication personnelle dans le travail de la Casa de las Américas qui lui inspirent, en cette année, une première réflexion approfondie sur la relation entre politique et littérature, entre histoire et mémoire, entre éthique et esthétique. Le premier document de cette réflexion est son essai « Algunos aspectos del cuento » (1962-63), qu’il présente à La Havane en 1963. À une époque où Cortázar est surtout connu pour ses contes fantastiques, peu avant de la publication de Rayuela, l’écrivain dépasse, dans cette conférence, les limites de ce qu’il avait écrit jusqu’alors pour insister notamment sur l’importance d’une poétique de la mémoire, et surtout sur la contribution des écrivains professionnels à celle-ci :

  • 1  Cortázar, Julio (2006), « Algunos aspectos del cuento » [1962-63].

El entusiasmo y la buena voluntad no bastan por sí solos, como tampoco basta el oficio de escritor por sí solo para escribir los cuentos que fijen literariamente (es decir en la admiración colectiva, en la memoria de un pueblo) la grandeza de esta Revolución en marcha. Aquí, más que en ninguna otra parte, se requiere hoy una fusión total de esas dos fuerzas, la del hombre plenamente comprometido con su realidad nacional y mundial, y la del escritor lúcidamente seguro de su oficio.1

  • 2  Tamboreana, Mónica María (1986), p. 58.

2L’idée d’une union nécessaire entre l’engagement politique et la virtuosité littéraire jalonnera à partir de cet essai tous les écrits critiques de Cortázar à ce sujet. La particularité de la conférence prononcée à La Havane par rapport à ces essais ultérieurs est qu’elle énonce un idéal d’écriture, un programme esthétique qui restent encore à réaliser – selon la coutume avant-gardiste de la projection dans le futur. L’auteur se met tout de suite à l’œuvre pour réaliser ce programme inspiré par l’expérience de sa visite à Cuba. Le résultat est le récit « Reunión » (1963) qui traite du thème du débarquement du « Granma » et du baptême de feu des insurgés du point de vue d’un narrateur en qui on reconnaît facilement Ernesto « Che » Guevara. Plongé dans une action et un enthousiasme révolutionnaires et en même temps soutenu par les repères esthétiques et « professionnels » d’un quatuor de Mozart et d’un roman de Jack London, cette nouvelle cherche à réaliser le programme d’une « fusion » ébauché dans « Algunos aspectos del cuento ». Le titre pourrait d’ailleurs faire allusion à cette attitude conciliante, la véritable réunion étant celle de la politique et de l’esthétique2.

  • 3  La qualification précise du mode d’intertextualité selon Genette se doit à Pérez-Abadín Barro, Sol (...)

3On ne peut pas dire que la formule proposée par Cortázar pour « fixer la Révolution dans la mémoire d’un peuple par les moyens de la littérature » ne présente pas de problèmes, et je voudrais surtout développer deux problématiques qui ont surgi dans la réception de « Reunión ». Le premier reproche qu’on pourrait faire à l’écrivain est d’imposer un hypertexte fictif à la place d’un hypotexte factuel, qui constituait un témoignage authentique, et de défigurer, voire de vouloir remplacer ce témoignage par sa réécriture en clé de fiction3. On sait que « Reunión » se base sur le journal de guerre de Che Guevara, et surtout sur la description du combat désastreux à « Alegría de Pío », reproduite dans le recueil testimonial La sierra y el llano (1961), cité lui-même en tête du récit cortázarien. Cette relation intertextuelle paraît d’autant plus troublante que Cortázar choisit de conter à la première personne, du point de vue qui correspond précisément aux notes de guerre de Guevara.

4Le deuxième reproche porte sur la poétique de la mémoire. Même en laissant de côté l’opposition entre le récit fictif et le récit factuel, les paramètres esthétiques de « Reunión » et de La sierra y el llano sont tout à fait différents. En s’éloignant de l’esthétique du témoignage, Cortázar risque de l’éclipser en faveur d’une poétique autre, concurrente, et de surimposer son projet de mémoire contre celui des vrais révolutionnaires. Guevara développe lui-même des idées assez nettes sur l’écriture de la mémoire dans son introduction, dont je voudrais citer tout un passage qui relève de notre sujet :

  • 4  Guevara, Ernesto (1969) [1963], p. 9.

