Marginales 278_la rose des vents_ texte de Dulce
Alas
Como cada vez que caminábamos, el vecino de abajo salía a la escalera a gritarnos, aprendimos a volar. Descubrimos con felicidad de niños que nos habían crecido alas, así que nos desplazábamos de una pieza a la otra sin tocar el suelo, sin que resonaran los zapatos, sin que crujieran los tablones de madera. Crujían sí, inevitablemente, las puertas al abrirse o cerrarse y correr las sillas para sentarse causaba sin duda algún sonido que repercutía abajo. Pero como el vuelo había eliminado la fuente mayor de producción de ruido, creímos de buena fe que había concluido el tiempo de la represión y las quejas.
Una mañana, sin embargo, cuando nos sentábamos a desayunar, surgió, como de lo más profundo del infierno, la voz del vecino conminándonos a callar. Temblaron nuestros cuerpos alados ante la intempestiva intervención que, como siempre, nos amenazaba desde abajo sin atreverse a subir. No entendimos, sólo permanecimos inmóviles el tiempo que duró el miedo y luego seguimos desayunando. Cuando nos levantamos a lavar los platos, resonó otra vez el del infierno. ¿Las sillas? Al día siguiente logramos que levitaran todos los muebles, de modo que no se produjera el más mínimo roce entre las patas y el piso. Éramos un fenómeno en realidad, ya que vivíamos desafiando la ley de la gravedad. Comíamos, dormíamos, nos duchábamos y hasta mirábamos televisión flotando y, como les habíamos aceitado las bisagras, ni siquiera las puertas sonaban. Casi aire éramos, de tan livianos. A veces, para no incomodar, hasta salíamos por las ventanas en vez de por la puerta de calle. Estábamos satisfechos de nuestra capacidad de adaptación y de la solución que habíamos hallado para el problema de convivencia. Creíamos de buena fe que el vecino también estaba satisfecho.
¡Inocentes! Una tarde, cuando volvíamos, nos esperaba en la puerta cuchillo en mano amenazándonos con cortarnos las alas pues el susurro que hacían al volar le impedía dormir y hasta pensar.
Ahí mismo nos fuimos, levantamos vuelo, arriba arriba, por encima de los techos y los árboles y ya nunca más bajamos. Vivimos como ángeles. Si supiera, el vecino se moriría de envidia.
Les ailes
Comme chaque fois que nous nous déplacions, le voisin du dessous sortait sur le palier et nous criait dessus dans la cage d’escalier, nous décidâmes d’apprendre à voler.
Nous découvrîmes avec un ravissement enfantin que des ailes nous avaient poussé et que nous pouvions nous déplacer d’une pièce à l’autre sans toucher le sol, sans que résonnent nos chaussures ni que crisse le plancher. Mais, inévitablement les portes grinçaient lorsqu’on les ouvrait ou fermait. Les chaises, lorsqu’on s’asseyait, produisaient un peu de bruit qui devait s’entendre à l’étage du dessous. Toutefois notre déplacement aérien avait éliminé la source principale de bruit et nous pensions de bonne foi que l’époque des récriminations et des plaintes était dorénavant révolue.
Un matin, alors que nous nous asseyions pour prendre le petit déjeuner, surgit, comme des profondeurs de l’enfer, la voix du voisin qui nous enjoignait de nous taire. Nos corps ailés se mirent à trembler devant la brusque intrusion qui, comme d’habitude, nous menaçait de l’étage au-dessous sans oser grimper jusqu’à nous. Nous nous figeâmes jusqu’à ce que notre peur s’estompe avant de reprendre notre petit déjeuner. Quand nous nous levâmes de table pour faire la vaisselle, la voix de l’enfer retentit à nouveau. Les chaises ? Le lendemain nous parvînmes à faire léviter tous les meubles, de sorte qu’ils ne produisent plus le moindre bruissement entre les pieds et le plancher. Nous devenions un vrai phénomène vivant en dépit des lois de la gravitation. Nous mangions, nous dormions, nous prenions notre douche, et même nous regardions la télévision en flottant dans l’espace. Comme nous avions huilé les charnières, même les portes ne grinçaient plus. Nous étions devenus quasi aériens. Parfois, pour ne pas déranger, il nous arrivait même de sortir par la fenêtre de l’étage plutôt que par la porte du rez de chaussée. Nous étions satisfaits de notre capacité d’adaptation et de la solution que nous avions trouvée pour résoudre les conflits de voisinage. De bonne foi, nous pensions que le voisin était satisfait lui aussi. Naïfs que nous étions ! Un après-midi, alors que nous rentrions, il nous attendait, un couteau à la main et nous menaçait de nous couper les ailes dont le bruissement, lorsque nous volions, l’empêchait de dormir et même de penser.
A ce moment là, nous décidâmes de prendre notre envol, d’aller là-haut au dessus des toits et des arbres et de ne plus jamais redescendre.
Nous vivons à présent comme des anges.
S’il venait à l’apprendre, le voisin en mourrait de jalousie.
Traduction : Edmond Morrel
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