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Entretien avec Alberto Manguel

Par larouge • Manguel Alberto • Jeudi 15/10/2009 • 0 commentaires  • Lu 638 fois • Version imprimable

  • Currently 3/5

Note : 3/5 (2 notes)

15-10-2009 08:33
 
 
 
Alberto Manguel vous mène en bateau
Le théoricien de la lecture revient au roman avec "Tous les hommes sont menteurs" (Actes Sud). L’histoire abyssale d’une mystification littéraire. Interview.
Albetro Manguel

 

D’ordinaire, vous écrivez vos essais en anglais, et ce roman a été rédigé en espagnol ; pourquoi ?
L’anglais est ma langue maternelle, c’est celle qui me vient en premier quand je réfléchis. L’espagnol, je le parle convenablement, mais je l’ai appris plus tard. Ce roman, je l’ai commencé il y a une vingtaine d’années, au Canada, à la suite d’une histoire que m’a racontée le mari de Margaret Atwood, et qui concernait deux écrivains cubains en prison. L’un d’eux, libéré, a publié à Miami un roman qui avait eu beaucoup de succès. Plus tard, la veuve de l’autre prisonnier a prouvé que ce livre avait été écrit par son mari… Cet écrivain de Miami lui avait volé son œuvre. Cette idée d’être l’auteur d’une œuvre qui n’est pas la vôtre m’avait beaucoup tracassé ; vous portez l’enfant de quelqu’un d’autre, vous assumez la responsabilité d’auteur de quelque chose que vous n’avez pas fait, ça me semblait une façon détournée du mensonge…

Les personnages et situations ont-ils beaucoup changé entre-temps ?
J’avais écrit à travers un émigrant latino-américain qui venait au Canada. Le problème c’est que le contexte de la société canadienne ne se prêtait pas à ça, le mensonge était trop évident. Nous sommes dans des sociétés où le mensonge officiel, le mensonge social fait partie des mœurs ! Politiciens ou patrons d’entreprises mentent, détournent de l’argent, et ce n’est presque pas scandaleux… En France, les politiciens sont arrêtés, accusés d’escroquerie, et quelques mois plus tard ils se re-présentent comme si de rien n’était ! Au Canada, ce ne serait pas possible. Ça ne marchait pas, et longtemps après, il y a deux ans donc, je me suis dit que j’allais le reprendre, en essayant de mettre face à face la société du mensonge de la dictature militaire argentine avec la société du mensonge de l’Espagne de Franco. J’ai pensé que c’était curieux, de fuir une dictature pour un autre, de passer d’un mensonge à l’autre… Et j’ai commencé à imaginer ce roman à plusieurs voix.

Cinq voix, dont la vôtre…
Il y a la mienne, Andrea, le Cubain, le « mort » et le journaliste. J’ai voulu jouer avec les différentes langues espagnoles : c’est non seulement le point de vue qui change votre version de la réalité, mais aussi la langue dans laquelle nous exprimons ce témoignage. Le personnage qui s’appelle Alberto Manguel parle l’espagnol de l’Argentine des années 60, le personnage d’Andrea parle l’Espagnol de la Movida, le Cubain parle ce baroque des Caraïbes très littéraire, le poète frustré parle un espagnol qui se veut créole, et enfin le journaliste français, d’origine espagnole. Ça fait des langues différentes, j’ai voulu jouer avec ça.

Avec toutes ces voix, le personnage d’Alejandro Bevilacqua est plus insaisissable que jamais…
Oui, c’est intentionnel, je crois que c’est quelque chose que nous voyons à tout moment dans notre vie. Votre souvenir d’enfance ne sera pas le même que celui vécu par votre frère ou votre sœur. C’est moins facile à accepter dans la vie de tous les jours que pour un lecteur, qui sait que la vision de Don Quichotte n’est pas celle d’un autre… Dans notre vie, nous avons l’impression qu’on nous raconte une version complète d’un événement, or ce n’est jamais le cas. Pour Bevilacqua, il s’agit d’une multiple objectivité, il nous est difficile de l’accepter car nous voulons que le langage soit clair et les opinions définitives… Nous savons que la langue ne définit rien absolument, que nous ne faisons que nous approcher de ce que nous voulons dire, mais nous tenons à l’exactitude.

Tout cela donne à cet écrivain un relief qu’il ne semble pas avoir ?
Certainement. Il est exaspérant ! J’ai voulu un personnage pédant, prétentieux, avec ses petites envies… Il est nécessaire que nous posions les bonnes questions. L’idée que la vie ou la littérature peuvent nous donner des réponses concrètes est une idée fausse, qui mène à une simplification mensongère. C’est ce qui fait la mauvaise littérature, les mauvais films et les mauvais politiques ! ça ne pourra jamais expliquer la complexité des choses. Mais si nous acceptons cette ambiguïté, toutes les portes sont ouvertes, tout est possible.
 
 
 

Propos recueillis par Jennifer Lesieur
Metrofrance.com

source: http://www.metrofrance.com/culture/alberto-manguel-vous-mene-en-bateau/pijn!va4bVGGTgFJzRWsPhEhHA/



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