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Copi, l'Argentin déjanté

Par larouge • Copi • Dimanche 21/06/2009 • 0 commentaires  • Lu 1391 fois • Version imprimable

Copi, l'Argentin déjanté Têtu, mars 2006
L'univers de Copi est insaisissable. Du journalisme à Libération à l'illustration dans Charlie Hebdo, en passant par le théâtre, il fut un eternel touche à tout. Dix neuf ans après sa mort, il semble retrouver enfin la place qui lui échoit. C'est fou, non?
Le purgatoire de Copi n'aura pas duré longtemps : les années 90, autrement dit celles qui suivirent sa mort, en 1987, des suites du sida. L'Argentin [...] - était alors tombé dans un (relatif) oubli. Mais, depuis le début des années 2000, il ne se passe plus un mois, ni même une semaine, sans que l'une de ses pièces soit jouée à Paris ou en province, dans des théâtres prestigieux ou devant des publics d'étudiants, par des acteurs chevronnés ou débutants. L'an dernier, La Tour de la Défense, montée à la MJC de Bobigny, avait fait sensation: la salle, bondée tous les soirs, rassemblait un public étonnamment jeune et branché. Marina Foïs, échappée des Robin des bois, y démontrait qu'elle était une vraie actrice, et qu'en plus elle était foutrement bien roulée (on avait tout le temps de l'admirer, elle passait une partie de la pièce complètement à poil). Mais, si c'est par le théâtre qu'on revient aujourd'hui à Copi, il ne faudrait pas oublier qu'il était un artiste protéiforme, tout à la fois dessinateur, comédien et auteur dramatique. De son vrai nom Raul Taborda Damonte, Copi est né en 1939, à Buenos Aires, dans une famille de ta bourgeoisie intellectuelle - sa grand-mère, auteur de théâtre réputée dans son pays, mettait en scène, dans les années 30, des lesbiennes trompant leur mari... Après la chute de Peron, en 1955, l'Argentine traverse des temps troublés, les périodes de démocratie alternent avec les régimes dictatoriaux. Au cours de l'un d'eux, le père de Copi, directeur d'un journal, est contraint à l'exil. Copi le suit, d'abord en Haïti, puis à New York, où lui-même ne reste guère: le pays qu'il vise, c'est la France, et sa capitale, Paris, comme beaucoup d'Argentins cultivés, qui nourrissaient pour notre pays un amour que nous ne savions pas forcément leur rendre. La légende veut qu'il ait fait la traversée sur un bateau de marchandises italien. Il débarque en 1962 et, pour vivre, écume le pont des Arts et les terrasses des cafés, où il vend ses dessins. En 1965, la célébrité arrive d'un coup : il a séduit l'équipe du tout jeune Nouvel Observateur (créé l'année précédente), qui lui ouvre ses pages. Copi y crée son personnage de femme assise, matrone replète aux cheveux raides, vissée sur une chaise d'où elle échange - avec sa fille, un poulet ou un escargot - des propos aussi loufoques que subversifs. Cette femme assise suivra Copi partout : dans les colonnes de Hara Kiri, de Charlie mensuel, de Libération et du Gai Pied, auquel Copi collabore dès sa création. Pour Libération, il imaginera également le personnage de Kang, gentil kangourou non moins loufoque et véritable poil à gratter. Dans l'une de ces planches (parues en album chez Dargaud, en 1984), Kang engage une discussion : «Que préten-dez-vous, les gays ? - On veut se marier à la mairie comme les autres! - Qui vous l'interdit?