Desde hace mucho tiempo estábamos pensando en cómo hacer una historia de nuestra Revolución que englobara todos sus múltiples aspectos y facetas ; muchas veces los jefes de la misma manifestaron – privada o públicamente – sus deseos de hacer esta historia, pero los trabajos son múltiples, van pasando los años y el recuerdo de la lucha insurreccional se va disolviendo en el pasado sin que se fijen claramente los hechos que ya pertenecen, incluso, a la historia de América. Por ello, iniciamos una serie de recuerdos personales de los ataques, combates, escaramuzas y batallas en que intervinimos. No es nuestro propósito hacer solamente esta historia fragmentaria a través de remembranzas y algunas anotaciones ; todo lo contrario, aspiramos a que se desarrolle el tema por cada uno de los que lo han vivido.4

5Lorsque Cortázar choisit, dans « Reunión », la forme de la nouvelle et une certaine unité de l’action, il paraît au moins s’éloigner de cette idée d’une mémoire révolutionnaire, qui, contrairement à l’historiographie officielle, n’est pas close, mais se développe de manière fragmentaire et plurielle.

  • 5  Cortázar, Julio (2006), « Literatura en la revolución y revolución en la literatura : algunos male (...)

6Pour résumer les deux problèmes de représentation impliqués dans « Reunión », l’un concerne le statut de la première personne, qui en fiction paraît perdre le poids du témoignage, et l’autre la structure esthétique de la nouvelle, qui paraît bien peu révolutionnaire par rapport à son modèle, mais aussi par rapport à la prétention, exprimée par Cortázar, de « faire une révolution dans la littérature »5.

Du témoignage à l’immersion fictionnelle

7Pour revenir sur le premier reproche, Cortázar était tout à fait conscient de la provocation et des problèmes de représentation impliqués par le fait qu’il revêt le masque du « Che ». Le thème du masque revient d’ailleurs dans le récit, dans une vision qui a probablement une dimension non seulement politique mais aussi métapoétique :

  • 6  Cortázar, Julio (2000), « Reunión », p. 119.

Luis junto a un árbol, rodeado por todos nosotros, se llevaba lentamente la mano a la cara y se la quitaba como si fuese una máscara. Con la cara en la mano se acercaba a su hermano Pablo, a mí, al Teniente, a Roque, pidiéndonos con un gesto que la aceptáramos, que nos la pusiéramos. Pero todos se iban negando uno a uno, y yo también me negué, sonriendo hasta las lágrimas, y entonces Luis volvió a ponerse la cara y le vi un cansancio infinito mientras se encogía de hombros y sacaba un cigarro del bolsillo de la guayabera.6

8Il est évident que ce passage essaye de justifier, voire même mystifier la fonction révolutionnaire du « líder » qui devrait constituer, par la suite, l’identité politique de Fidel Castro, représenté comme « Luis ». En même temps, le thème du visage amovible « comme un masque » pose le problème de la fiction sous l’angle d’un questionnement de l’identité individuelle. L’invitation à assumer le rôle d’un autre, faite au narrateur, peut s’étendre à l’invitation à suivre l’auteur qui, pour la durée du récit, prend le rôle du « Che ». Il y a une lettre dans laquelle Cortázar affirme savoir que le révolutionnaire n’aimait pas « Reunión », et ne pas en être surpris. Toutefois, ce jugement compte peu pour Cortázar, qui souligne que le récit vise justement la transcendance de l’individualité. L’auteur souligne explicitement qu’il ne s’agit pas d’imiter un témoignage individuel mais de surmonter les contingences liées au moment particulier pour en distiller la partie qui relève d’un moment significatif, symbolique :

  • 7  Cortázar, Julio (2002), Cartas 1964-1968, p. 899.

Una sola cosa cuenta, y es que en ese relato no hay nada ‘personal’. ¿ Que puedo saber yo del Che, y de lo que sentía o pensaba mientras se abría paso hacia la Sierra Maestra ? La verdad es que en ese cuento él es un poco (mutatis mutandi, naturalmente) lo que fue Charlie Parker en ‘El perseguidor’. Catalizadores, símbolos de grandes fuerzas, de maravillosos momentos del hombre. El poeta, el cuentista, los elige sin pedirles permiso ; ellos son ya de todos, porque por un momento han superado la mera condición del individuo. (Carta a Roberto Fernández Retamar del 3 de julio de 1965)7

  • 8  Pérez-Abadín Barro, Soledad (2010), p. 67.

