Les personnages de « La muerte como efecto secundario » vivent dans un pays à la fois étrange et familier. Conséquence d’un effondrement économique où l’on reconnait sans peine les conséquences des « ajustements structurels » imposés à l’Argentine, les services publics sont à l’abandon, la sécurité n’est plus assurée que par des sociétés privées, le voyeurisme télévisuel atteint son paroxysme. Etrange aussi, car Ana María Shua, en romancière et non en journaliste ou essayiste, conduit avec virtuosité son récit jusqu’aux limites du fantastique, limites avec lesquelles elle joue, sans jamais se laisser prendre à son propre piège. Tout dans le roman est vraisemblable, juste assez décalé cependant pour que le lecteur se sente en terrain mouvant, qu’il éprouve le malaise existentiel du personnage principal. La société en décomposition n’est pas un décor, un sujet de débat économique ou politique, mais l’exact reflet (ou est-ce l’inverse ?) de la vie intérieure du héros.
Le suspens, les rebondissements sont l’un des plaisirs de la lecture du roman; je soulignerai seulement que le thème central, le rapport de filiation si intimement lié à la mort, est traité de façon magistrale, avec une simplicité et une évidence de parabole.
Voici donc mes premières impressions, que je n’ai pas voulu gâcher par la lecture des critiques en espagnol qui doivent circuler sur la toile. Je souhaitais garder un regard neuf sur l’œuvre de Ana María Shua, œuvre traduite en anglais, allemand, italien, et qu’un éditeur français s’honorerait de publier.
http://hougevy.net/blog.php?lng=fr&sel=pg&pg=81
Un fils, son père et une femme infidèle.
Une histoire d’amour et une tragédie dans l’univers familier et cruel du possible, où les villes sont divisées en quartiers occupés, quartiers sous surveillance et zones neutres. Le pouvoir de l’Etat a disparu, la violence est permanente. Les caméras de télévision sont partout ; la vie et la mort constituent, avant tout, un spectacle. Les maisons de retraite –appelées « Maisons de Rééducation »- sont désormais obligatoires : une privatisation rentable dans une société où tous n’atteignent pas le « troisième âge ».
Le personnage principal du roman, Ernesto Kollody, a vécu la plus grande partie de sa vie dans l’ombre d’un père terrifiant. Vieux et malade, ce père est interné dans une « Maison de Rééducation » où l’on tentera de prolonger impitoyablement son agonie. Répondant à ses appels désespérés, Ernesto réussit à le sortir de la Maison pour l’aider à mourir en paix. Mais où trouver cette fameuse paix ? Ce père féroce est-il capable de la trouver ?
Ernesto raconte cette histoire dans les lettres –où les envoyer ?- adressées à son ex-amante, une femme mariée dont il est toujours amoureux. L’histoire de sa passion clandestine se mêle aux évènements du présent.
Dans ce roman, Ana María Shua s’aventure aux limites d’une société soumise à un système économique sans pitié. La façon avec laquelle elle mêle réalité et fiction révèle un singulier talent. A son implacable capacité d’observation s’ajoutent un style dépouillé et précis, un rythme soutenu et une structure parfaite.
Il ne fait aucun doute que La muerte como efecto secundario sera un événement marquant dans la littérature et dans la vie de chaque lecteur.
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