Personnage central de la psychanalyse latino-américaine, Emilio Rodrigué a joué un rôle moteur dans sa diffusion à travers le continent. Né à Buenos Aires, en 1923, dans une riche famille d'origine française, il a côtoyé maintes personnalités du mouvement analytique de l'après-guerre (Marie Langer, Erik Erikson ou encore Mélanie Klein), et participé aux luttes qui ont divisé l'école argentine (par exemple le fameux groupe Plataforma). Exilé à Bahia après l'avènement de la dictature militaire, il est devenu la figure exemplaire d'un freudisme sud-américain qui s'est largement construit au miroir de la tradition européenne, mais qui est réputé plus éclectique, plus ouvert aussi. Ainsi Rodrigué a-t-il toujours voulu mêler non seulement les approches cliniques (kleinienne, lacanienne...) mais aussi les cultures (d'Amérique, d'Afrique et du Vieux Continent). Auteur de plusieurs ouvrages, il a notamment signé une magistrale biographie de Sigmund Freud (Freud, Le Siècle de la psychanalyse, Payot, 2000) Ses travaux cliniques reflètent à la fois sa formation kleinienne et sa pensée créatrice. Emilio Rodrigue est mort le 21 février 2008, à Salvador de Bahia. L'odyssée d'un capitaine de divan par Alain Rubens Lire, mars 2005 Emilio Rodrigué incarne avec légèreté la psychanalyse argentine. Un cas d'école.En Argentine, la psychanalyse a trouvé une seconde patrie. A Buenos Aires, les praticiens ont même leur quartier: la Villa Freud. L'essor stupéfiant de la psychanalyse argentine date des sombres années 1940. Il est lié aux fantasmes d'un trio d'émigrés qui voulurent sauver le legs freudien de la barbarie nazie. Il y a eu Enrique Pichon-Rivière, suisse et fou de Lautréamont, Arnaldo Rascovsky, intellectuel juif qui fit entrer Freud à l'Université, et Marie Langer, la tenace pasionaria qui rêvait de faire de Buenos Aires la Vienne latino-américaine. Emilio Rodrigué est leur fils spirituel.Médecin et jeune homme de très bonne famille, Emilio Rodrigué, féru de psychanalyse, part pour Londres qui émerge des ruines de la guerre. La psychanalyse britannique est alors tiraillée entre deux figures tutélaires, Melanie Klein, la contestataire, et Anna Freud, l'héritière. Journaliste à la BBC, il entreprend tout une analyse didactique avec Paula Heimann, grande clinicienne. Il croise le génial Winnicott et Masud Khan, élégant prince pakistanais et psychanalyste subtil. Nageur olympique, jogger méthodique, fuyant l'austérité des cabinets, il aime les femmes et la bonne chère. Aujourd'hui, à plus de quatre-vingts ans, Emilio Rodrigué totalise quelque 50 000 heures d'écoute - c'est son étrange calcul.Météorite communiste mais péroniste durable, il prend en main, dans les années 1960, les rênes de l'Association psychanalytique argentine (APA). Il multiplie les thérapies de groupe, ateliers corporels et autres psychothérapies et prend ses aises avec une technique plus traditionnelle. La fondation du groupe Plataforma est le grand moment: trente-quatre jeunes gens ruent dans les brancards; une psychanalyse ouverte prise dans le tourbillon de Mai 68. En 1972, c'est la chape de plomb de la dictature militaire. La peur et l'exil. Les «psychoargonautes» argentins - l'expression est belle - se dispersent aux quatre vents. Pour Rodrigué, cap sur Madrid, Paris, Bahia et sa plage blonde, Ondina: course, beach ball et petits pétards.Emilio Rodrigué, qui se qualifie lui-même de «vieux capitaine de divan», n'est pas un homme austère. Il est l'auteur d'une remarquable biographie de Freud (Freud, le siècle de psychanalyse, Payot), et, avec l'âge, tend vers un hédonisme intégral, le fil rouge de ses Mémoires. Certes, la souffrance n'est pas le terreau exclusif de la grandeur analytique, mais on imagine mal en Europe le vieux Freud courir les bals viennois sur une musique de Strauss, ni Lacan septuagénaire faire son séminaire, en short, sur la plage. |
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