Drieu-Ocampo, une intense complicité
05/11/2009 | Mise à jour : 11:59 |
«Lettres d'un amour défunt» Correspondance 1929-1944, Pierre Drieu la Rochelle-Victoria Ocampo - Des lettres émouvantes où il est question d'amour et de littérature, de politique et de fidélité.
C'était dans un salon bleu. En 1929, Pierre Drieu La Rochelle rencontre Victoria Ocampo avenue de la Bourdonnais. L'aristocrate argentine va occuper une place à part parmi les conquêtes de Drieu.
Entre eux, l'éloignement jouera un grand rôle. Cet océan qui les sépare les oblige à échanger des lettres. Ils s'écriront jusqu'au bout. On voit une époque se préparer au pire, deux esthètes comparant leurs impressions, scrutant leurs sentiments. Il y a quelque chose de très fort dans ce lien qui glisse de la passion à une sorte d'intense complicité. Elle finance la revue Sur. Il lui envoie des articles.
Drieu se confie. Il doute, a des problèmes d'argent (un sacré tapeur, même), s'échine à comprendre son temps. Il conseille à la Sud-Américaine d'avoir un enfant. Il voudrait qu'on lui présente Aragon avec qui il est pourtant fâché. Elle vient souvent en France. Il lui détaille ses projets. «Je voudrais écrire un livre qui ait tant de gravité qu'il tombe dans les étoiles, un livre lent, enraciné dans le siècle, épanoui hors du siècle.»
Au début, il la tutoie, puis il emploie le «vous», revient au «tu». Elle l'appelle Gilles de Watteau, ou Pierrot. Il la compare à un lac, la traite affectueusement de «plus belle vache de la pampa». Ils ne s'épargnent pas, se connaissent trop bien pour ça. «Cesse de me traiter comme une crapule, comme un monstre minuscule, comme un petit tas de sable arrosé de pipi de chameau un jour de soif au milieu du désert.»
Autoflagellation
Sa sexualité occupe une vaste région de cette correspondance, ses épouses, les prostituées, Christiane Renault. «J'ai la haine des femmes, je ne puis coucher qu'avec des corps, des fantômes, dans un bordel». Il se plonge dans Shakespeare, n'a jamais pu lire Bergson, reprend La Duchesse de Langeais. Pas d'illusions sur lui-même. On sait Drieu adepte du masochisme, de l'autoflagellation : «Moi je suis un mufle», «Je suis un mauvais amant, mais un bon ami.» Le Feu follet ne provoque pas chez lui de satisfaction particulière : «Dans ce petit roman, j'ai analysé le dépouillement d'une pauvre petite âme d'ironiste qui à force de dépouillements successifs arrive au suicide.» Les formules crépitent sous sa plume. « J'ai envie d'être marié comme j'ai eu envie d'être soldat. » Le ton sur lequel il s'adresse à Victoria dépasse la fraternité qui unit parfois de vieux amants. Il y a une compréhension mutuelle, comme un miroir tendu d'un continent à l'autre. L'Europe sombre. Drieu s'intéresse de plus en plus à la politique, devine que fascisme et communisme seront bientôt les seuls enjeux. Victoria ne l'entend pas de cette oreille. Elle le secoue, le renvoie à ses contradictions. Il va donner des conférences en Argentine. Elle est d'une lucidité implacable, ce qui énerve le Français. «Il faut avoir beaucoup de force pour vous aimer sans en être endommagée, Drieu.»
D'après les en-têtes, il habite l'île Saint-Louis, l'avenue de Breteuil. Son téléphone était Invalides 14 44. Cela fait tout drôle de découvrir le numéro de Drieu, comme si on avait oublié que les écrivains passaient des coups de fil. On dirait que par moments Drieu ne se pardonne pas l'attachement qu'il porte à Victoria. «Je regretterai toute ma vie de n'avoir pas été ton amant pour la vie.»
Ils se fâchent plus ou moins en 1938, continuent pourtant à s'envoyer des lettres. Bilan de Drieu, qui roule des mécaniques en 1940 : « Nous nous sommes rencontrés un peu vieux pour la passion, un peu jeunes pour l'amitié. » Ces lettres sont des trésors. Il y est question d'amour et de littérature, de politique et de fidélité. La dernière date d'août 1944. C'est un adieu. Drieu, qui a commis toutes les erreurs, ne jure plus que par la philosophie indienne, va bientôt se suicider. À la fin, l'éditeur reproduit les lignes testamentaires - on lit ça le souffle coupé - que Drieu adressa à quelques amis. Malraux était du nombre. Victoria aussi : elle méritait bien ça.«Lettres d'un amour défunt» Correspondance 1929-1944, Pierre Drieu la Rochelle-Victoria Ocampo, Bartillat, 252 p., 25 €.
source: www.lefigaro.fr/livres/2009/11/05/03005-20091105ARTFIG00491-drieu-ocampo-une-intense-complicite-.php
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