9Cette affirmation, faite dans le contexte informel d’une lettre, s’éloigne de manière surprenante du but avoué de réconcilier la révolution et la littérature, exprimé dans « Algunos aspectos del cuento ». Elle nie pratiquement l’importance de l’authenticité historique et tend à remplacer l’autorité du témoin factuel par celle de l’auteur des fictions. De cette manière, l’intertextualité marquée avec le journal du « Che » n’empêche pas que le jeu fictionnel s’éloigne de l’énonciation autobiographique8. Le récit d’un « je » narrateur dépasse donc largement la logique de la narration « à clé », où l’équivalence du héros avec le personnage historique paraît établie d’avance. Dans le cadre de ce jeu fictionnel, la première personne n’a pas pour fonction de singer un témoignage individuel, en l’occurrence celui du « Che », mais d’ouvrir une sorte de canal de communication avec l’expérience qui est à la base du récit, qui constitue sonnoyau thématique.

10C’est justement l’importance de ce thème dans la création littéraire que suggère la conférence « Algunos aspectos del cuento » :

  • 9  Cortázar, Julio (2006), « Algunos aspectos del cuento » [1962-63] p. 374.

[E]l fotógrafo o el cuentista se ven precisados a escoger y limitar una imagen o un acaecimiento que sean significativos, que no solamente valgan por sí mismos sino que sean capaces de actuar en el espectador o en el lector como una especie de apertura, de fermento que proyecta la inteligencia y la sensibilidad hacia algo que va mucho más allá de la anécdota visual o literaria contenidas en la foto o en el cuento.9

  • 10  Cortázar, Julio (2000), « Reunión », p. 116.
  • 11  Comme le pense González, Aníbal (1987), p. 106.
  • 12  Pérez-Abadín Barro, Soledad (2010), p. 38.

11Dans le cas de « Reunión », le grain de sable qui provoque la cristallisation du récit et l’ouverture vers un autre ordre du monde est le passage du journal de Guevara que Cortázar cite dans son paratexte : « ‘ Recordé un viejo cuento de Jack London, donde el protagonista, apoyado en un tronco de árbol, se dispone a acabar con dignidad su vida ’ (Ernesto ‘ Che ’ Guevara, en La sierra y el llano, La Habana, 1961) »10. Cette image est autant intertextuelle – en tant que référence à Jack London – qu’intermédiale – par son caractère photographique qui rappelle la comparaison de « Algunos aspectos del cuento ». La citation ne constitue pas en premier lieu une clé à l’identité du narrateur ou à la dimension allégorique de la nouvelle, l’allégorie étant un moyen de choix pour construire un pont entre l’histoire et la fiction11. C’est plutôt que les phrases du « Che », l’image frappante qu’elles ébauchent en peu de mots, forment le point de départ, le thème central de la nouvelle qui sera développé à la manière d’une composition musicale12. La poétique de la première personne ne se base ni sur l’identification naïve, ni sur une allégorie rhétorique, mais sur une immersion spécifiquement littéraire, en demandant au lecteur une approche « responsable » du texte. L’essai de Cortázar « Literatura en la revolución y revolución en la literatura » (1969) revient sur la présence du roman de Jack London dans les notes d’Ernesto Guevara, soulignant ainsi que cette relation entre l’écrivain et le « Che » forme le noyau de sa propre approche à la révolution cubaine en même temps qu’il défend l’indépendance de la littérature par rapport à son contexte immédiat :

  • 13  Cortázar, Julio (2006), « Literatura en la revolución y revolución en la literatura : algunos male (...)

En un autor o lector responsables, esta búsqueda de una realidad multiforme no puede ser tachada de escapismo ; sería tan necio como reprocharle al Che que en un momento crucial, frente al enemigo, se acordara de un pasaje de Jack London, es decir de una pura invención que ni siquiera correspondía al contexto latinoamericano, en vez de evocar, por ejemplo, una frase de José Martí.13

  • 14  Mocega-González, Esther (1988), p. 73-84.
  • 15  González, Aníbal (1987), p. 105-107.
  • 16  Pérez-Abadín Barro, Soledad (2010), p. 115.
  • 17  Cit. de Montanaro, P. (2001), p. 41.
  • 18  Pérez-Abadín Barro, Soledad (2010), p. 83.
  • 19  Exprimée, par exemple, par Herráez Miguel (2001), p. 169.
  • 20  Tamboreana, Mónica María (1986), p. 59.

