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Bisbilles autour de la dépouille de Borges à Genève

Par larouge • Gasparini Juan • Samedi 27/06/2009 • 0 commentaires  • Lu 1232 fois • Version imprimable

Bisbilles autour de la dépouille de Borges à Genève
Aude Marcovitch


GENEVE, 29.03.06 (InfoSud) Pourquoi le célèbre écrivain argentin, décédé il y a vingt ans, a choisi de venir finir ses jours sur les bords du Rhône ? Pourquoi a-t-il changé d’état civil et de testament peu avant sa mort ? Une autopsie troublante signée par le journaliste Juan Gasparini.
L’un des plus grands écrivains de langue espagnole, Jorge Luis Borges, a vécu les derniers mois de sa vie à Genève. Près du 28 de la Grand-Rue en vieille ville, une plaque commémorative en retient le souvenir. Dans un livre touffu où il a consigné les moindres détails de sa minutieuse enquête, le journaliste Juan Gasparini retrace le parcours étrange qui conduisit l’Argentin à quitter Buenos Aires au seuil de sa mort, entraîné par sa dernière compagne, Maria Kodama. Vingt ans après les faits, l’enquêteur peint une toile complexe où se mêlent héritage disputé, mariage trouble et querelle autour du lieu de sépulture. En suivant le filon proposé par l’auteur de "La dépouille de Borges"*, apparaît un portrait morose de l’Argentin dont l’agonie sera marquée par une rupture radicale avec ses décisions antérieures, "il changea de testament, d’avocats, de médecin et d’état civil", écrit Gasparini. Relation ambiguëA quatre-vingt sept ans, l’écrivain, malade, vient finir sa vie à Genève, guidé par sa compagne depuis dix ans, Maria Kodama. Qu’est-ce qui le conduisit à cette décision ? Fut-il emmené loin des siens par une femme manipulatrice qui se servit d’une "dépendance physique et principalement psychologique", comme le plaida sans succès l’avocat de la famille de Borges? Ou l’écrivain atteint de cécité depuis des années se mit-il consciemment à la merci d’une femme de quarante ans sa cadette, comme une victime consentante dans relation ambiguë et non dénuée de masochisme. L’affaire a son importance: c’est en effet depuis Genève où il atterrit en décembre 1985 que Borges se maria avec Kodama et en fit son héritière universelle, la légataire de l’ensemble de ses biens et de son œuvre, modifiant ainsi un testament antérieur. L’union, que le couple conclu alors qu’il résidait à Genève, fut enregistrée… au Paraguay. Dans les coulisses de ce mariage, non validé par la loi argentine parce qu’un précédent divorce de Borges lui interdisait le remariage, apparaît le nom du consul honoraire paraguayen à Genève. Quelques années plus tard, ce même consul sera jugé pour diverses affaires de fraude et d’escroquerie et purgera plusieurs années de prison. Destin lié à Genève, mais…Borges a-t-il plutôt souhaité faire de Genève sa dernière adresse par nostalgie pour d’agréables souvenirs de jeunesse? A l’aube de la première guerre mondiale, il passera en effet quatre ans dans la cité de Calvin, après y avoir accompagné son père venu faire soigner une cécité héréditaire. Selon l’auteur de l’ouvrage, c’est à Genève qu’il y fit le choix de devenir écrivain et pris la décision de le faire en espagnol. Dans le quartier de Saint Jean, une rue portant son nom commémore ce passage de jeunesse. Mais plus encore qu’à Genève, c’est à la Suisse que Borges aurait pu avoir envie de prouver son attachement. L’ouvrage se fait en effet l’écho de conversations lors desquelles le vieil homme évoque son désir d’obtenir la nationalité suisse. Une idée qui ne prendra jamais forme. Après la mort de Borges en juin 1986, les dissensions entre Kodama** et la famille de l’Argentin éclatèrent au grand jour, se disputant jusqu’à sa dépouille. La sœur, puis les neveux de l’écrivain réclamèrent le rapatriement du corps en Argentine, pour se conformer selon eux à des souhaits qu’il aurait formulé de son vivant. Ils furent déboutés lors d’un des innombrables jugements qui suivirent le décès de Borges. La dépouille resta donc au cimetière des Rois où elle se trouve aujourd’hui encore. Pour avoir remué un peu trop les cendres de l’écrivain, Juan Gasparini fut poursuivi en justice par la veuve Kodama, mais le journaliste gagna définitivement sa cause en septembre de l’année dernière. * La dépouille de Borges, éditions Timéli, Juan Gasparini ** Maria Kodama, pour des raisons non éclaircies publiquement, n’a pas encore autorisé la réédition des œuvres complètes de Borges, publiées par Gallimard dans la collection "La Pléiade", aujourd’hui épuisées.
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