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Hommage à Julio Cortazar

Par larouge • Cortazar Julio • Dimanche 11/07/2010 • 0 commentaires  • Lu 2139 fois • Version imprimable

jeudi 11 février 2010

Hommage à Julio Cortazar




« Ici se sont fermés des yeux à travers lesquels l’univers se contemplait avec amour et dans toute sa richesse »
Epitaphe de Johann Jacob Wagner, citée par Julio Cortazar in Tour du jour en quatre vingt mondes- Gallimard 1980.

Il y a vingt six ans, presque jour pour jour, disparaissait à Paris l’écrivain argentin Julio Cortazar, l’un des plus grands génies littéraires de tous les temps. Peu d’écrivains ont réussi de leur vivant à fédérer autour de leurs noms une communauté de lecteurs appartenant à des aires culturelles et linguistiques si différentes (hispanique bien sûr mais aussi française, anglo-saxonne, slave, arabe…) et à différentes tranches d’âge. Le vocable Cronopio inventé par l’auteur était volontiers associé à son nom auquel on ajoutait par déférence affectueuse grand (gran cronopio). Des amitiés solides, voire des amours, sont nées par la simple évocation du nom de l’auteur et de ses écrits, en particulier Marelle (Rayuela), qui fut le roman emblématique de toute une génération qui se reconnaissait volontiers dans des personnages comme Horacio Oliveira et la Sibylle (La maja), roman inspiré en partie par le propre vécu de l’auteur dans le Paris du début des années soixante. Plus tard, l’engagement de Cortazar pour le mouvement de libération en Amérique latine après sa découverte de la Révolution castriste lors de son fameux voyage à Cuba en 1963 et son soutien de plus en plus affirmé aux combats des révolutionnaires sud américains (au Honduras, au Salvador et vers la fin de sa vie à la révolution sandiniste) en ont fait une sorte de Guevara de la littérature. Lors de son retour en Argentine après le rétablissement de la démocratie- (son exil choisi en France au début des années cinquante était devenu effectif durant la dictature sanguinaire de Videla)- ses compatriotes l’applaudirent interminablement un soir au théâtre ouvert de Buenos-Aires. Sa générosité, sa lucidité, son humour militant, sa culture encyclopédique forçaient l’estime et suscitaient la sympathie de tous ceux pour qui les mots courage, esprit, verbe avaient et ont un sens. D’aucuns penseront que nous avons affaire à une sorte d’homme de lettres dont la grandeur même finit par peser, comme ces personnages illustres qu’on n’ose aborder, dont l’œuvre est soigneusement rangée sur des étagères inaccessibles. Cortazar est aux antipodes d’une image sacralisée et solennelle, ses écrits sont intimement liés au vécu de gens « ordinaires », au quotidien, à l’espace urbain, qu’il s’agisse des « trottoirs de Buenos-aires » ou d’une rame de métro parisien, d’une galerie couverte (Guëmes, Vivienne) ou de l’autoroute du sud. Mais attention, c’est dans ce quotidien que gît le mystère, c’est à partir des interstices du réel que le fantastique fait irruption. Si Cortazar est anti conformiste et privilégie le jeu et l’humour il n’est en aucun cas trivial et superficiel.
« Je crois plus que jamais que la lutte pour le socialisme en Amérique Latine doit affronter l’horreur quotidienne avec la seule attitude qui un jour lui donnera la victoire :en gardant précieusement, jalousement, la capacité de vivre telle que nous la souhaitons pour ce futur, avec tout ce qu’il suppose d’amour, de jeu et de joie » Livre de Manuel-P.8 trad. Guille Laure Bataillon.
La biographie de Cortazar est intimement liée à son œuvre : « …je n’ai jamais admis de claire différence entre vivre et écrire » affirmera-t-il dans Le tour du jour en quatre mondes (P6). Il est né le 26 Août 1914, à Bruxelles où son père était consul. L’aviation allemande avait bombardé ce jour là la capitale belge. Le père ne tarda pas à emmener sa famille dans des lieux plus sûrs, à Barcelone où la famille restera dix huit mois.