12Il ne s’agit donc pas de revendiquer une autonomie apolitique de la littérature, mais de l’ouvrir à l’expérience de la révolution qui peut réunir l’expérience de liberté et celle d’une immersion presque fantastique. C’est la liberté du révolutionnaire qui justifie le départ du récit vers une réalité autre. La première personne, liée à l’expérience d’un ordre insolite, celle d’un « homme nouveau », constitue donc une dimension dans laquelle la fiction peut, selon Cortázar, rejoindre le témoignage et contribuer au travail de la mémoire. Les commentaires de « Reunión » ont situé le thème de « l’homme nouveau », à tour de rôle, dans l’initiation anthropologique d’un rite de passage14, ou dans le schéma allégorique et typologique de la conversion et résurrection, modèles chrétiens de la révolution15 ou simplement dans celui d’un voyage spirituel16 – mais ces histoires seraient autant de manières de « donner un sens » à l’aide d’un grand récit en oblitérant le moment unique, sorti hors des limites du temps et de l’espace que « Reunión » cherche à mettre en évidence. Malgré les apparences, le récit d’action, tout comme le roman d’aventures de Jack London, peut se figer pour un moment et défier les lois du genre narratif. Entre les « grands récits » de l’histoire et les « petits récits » du témoignage, Cortázar revient à une mémoire d’ordre lyrique. Et c’est de ce lyrisme que la première personne, le « je » est gage. D’ailleurs, la relation d’Ernesto Guevara et Jack London revient plus tard, en 1976, dans un poème de l’auteur, qui dit : « Así era el Che con sus poemas de bolsillo, / Su Jack London llenándole el vivac / De buscadores de oro y esquimales […] » (« Andele »17). Si le « je » du narrateur sait éviter, par ses affinités avec le genre lyrique, l’écueil du « grand récit », il est moins sûr d’échapper au reproche d’effacer une mémoire authentique des faits par une fiction qui insiste sur l’expérience subjective. Le commentaire récent de Pérez-Abadín Barro arrive à la conclusion intéressante que « Reunión » poursuit la veine des récits fantastiques, en ce qu’il vise à dédoubler la référence historique de la Révolution cubaine par l’intuition d’une réalité parallèle, d’une dimension latente de l’existence : il ne constituerait donc pas, malgré les différences évidentes, une si grande exception dans le recueil fantastique Todos los fuegos el fuego (1966)18 – thèse qui contredit nettement l’opinion commune19. Mais cette contradiction se résout si l’on considère que l’expérience subjective avec tout ce qu’elle comporte d’imaginaire ne vise pas l’histoire de la Révolution, mais sa mémoire : dans cette perspective, l’accumulation d’éléments subjectifs et la tendance « étrange » vers une face cachée des choses sert à souligner non seulement la distance par rapport à une chronique objective des faits ou à un discours historiographique20 mais aussi à éviter la confusion avec les témoignages authentiques.

  • 21  Cortázar Julio (2006), « Algunos aspectos del cuento » [1962-63], p. 371.
  • 22  Cortázar Julio (2002), p. 1224.

13Pour conclure, l’emploi de la première personne et l’insistance sur l’imaginaire contrebalancent les « grands récits » de la Révolution tout en évitant la confusion de ce narrateur de fiction avec le « je » du témoignage authentique. La promesse d’une transcendance, de la « sospecha de otro orden más secreto y menos comunicable 21» dont le jeune Cortázar avait fait sa « griffe », donne sa couleur lyrique à cette forme de mémoire, et établit une équivalence entre immersion et engagement. « Réunion » représente donc un texte-charnière qui reprend la poétique d’immersion, comme elle se prononce, de forme plutôt apolitique, dans ses grands essais poétologiques (Imagen de John Keats, Teoría del túnel), et en fait un moyen de mémoire et d’engagement, ouvrant un chemin qui aboutira à des textes comme le célèbre poème « Yo tuve un hermano » (1967) ou l’esquisse « Botella al mar » (1981), dans lesquels l’Argentin exploite l’ambiguïté de la première personne avec une intention politique. En conclusion, la première personne n’exprime pas la mise en scène d’un témoignage préexistant (ce n’est donc pas une réécriture de La sierra y el llano ou de Pasajes de la guerra revolucionaria), mais un témoignage à part entière, dans lequel Julio Cortázar, l’auteur, cherche à accéder à l’expérience révolutionnaire par les moyens de la fiction, et plus précisément de l’immersion. « Bien sûr, je ne suis pas Che Guevara », écrit-il en 1968 à Jean Thiercelin, « je ne te parle pas de monter vers les guérillas, mais d’une opération analogue tout en restant (et c’est cela le problème) dans la poésie, dans la littérature, dans les seules choses que je sais faire »22. En ce sens, « Reunión » dit en quoi la littérature peut contribuer – au-delà de tous les témoignages et de tous les documents donnés – à la mémoire de la Révolution. C’est, pour ainsi dire, le Guernica de Cortázar – un pari courageux sur l’importance de l’art dans la mémoire, qui s’inscrit dans un tout autre ordre que celui du témoignage.

