Emilio Rodrigué
LE MONDE | 01.03.08 | 15h40 ? Mis à jour le 01.03.08 | 15h41
Grande figure de l’école de psychanalyse argentine, Emilio Rodrigué est mort le 21 février, à l’âge de 85 ans, à Salvador de Bahia (Brésil), où il vivait depuis 1972. En 1944, deux après la fondation de l’Asociacion psicoanalitica argentina (APA), il entreprend une cure didactique sur le divan d’Arnaldo Rascovsky, tout en poursuivant ses études de médecine.
Mais, très vite, il rêve d’un autre horizon. Aussi émigre-t-il à Londres, en 1947, pour continuer sa formation dans le sérail du groupe de Melanie Klein. Il rencontre alors les plus brillants représentants de l’école anglaise de l’immédiat après-guerre, tout en se passionnant pour l’histoire des origines viennoises de la psychanalyse.
Trois ans plus tard, il retourne à Buenos Aires, où il commence à pratiquer, tout en devenant l’ami de la psychanalyste Marie Langer, féministe et marxiste. En 1950, il fait la connaissance de Che Guevara sans parvenir à le convaincre de la validité des thèses freudiennes. Bien que très attaché à un classicisme kleinien, Rodrigué ne supporte guère l’orthodoxie des groupes psychanalytiques. Curieux de toutes les formes d’approche psychique, aimant les femmes, l’amour et la sensualité, et comparant volontiers la cure "à un baiser sur la bouche", il finira par contester le conservatisme de ses collègues.
A partir de 1968, il participe aux luttes politiques et institutionnelles du mouvement argentin et, en 1971, avec le groupe rebelle Plataforma, il prend la route de l’exil. Toujours en quête d’expériences, il s’installe à Bahia. Il y réside six mois par an et ne cesse de voyager à la recherche de nouvelles formes de thérapies. A Esalen, bastion californien de tous les dissidents freudiens, il songe, comme bien d’autres thérapeutes, à intégrer à la cure les approches corporelles et groupales.
Après son divorce, il épouse une princesse noire, Graça de Oxun, prêtresse de l’aristocratie candomblé avec laquelle il vivra pendant quinze ans. En liaison avec Marie Langer, exilée au Mexique, il mène une lutte contre les compromissions des sociétés psychanalytiques avec les dictatures latino-américaines. Enfin, il s’intéresse aussi aux penseurs français des années 1970, et bien sûr à Jacques Lacan. Aussi parvient-il non seulement à réunir autour de lui, à Bahia, un groupe composé de toutes les tendances du freudisme, mais aussi à établir un pont entre l’Europe et le Nouveau Monde : "Notre géographie et notre histoire nous mettent dans une position versatile. Nous devons dépasser la servitude du colonisé sans tomber dans l’idéalisation indigène. Nous sommes bicéphales : un oeil rivé sur l’Europe, l’autre vers notre nombril."
En 1995, il réalise son rêve de devenir le premier biographe latino-américain de Freud. Traduit en français en 2000, grâce à la ténacité de Juan David Nasio, l’ouvrage (Le Siècle de la psychanalyse, Payot) est reconnu internationalement. On y trouve un panorama historiographique de la quasi-totalité des travaux publiés dans le monde anglophone, francophone et latino-américain, accompagné de commentaires interprétatifs qui reflètent la subjectivité d’un homme capable de mêler, de façon romanesque, l’histoire mémorielle à l’histoire érudite. À la fin de sa vie, il invente la cure "en une séance", n’hésitant pas à se rendre à domicile pour une durée de trois heures chez des patients en état de deuil ou de souffrance extrême. C’est sans aucun doute ce mélange transgressif de rigueur, d’empathie et d’inventivité qui restera gravé dans la mémoire de ceux qui comparaient volontiers Emilio Rodrigué à un personnage sorti tout droit de Cent ans de solitude : entre Garcia Marquez et Sandor Ferenczi.
9 janvier 1923
Naissance à Buenos Aires (Argentine)
1950
Commence à pratiquer la psychanalyse à Buenos Aires
1995
Publie une biographie de Freud
21 février 2008
Mort à Salvador de Bahia (Brésil)
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