- On ne trouve pas de robes de mariée à notre taille.»MODERNITÉ ET NOSTALGIECopi tâtera aussi du roman, comme dans La Cité des rats (Belfond, 1979), qui raconte un Paris submergé par les eaux et gouverné par la reine des rats. On pouvait y lire, en avertissement: "L'auteur et l'éditeur renvoient les maniaques de la grammaire et de la syntaxe, les intoxiqués de la concordance des temps, les mordus de l'imparfait du subjonctif, les fabricants de néologismes à usage interne, les coupeurs en quatre du point-virgule et autres fanatiques des Littré, Robert ou Grevisse à leurs lectures favorites.» Mais c'est dans le théâtre qu'il donnera toute la mesure de son génie kitsch et camp. Le théâtre de Copi n'est surtout pas naturaliste. C'est même tout le contraire. Publiée en 1978, La Tour de la Défense («La tour de la Défonce», serait-on tenté de dire), l'une de ses meilleures pièces, quasi irracontable, qui met en scène un couple d'homosexuels au bord de la crise de nerfs (et, chez Copi, l'expression tient du pléonasme) et leurs voisins (en l'occurrence un travesti, une hystérique sous acide et un Arabe, tous personnages récurrents, avec les rats, du bestiaire de l'auteur). Le soir du réveillon de la Saint-Sylvestre 1976, tout ce petit monde s'aime, se déchire, s'insulte (« Espèce de styliste!» lance l'un des deux homos à son conjoint) dans une frénésie grand-guignolesque. Il n'y a pas de message, ni même de sens. « Copi, c'est un Beckett qui ne se sentirait pas responsable du poids du monde», a pu dire de lui Armando Llamas, autre dramaturge argentin. Mais, si la pièce (créée en 1981, à Paris, par Claude Confortès) a connu l'an dernier un tel succès, c'est qu'elle ressuscitait, avec un éclat intact, toute la bohème subversive des années 70, quand liberté sexuelle et liberté tout court se vivaient au quotidien. Dans nos temps présarkozystes, tout à la fois de retour à l'ordre moral et de baisse de moral (la France est en déclin, cherche-t-on à nous persuader), l'œuvre de Copi se pare d'une modernité teintée de nostalgie: elle nous parle d'un temps pas si lointain qui mobilisait plus d'énergie, d'excitation et de folie qu'aujourd'hui. C'était l'époque, du reste, où une célèbre boisson gazeuse avait inventé comme slogan publicitaire : « C'est fou!». Et devinez qui était la folle argentine en costume insensé qui le déclamait sur les écrans?ENFIN CULTEA l'occasion, Copi montait lui-même sur les planches pour donner corps à ses pièces. Dans Le Frigo, qu'il crée en 1983 dans le cadre du Festival d'automne, il interprète carrément tous les rôles: L., l'héroïne, qui est transsexuelle, sa mère, la concierge, une Gitane, un détective privé, la Doctoresse Freud et un rat... L'argument, là encore, est assez mince, mais évidemment déjanté : « L. reçoit un frigo comme cadeau d'anniversaire. La présence de cet appareil déclenche chez elle un bombardement d'hormones qui va la plonger peu à peu dans la folie.» Ce sera la dernière apparition de Copi sur scène. La maladie va bientôt le rattraper. II meurt le 14 décembre 1987, non « sans avoir pu boucler sa pièce ultime, Une visite inopportune, qui raconte justement cette maladie qui le ronge , et qui décime la communauté. Copi, fidèle jusqu'au bout à lui-même, a transformé la tragédie de la vie en comédie de la mort. Dans un décor de chambre d'hôpital, le malade, l'infirmière, le médecin, les amis en visite, tous rivalisent d'hystérie. La pièce est créée en février 1988, deux mois après la disparition de son auteur, par Jorge Lavelli, dans un Théâtre de la Colline tout fraîchement inauguré. Le rire parvient à l'emporter sur l'émotion et, pendant un mois, la salle joue à guichets fermés devant un public qui vient se regarder lui-même : c'était l'époque où l'AZT, en prises régulières toutes les quatre heures, faisait figure d'unique «panacée» contre le virus. Pendant que les comédiens jouaient, à intervalles réguliers, retentissaient des petites sonneries dans la salle: c'était l'alarme d'un spectateur le prévenant qu'il devait prendre ses pilules. Le retour de flamme dont bénéficie aujourd'hui Copi lui vaudra peut-être d'être enfin reconnu dans sa patrie d'origine. Jusqu'ici, en effet, ses textes en espagnol étaient tous édités à Barcelone. Mais, c'est bien connu, nul n'est prophète en son pays.
Daniel Garcia.

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