La figure visible de l’histoire

14Même en acceptant cette fonction du récit, qui dépasse la disjonction du fictif et du factuel, il reste le problème de la divergence entre sa poétique et la poétique du témoignage révolutionnaire, comme elle se dessine à partir du recueil La sierra y el llano et du prologue de Pasajes de la guerra revolucionaria. Cortázar se sert de ces textes sans respecter l’esthétique qui leur est propre, comme s’il construisait une « Spolia » à partir des fragments et ruines de mémoire trouvés sur son chemin. Cette critique trouve une expression accomplie dans l’article de Aníbal González :

  • 23  González, Aníbal (1987), p. 109.

El Che Guevara se rehusó explícitamente en su texto a escribir una historia completa de la Revolución cubana, soslayando hábilmente de este modo los problemas de representación que habrían surgido si hubiese intentado escribir sobre la Revolución como una totalidad armónica y terminada. No obstante, quizá por ser un escritor profesional, un artista, Cortázar no pudo resistir a la tentación de tratar de ‘complementar’ o ‘consumar’ la narración fragmentaria del Che desde la perspectiva de una concepción revolucionaria de la historia.23

15Même s’il ne s’agit pas d’une tentative de réécriture mais d’une façon autonome de contribuer à la mémoire de la Révolution cubaine, le récit de Cortázar entre en concurrence avec celui du « Che ». C’est surtout pour les libertés que l’écrivain prend avec le témoignage de son compatriote, et pour la tendance « allégorique » du discours cortázarien que González considère « Reunión » comme une impasse dans la création de Cortázar, qui devait, par la suite, surmonter l’allégorèse dans un texte délibérément fragmentaire comme Libro de Manuel (1973).

  • 24  Benjamin, Walter (1990), p. 156. Je dois la référence au concept benjaminien de l’allégorie à la s (...)
  • 25  Cortázar, Julio (2006), « Viaje alrededor de una mesa » [1970], p. 426.

16Il me paraît utile toutefois d’approfondir le concept d’allégorie que González assimile trop vite à un mode d’écriture rhétorique, qui correspond à l’allégorie médiévale et non pas à la forme de l’allégorie baroque dont Benjamin dit : « Allegorien sind im Bereich der Gedanken was Ruinen im Bereich der Dinge »24. L’approche allégorique de la Révolution ne serait, en conséquence, pas une forme de clôture, mais au contraire une manière de mettre en évidence la nature inachevée, fragmentaire, même fracturée de la réalité dont il s’agit d’écrire la mémoire. En effet, la poétique de l’ouverture tient une place centrale dans l’essai critique dont j’ai déjà parlé, « Algunos aspectos del cuento », et qui manque dans les références de l’article de González, publié lui-même avant l’édition des œuvres critiques de Cortázar, en 1994. Plus tard dans « Viaje alrededor de una mesa » (1970), Cortázar défend – de concert avec Mario Vargas Llosa – la vision d’une réalité éclatée, complexe, voire contradictoire contre ceux qui veulent lui imposer une écriture plus accessible, soumise au programme d’un réalisme socialiste25. Si la tendance allégorique de « Reunión » correspond donc à une mémoire qui prend en compte l’éclatement du monde moderne, elle ne fait qu’annoncer le récit fragmentaire de Libro de Manuel.

  • 26 casa de las américas (1961), p. 82.
  • 27  Ibid., p. 88.
  • 28  Ibid., p. 89. Les extraits du journal de Guevara reproduits dans La sierra y el llano donnent une (...)
  • 29  Todorov Tzvetan (1981), p. 95-106.