« Une expérience traumatisante inaugure en moi la moisson des souvenirs, la mémoire commence avec la terreur » (Le Bestiaire d’Aloys Zôtl). L’expérience en cause, c’était le chant d’un coq à l’aube. « …s’il y a souvenir, c’est à cause de lui…comment savoir que ça était un coq, cet horrible éclatement du silence en mille morceaux… ». Julio avait trois ans. En 1918 la famille revint en Argentine mais le père ne tarda pas à quitter sa femme et ses deux enfants, Julio et sa sœur d’un an plus jeûne. Cortazar grandit dans le quartier périphérique de Banfield à Buenos Aires où il se réfugia dans la lecture pour suppléer à l’absence du père. Sa sensibilité a été définitivement marquée par cette enfance entourée de femmes et de livres.
« Quant aux morsures littéraires, elles furent précoces et indélébiles ». Il découvrit très tôt la littérature fantastique à travers Allen Poe, dévore les récits de Jules Verne, découvre le surréalisme grâce Cocteau (Opium), approfondit sa connaissance des langues (espagnol, français, anglais et allemand). Ce plurilinguisme lui sera d’un précieux apport quand il travaillera en Europe plus tard comme traducteur à l’U.N.E.S.C.O.
C’est à Buenos-Aires aussi que Cortazar apprit à aimer la musique, le Tango, et surtout le jazz qui occuperont une place centrale dans sa vie et son œuvre. La nouvelle intitulée L’homme à l’affût (el perseguidor) où l’on devine le portrait de Charlie Parker à travers le personnage de Johnny montre la connaissance intime que l’auteur avait du milieu artistique et de la souffrance endurée par les grands créateurs du fait de l’angoisse intimement liée à leur Art. Ce portrait juste et émouvant du créateur du be bop par Cortazar est d’autant plus surprenant qu’il ne connaissait pas personnellement Charlie Parker. Dans un entretien accordé au Monde de la musique (N°31, février 1981) Julio Cortazar raconte comment il a découvert par hasard la musique de Parker chez un disquaire de Buenos-Aires en 1946, et la réaction de rejet qu’il eût la première fois en écoutant Old man re-bop. Ce n’est qu’en réécoutant le disque plusieurs fois qu’il comprit toute la nouveauté introduite par Charlie et Parker (et ses musiciens dont Miles Davis !) qui a inventé un style cérébral multipliant à l’infini les possibilités d’expression musicale. Les références au jazz sont multiples dans les romans de Cortazar. Marelle, en particulier donne des indications très précises sur le goût de l’auteur dans ce domaine et peut servir de guide pour le lecteur non initié en la matière.
L’intérêt de Cortazar pour le jazz s’explique aussi pour des raisons littéraires. L’auteur qui avait découvert le surréalisme dans les années quarante était adepte d’une écriture libéré des tabous littéraires, « écrire ce qui vient à l’esprit dans une improvisation très peu contrôlée par le cerveau » (Monde de la Musique.sic). Or la jazz est en partie une musique improvisée.
En plus de la nouvelle L’homme à l’affût, Cortazar a écrit de nombreux textes en hommage à ses musiciens préférés tels Armstrong, Thélonious Monk, Lester Young, Clifford Brown et un ouvrage entier sur son compatriote Carlos Gardel «…ce génie de la musique…un homme qui a exprimé la sensibilité de tout un pays pendant plus de trente ans ! Un argentin écoute aujourd’hui un disque de Gardel et il s’exclame : (Ah, il chante de mieux en mieux !). Et ça fait quarante cinq ans qu’il est mort. » (Monde de la musique. Février 1981).
Si l’Argentine a compté pour beaucoup dans la genèse de l’Homme Cortazar et a déterminé ses choix esthétiques et politiques ultérieurs, c’est à Paris que l’auteur de Rayuela et des Armes secrètes donnera la pleine mesure de son talent. Cortazar arrive en 1951 dans la capitale française pour fuir le péronisme et l’atmosphère peu propice à l’épanouissement intellectuel d’un créateur de cette envergure.
Comment aborder dans les limites d’un article l’œuvre multiforme d’un auteur qui représente selon un critique littéraire « la plus puissante encyclopédie d’émotions et de visions qui émerge de la génération d’écrivains internationaux d’après guerre ». (A suivre).

source: drinkeldreams.blogspot.com/2010/02/hommage-julio-cortazar.html

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