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entretien avec Lucia Puenzo

Par larouge • Puenzo Lucia • Mardi 09/02/2010 • 0 commentaires  • Lu 1460 fois • Version imprimable

  • Currently 5/5

Note : 5/5 (1 note)

L’Enfant poisson évoque une double transgression, sexuelle et sociale, puisque la jeune Lala s’éprend d’une autre jeune femme, qui est une des servantes de la maison. Ce "désordre" symbolise-t-il un lieu - l’Argentine - ou un moment - l’adolescence ?

En fait, les deux. Il y a, dans le roman, la représentation d’une Argentine figée dans ses inégalités sociales - La Guayi, dont Lala tombe amoureuse, est une immigrée paraguayenne, alors qu’elle appartient à la bourgeoisie intellectuelle du pays. Mais aussi l’évocation de ce moment de l’adolescence, si difficile. Il y a un mot dans notre langue qui désigne les jeunes adolescents. Or, ce même mot désigne également le fait de souffrir de quelque chose, d’être "en souffrance". Les adolescents éprouvent souvent des sensations ou des sentiments qu’ils n’identifient pas, qu’ils ne contrôlent pas. Ils sont à la recherche de quelque chose sans savoir très bien quoi.

Le titre de votre ouvrage est L’Enfant poisson et son narrateur est un chien qui, bien sûr, parle. Faut-il y voir une métaphore de cet état mixte, en quelque sorte indéterminé, de l’adolescence?

D’une certaine façon, oui. L’adolescence est pour moi un sujet très puissant, parce qu’elle contient un nombre important de possibles, que rien n’y est totalement fixé. D’ailleurs, de nombreux éléments, dans le livre, jouent sur cette notion de frontières franchies, ou mouvantes – frontières géographiques, sociales, sexuelles mais aussi frontière entre le bien et le mal : Lala va tuer son père parce qu’il a fait de La Guayi sa maitresse…

Le fait que ce père soit un ancien juge n’est sans doute pas indifférent….

Bien sûr, et on revient là à l’aspect social. Au regard des normes, Lala et La Guayi se marginalisent de plus en plus mais qu’un juge use, voire abuse de son autorité pour séduire une jeune immigrée de dix sept ans ne pose aucun problème à personne. Cela dit, l’acte de Lala n’est en rien "politique". Je n’écris pas animée d’intentions politiques et il n’y a pas dans mon récit de messages cachés. J’aime la littérature qui se laisse emporter par les digressions, qui dévie de son intention initiale. A mes yeux, un roman est rythme et musique avant tout. César Aira, journaliste et romancier argentin, dit que la fonction de la littérature est de faire des suggestions qui ouvrent des chemins mystérieux vers la pensée…

A un moment, on a le sentiment que les deux jeunes femmes peuvent espérer un avenir près de ce lac d’Ypacarai, où elles voulaient faire construire une maison…

Cela, c’est le fantasme de Lala, d’autant que ce lac est réputé être un lieu magique où vivait, disait-on, un enfant poisson… Mais le réel fait un retour cauchemardesque lorsque La Guayi avoue le meurtre, qu’elle n’a pourtant pas commis, en punition de son passé, qu’elle juge coupable et qui va alors réapparaître… Le lac n’est magique que dans la légende…

Dans ce roman, vous évoquez jusqu’où on peut aller par amour, même si c’est au mépris du réel…

L’amour fou est rarement compatible avec le réel, et ce roman parle d’amour fou. Surtout de la part de Lala, une adolescente capable de tout pour celle qu’elle aime. Capable d’apprendre à se servir d’une arme et de prendre le risque de se faire tuer pour libérer La Guayi de toutes ses prisons, symboliques et réelles. La Guayi, en revanche, traite Lala tantôt comme une mère, tantôt comme une amie, tantôt comme une amante. Elle crée ainsi ce monde complexe qui, peu à peu, devient l’univers entier de Lala. Trop "entier", sans doute… Des deux, c’est certainement La Guayi qui est la plus en prise – et aux prises avec ce réel.

© Laura Ortego

source: www.hachette.com/mag/019/000000010281/lucia-puenzo.html

 

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