17Néanmoins, González a raison de signaler le contraste entre la forme de mémoire que choisit Cortázar et la poétique inhérente aux publications cubaines sur la Révolution. Pour commencer avec l’esthétique du témoignage, La sierra y el llano, publié en 1961 par la Casa de las Américas, ne présente pas du tout une version cohérente d’une dialectique sans solution de continuité. Au contraire, l’histoire apparaît concentrée autour de quelques noyaux événementiels – l’attaque échouée contre le palais présidentiel, le débarquement du « Granma », l’insurrection de Santiago de Cuba –, qui eux-mêmes se décomposent en plusieurs voix et points de vue. À cette fragmentation au niveau de l’histoire s’ajoute la diversité des discours. Notamment le chapitre dédié au débarquement du « Granma » et aux premiers combats des révolutionnaires qui essayent de rejoindre le point de rencontre dans la Sierra Maestra se divise entre la voix de Faustino Pérez et celle d’Ernesto Guevara. Le récit de Pérez n’est pas seulement très proche de la narration orale, avec de nombreuses répétitions, des phrases simples, des exclamations, des citations non marquées, mais s’inspire aussi dans sa veine politique de l’idée d’une sagesse autochtone, qui serait le propre des paysans cubains, que le manque de formation littéraire n’empêche pas de connaître la vérité révolutionnaire. Le moment le plus émouvant est la rencontre avec un paysan analphabète qui apporte des plats cuisinés aux insurgés et affirme se faire lire les articles de Fidel par ses fils : « Nunca vi un analfabeto tan culto »26. Le style est plus soutenu, et l’image de l’homme moins optimiste chez Ernesto Guevara ; malgré tout son enthousiasme pour ceux qu’il veut libérer, il réalise que leur guide les a trahi pour de l’argent, et en conclut explicitement qu’il fallait garder une certaine méfiance par rapport aux civils27. Les militaires eux-mêmes sont loin d’être tous des héros ; il rappelle, avec compassion, le visage d’un camarade qui préfère prendre la fuite sans munition, en déchargeant une caisse des balles juste devant les pieds du Che28. Les deux voix de Faustino Pérez et d’Ernesto Guevara ne proposent donc pas seulement des versions complémentaires du débarquement, mais elles constituent aussi une relation polyphonique dans le sens de Mikhaïl Bakhtine29, faisant du chapitre de La sierra y el llano un « dialogue », dans lequel se confrontent deux styles et deux visions du monde. La publication collective sur la mémoire de la révolution transmet de cette manière aussi le bouillonnement qui agite le groupe des révolutionnaires, moins homogène qu’on ne le penserait. Ce modèle esthétique n’est pas sans importance dans le développement du genre de la littérature testimoniale : Il imprègne directement La noche de Tlatelolco (1971), publié dix ans après La sierra y el llano, et est repris et transformé par Cortázar lui-même dans Libro de Manuel (1973).

  • 30  Cortázar, Julio (2006), « Viaje alrededor de una mesa » [1970], p. p. 121. Cf. Pérez-Abadín Barro (...)
  • 31  Un des écrits programmatiques de la psychologie de la forme, « Über Gestaltqualitäten » du philoso (...)
  • 32  Pour une discussion approfondie de l’importance de la « figura » dans le contexte de la mémoire, v (...)
  • 33  Cortázar, Julio « Reunión », op. cit., p. 130.
  • 34 Ibid., p. 121.

18« Reunión » parait, par son point de vue unique et une certaine unité stylistique, mais surtout par la référence marquée à une pièce de musique classique, le quatuor « La chasse » de Mozart (KV 458), contraire à cette esthétique. Il faut souligner que le quatuor n’est pas présenté comme un dialogue de différents instruments, comme une forme polyphone, mais comme une architecture périodique, dans laquelle réussit la « transposición de una ceremonia salvaje a un claro goce pensativo »30. Il est vrai que l’allégorie construite autour de la composition musicale vise un triomphe de la forme. Mais cette forme que le narrateur retrouve dans le branchage et les feuilles d’un arbre ainsi que dans la composition de Mozart n’est aucunement une forme essentielle, une harmonie absolue, qui pourrait constituer une allégorie – tout au contraire, elle correspond à ce que la théorie de la « Gestalt » décrit comme forme31, et qui inspire aussi ce que Cortázar appellera la « figura »32 : une coagulation provisoire dépassant les limites du sujet et de l’objet comme « los dibujos de las hojas contra el cielo », le dessin d’un feuillage qui change entre le creux et le plein33. Une des phrases-clé du récit est donc « el dibujo se ordena de pronto en la presencia visible de la melodía »34. La mélodie comme figure visible, synthétique de l’histoire condense l’axe syntagmatique du récit, tout comme l’image de Jack London exprime son paradigme.

