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extrait de "Wasabi"

Par larouge • Pauls Alan • Samedi 11/07/2009 • 0 commentaires  • Lu 1244 fois • Version imprimable

« Wasabi »,
de Alan Pauls

Je ne suis pas du genre à transpirer beaucoup. je n'ai jamais eu de problèmes pour m'endormir. Je dors sur le côté et à plat ventre, les bras sous l'oreiller. J'aime autant le salé que le sucré, mais je suis plus réticent sur les choses amères. (Rien de bien significatif, quoi qu'il en soit.) Mes serviettes de toilette ne sentent pas l'humidité.
Je ne note aucune différence entre l'air libre et les atmosphères confinées. Je ne souffre pas de la chaleur; mes mains et mes pieds sont sensibles au froid.
L'avantage de l'homéopathie est que le patient, instruit des usages de l'art, garde toujours sur lui une batterie portative de signes particuliers, rédigés dans une langue aussi universelle que l'espéranto et dans laquelle est formulé l'interrogatoire. Cette trousse de secours (succédané verbal de la pharmacopée que d'autres médecines conseillent d'emporter à chaque voyage) est valable partout dans le monde et admet, selon le degré d'adhésion du malade, selon la curiosité du médecin, des avenants divers. La doctoresse et moi ne manifestant guère d'enthousiasme, je préférai réduire ma déposition au strict minimum, de sorte que la version abrégée de mes réponses ne diffère pas trop de sa version complète. Je décidai de limiter la consultation au kyste, et débitai l'arsenal de mes idiosyncrasies en haussant les épaules.
J'omis, entre autres bizarreries qui eussent réjoui la doctoresse, les «rêves» que j'avais commencé à faire depuis mon arrivée à Saint-Nazaire. Je ne rêvais de rien en particulier. Je dormais sept minutes, systématiquement, à n'importe quel moment de la journée. Plus que de rêves, il s'agissait de courts-circuits, d'éclairs d'absence auxquels semblait aboutir une soudaine accélération de mon état de veille. Je ne saurais dire que j'y entrais ou que j'en sortais : ils me saisissaient à l'improviste comme des collapsus, et quand le charme cessait d'opérer, je retrouvais instantanément l'usage de toutes mes facultés, à l'instar d'un appareil électrique qu'on rallumerait après une coupure d'électricité et qui se remettrait en marche, sitôt le courant rétabli. Je pouvais, par exemple, consulter l'annuaire téléphonique et succomber tout à coup à un malaise, et me réveiller sept minutes plus tard, les yeux rivés sur la même ligne qu'avant la syncope. Une nuit, on m'a surpris en train de prendre un bain au moment où, me redressant péniblement dans la baignoire (Tellas venait de parsemer une flottille de sels de bain dans l'eau), je tendais mon bras pour attraper la savonnette. Lorsque je rouvris les yeux, j'avais encore le bras tendu, et le corps comme pétrifié dans une position, qu'éveillé, je n'aurais jamais pu maintenir plus de dix secondes.
Ce n'était pas des rêves, parce que les rêves, même s'ils exilent le dormeur ou qu'ils ouvrent sous ses pieds de profonds abîmes, sont toujours des quantités de temps, des suppléments, des vies en plus dont profite la veille pour les transformer en énergie ou en sujets de conversation. Moi, en revanche, chaque fois que je tombais dans ces trous, je perdais sept minutes de ma vie. Au début, je reprenais connaissance dans un état de perplexité scandalisée, comme le voyageur qui, détournant une seconde son attention du journal qu'il lit dans le métro, s'aperçoit que son portefeuille n'est plus dans sa poche. Qu'est-ce qui l'indigne tant? ...


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