Journalisme et littérature : une affaire de mots
« Il y a quelques jours s’est tenu en Espagne un congrès sur la littérature et le journalisme. Il y a eu beaucoup de conférences et je ne doute pas que des choses très intéressantes s’y soient dites.
Mon apport à ce congrès, si j’avais été invité, aurait été le suivant : si l’on offrait à tous les journalistes le choix de vivre du journalisme ou de la littérature, le monde perdrait du jour au lendemain un grand nombre de journalistes, parce que la plupart opteraient pour la littérature.
On dit que tous les journalistes ont un roman dans le tiroir de leur bureau. Je crois que derrière cette légende se cache une grande vérité. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de journalistes qui aiment vraiment leur travail, ou qui n’ont jamais lu un seul roman et qui considèrent la littérature comme un simple jeu. Tous les journalistes aiment les mots, la-dessus je n’ai aucun doute. Mais je crois qu’il y a plus de journalistes qui préfèrent jouer avec les mots que travailler avec eux.
En ce qui me concerne, jamais je ne me serais approché du journaliste si ce n’avait pas été par la littérature. Je voulais être écrivain mais je savais qu’avec la littérature je mourrais de faim, donc j’ai fait ce que beaucoup font : j’ai cherché un travail qui ressemblerait le plus possible à la littérature. J’aurais pu choisir d’être traducteur, mais la traduction est une activité statique, alors que dans le journalisme il y a du mouvement. Qui plus est, entre un journaliste et un traducteur il n’y a parfois pas tant de différence que ça, mais c’est une autre histoire.
Je me souviens qu’avant de devenir journaliste je travaillais comme secrétaire dans une entreprise d’ingénierie. Ensuite j’ai décroché un stage dans un quotidien, et du jour au lendemain je suis passé des envois de fax et autres archivages de dossiers à un travail de rédaction. On m’a confié la rubrique des « brèves » internationales, qui étaient des résumés de trois ou quatre lignes maximum, et pour moi ça a été comme de commencer une nouvelle vie. Ça me paraissait incroyable qu’on me paye pour rédiger des articles, si minimes soient-ils. Au bout de quelques semaines on m’a permis d’écrire des chroniques à partir de dépêches d’agence et là j’ai eu plus de liberté pour travailler sur le texte. J’essayais d’écrire le plus grand nombre de chroniques possibles.
L’autre rédacteur de la section, qui travaillait au journal depuis plus de dix ans, faisait le contraire : sur les huit heures qu’il passait au journal il écrivait deux ou trois notes, le reste du temps il était au bar du coin. Je n’oublierai jamais la première note que j’ai signée : une chronique sur les dernières heures de Salvador Allende à La Moneda. Quand j’ai rendu l’article – d’à peu près cinq cents mots – je me sentais extrêmement fier. Dix minutes plus tard, le rédacteur en chef me l’a rendu en me demandant de le ramener à trois cents mots, et d’utiliser des phrases plus courtes, sans toutes ces propositions, que ce n’était pas un roman. Cet après-midi-là, après avoir terminé mon article, j’ai rejoint l’autre rédacteur et nous sommes allés ensemble prendre un café au bar du coin. C’est là que je me me suis rendu compte que le type se réfugiait au bar pour écrire un roman. »
Octobre 2007
http://romanlatino-martinmurphy.blogspot.com
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