  • 35  Cortázar, Julio (2000) « Continuidad de los parques », p. 7.
  • 36  Cortázar, Julio (2000), « El otro cielo », p. 26.

19En fait, Cortázar résiste rarement à la tentation de verser la structure syntagmatique de ses récits dans la figure abstraite d’une harmonie. C’est par exemple le cas dans « Continuidad de los parques », où le héros se laisse aller « hacia las imágenes que se concertaban y adquirían color y movimiento »35, et dans « El otro cielo », où le narrateur soupçonne, à un certain moment, que « el deseo no bastaba como antes para que las cosas girasen acompasadamente y me propusieran algunas de las calles que llevaban a La Galerie Vivienne »36. La nouvelle crée donc un ordre momentané et provisoire, qui est loin d’une histoire monologique, d’une historiographie définitive ou d’un grand récit. Entre cette poétique et celle du témoignage, il n’y a pas concurrence, mais complémentarité. Encore une fois, l’explication de cette esthétique de la mémoire, qui cherche à fonder l’allégorie politique sur un jeu de la « figura », des coagulations provisoires et non-discursives, se trouve dans la conférence de 1963 :

  • 37  Cortázar, Julio (2006), « Algunos aspectos del cuento » [1962-63], p. 377.

Lo excepcional [de un tema] reside en una cualidad parecida a la del imán ; un buen tema atrae todo un sistema de relaciones conexas, coagula en el autor, y más tarde en el lector, una inmensa cantidad de nociones, entrevisiones, sentimientos, y hasta ideas que flotaban virtualmente en su memoria o su sensibilidad ; un buen tema es como un sol, un astro, en torno al cual gira un sistema planetario del que muchas veces no se tenía consciencia hasta que el cuentista, astrónomo de palabras, nos revela su existencia. O bien, para ser más modestos y más actuales a la vez, un buen tema tiene algo de sistema atómico, de núcleo en torno al cual giran los electrones.37

  • 38  Imo, Wiltrud (1984).
  • 39  Cortázar, Julio (2002), p. 1134.
  • 40  Montanaro, Pablo (2001), p. 25.

20La mémoire que propose Cortázar dans « Reunión » est d’ordre esthétique, non en ce qu’elle propose d’embellir les faits ou transformer le témoignage en art, mais parce qu’elle cherche le sens de la Révolution dans une situation non-propositionnelle, non-discursive. Le quatuor de Mozart et le feuillage de l’arbre qui se dessine contre le ciel proposent au niveau syntagmatique de l’histoire le même détachement des discours que la citation de Jack London qui forme le noyau paradigmatique du récit. Ces références ont ceci en commun qu’elles versent la mémoire dans une structure palpable, dont l’expérience se fait au niveau des sens, par l’immersion fictionnelle (dont le roman d’aventure de Jack London est l’abréviation) et par l’intuition cognitive des figures (dont la mélodie de Mozart est une signature). C’est pour ce fondement poétique que Cortázar, le « poète caméléon »38, écrit sur Cuba à Cuba (ou « por Cuba y desde Cuba », comme dit la lettre à Fernández Retamar39) et sous l’impression immédiate de son voyage, et que son engagement politique ne peut se développer hors d’une présence personnelle40. Il redéfinit la mémoire selon des catégories littéraires, en traduisant le syntagme de l’« histoire » par les « figures sensibles », et le paradigme de l’« engagement » par l’« immersion ».

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Bibliographie

Benjamin, Walter, Ursprung des deutschen Trauerspiels, Franfurt am Main : Suhrkamp, 1990.

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Cortázar, Julio, Cartas 1964-1968, Buenos Aires : Alfaguara, 2002.

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Notes

1  Cortázar, Julio (2006), « Algunos aspectos del cuento » [1962-63].

2  Tamboreana, Mónica María (1986), p. 58.

3  La qualification précise du mode d’intertextualité selon Genette se doit à Pérez-Abadín Barro, Soledad (2010), p. 44 ; l’auteur souligne la « ficcionalización manipuladora de acontecimientos, coincidentes, aunque desfigurados, con la realidad ».

