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à propos de "Une ombre en vadrouille"

Par larouge • Soriano Osvaldo • Mercredi 22/07/2009 • 0 commentaires  • Lu 1167 fois • Version imprimable

LITTERATURES
Ombres en vadrouille
Article paru dans l'édition du 10.12.99

Rêve et réalité, burlesque et désespoir : le premier roman de l'Argentin Osvaldo Soriano

Osvaldo Soriano (1943-1997) aurait dû rester footballeur professionnel, dans son Argentine natale, mais la littérature, Stendhal, Chandler et Borges surtout, l'a convaincu de forcer le destin. De tels passages en force restent rarement impunis : condamné à errer comme une « ombre en vadrouille » (1), il deviendra employé de ciné-club, journaliste, écrivain, exilé, Français, résistant, de nouveau Argentin et exilé pour toujours.

Je ne vous dis pas adieu, son premier roman écrit en 1972, est dédié à Chandler et Laurel et Hardy. Plus que cela, Laurel partage la vedette avec Marlowe. Deux stars, vacillantes puisqu'elles ne sont ici que l'ombre d'elles-mêmes, dont la relation naît envenimée par la peur de la mort. L'acteur, vieux et orphelin de son compère Hardy, s'adresse au détective pour lui confier une drôle d'enquête : pourquoi ne lui propose-t-on plus de rôles ? Il n'y aura pas de réponse, juste quelques allusions à la chasse aux sorcières et cette remarque rapportée par Laurel : « Une fois, Buster Keaton m'a dit que nous avions commis une erreur parce que tous nos scénarios étaient fondés sur la destruction de la propriété privée et l'attaque de la police. Il prétendait que les gens en riaient, mais qu'au fond ils nous détestaient. »

Pas de réponse, pas plus d'intrigue, mais des rebondissements. Comme la rencontre décisive entre Marlowe et un jeune Argentin, journaliste, ancien footballeur, sans un rond, parlant cinq mots et demi d'anglais, la tête pleine d'un roman sur Laurel et Hardy : Osvaldo Soriano. Le transfert est immédiat, les personnalités et les comportements de ces victimes consentantes du hasard se glissant dans ceux des deux comiques. Les scènes burlesques et hilarantes se succèdent jusqu'à l'ivresse. Les gueules de bois seront terribles, entre dérouillées, déceptions et impuissance, mais intense la complicité.

Il fallait bien un Argentin pour confondre les plans du rêve et de la réalité. Avec un acharnement d'autant plus fort qu'il est bien clair que tout cela n'est que lubie. Une volonté tellement puissante qu'il faudrait bien peu de chose pour voguer sur les courants dominants. Mais pour quoi faire ? Devenir comme Chaplin, « toujours mal dans les films, trop bien dans la vie », ou John Wayne, une grande brute qui ne parle que le langage des coups ? Participer au triomphe de l'intérêt et de la force ? Pas question. Plutôt crever, et plutôt debout. Avec cette fierté, chaulée au désespoir, de n'avoir pas lâché sa propre dignité d'une semelle et d'avoir découvert la solidarité.

JEAN-LOUIS ARAGON


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