4  Guevara, Ernesto (1969) [1963], p. 9.

5  Cortázar, Julio (2006), « Literatura en la revolución y revolución en la literatura : algunos malentendidos a liquidar » [1969].

6  Cortázar, Julio (2000), « Reunión », p. 119.

7  Cortázar, Julio (2002), Cartas 1964-1968, p. 899.

8  Pérez-Abadín Barro, Soledad (2010), p. 67.

9  Cortázar, Julio (2006), « Algunos aspectos del cuento » [1962-63] p. 374.

10  Cortázar, Julio (2000), « Reunión », p. 116.

11  Comme le pense González, Aníbal (1987), p. 106.

12  Pérez-Abadín Barro, Soledad (2010), p. 38.

13  Cortázar, Julio (2006), « Literatura en la revolución y revolución en la literatura : algunos malentendidos a liquidar », p. 416 [1969].

14  Mocega-González, Esther (1988), p. 73-84.

15  González, Aníbal (1987), p. 105-107.

16  Pérez-Abadín Barro, Soledad (2010), p. 115.

17  Cit. de Montanaro, P. (2001), p. 41.

18  Pérez-Abadín Barro, Soledad (2010), p. 83.

19  Exprimée, par exemple, par Herráez Miguel (2001), p. 169.

20  Tamboreana, Mónica María (1986), p. 59.

21  Cortázar Julio (2006), « Algunos aspectos del cuento » [1962-63], p. 371.

22  Cortázar Julio (2002), p. 1224.

23  González, Aníbal (1987), p. 109.

24  Benjamin, Walter (1990), p. 156. Je dois la référence au concept benjaminien de l’allégorie à la suggestion d’un participant au colloque tenu à Rennes 2 en février 2010, Adolfo Vera Peñaloza (Université Paris VIII).

25  Cortázar, Julio (2006), « Viaje alrededor de una mesa » [1970], p. 426.

26 casa de las américas (1961), p. 82.

27  Ibid., p. 88.

28  Ibid., p. 89. Les extraits du journal de Guevara reproduits dans La sierra y el llano donnent une autre impression que la totalité de Pasajes de la guerra revolucionaria, où il s’agit effectivement, comme le dit Pérez-Abadín Barro (2010, p. 43), de réaliser un idéal d’impartialité et d’étayer la chronique avec des preuves et détails vraisemblables.

29  Todorov Tzvetan (1981), p. 95-106.

30  Cortázar, Julio (2006), « Viaje alrededor de una mesa » [1970], p. p. 121. Cf. Pérez-Abadín Barro Soledad (2010), p. 89-90.

31  Un des écrits programmatiques de la psychologie de la forme, « Über Gestaltqualitäten » du philosophe autrichien Christian v. Ehrenfels (1890), part justement de l’expérience qu’on entend une mélodie et non pas une suite de notes isolées.

32  Pour une discussion approfondie de l’importance de la « figura » dans le contexte de la mémoire, voir l’article de Parkinson Zamora, Lois « Deciphering the Wounds. The Politics of Torture and Julio Cortázar’s Literature of Embodiment », VanZanten Gallagher Susan (dir.) (2007), p. 102-103.

33  Cortázar, Julio « Reunión », op. cit., p. 130.

34 Ibid., p. 121.

35  Cortázar, Julio (2000) « Continuidad de los parques », p. 7.

36  Cortázar, Julio (2000), « El otro cielo », p. 26.

37  Cortázar, Julio (2006), « Algunos aspectos del cuento » [1962-63], p. 377.

38  Imo, Wiltrud (1984).

39  Cortázar, Julio (2002), p. 1134.

40  Montanaro, Pablo (2001), p. 25.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Matei Chihaia, « Julio Cortázar et la mémoire de la Révolution cubaine », Amerika [En ligne], 2 | 2010, mis en ligne le 18 juin 2010, Consulté le 06 juillet 2010. URL : http://amerika.revues.org/1119

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Auteur

Matei Chihaia

Professeur de littérature espagnole et hispano-américaine
Bergische Universität Wuppertal, Allemagne


avec l'aimable autorisation de Nestor Ponce

source: http://amerika.revues.org/1119

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