Quelques années après sa parution, Freud, le siècle de la psychanalyse est, d'ores et déjà, un ouvrage indispensable. Le nouveau livre d'Emilio Rodrigué devrait susciter le même intérêt... une bonne partie de son ouvrage est consacrée à l'homme lui-même. M. Rodrigué le fait avec une franchise étonnante : lucide et loquace, tout en confessant qu'il ne saurait tout dire, sans complaisance, ni narcissisme, ni haine de soi. Argentin, le jeune Emilio appartenait à une famille de la grande bourgeoisie. Il aimait ses parents, ses frères et soeurs. Sa mère fut la première des nombreuses femmes qu'il vénéra. Après de bonnes études, il s'intéressa à la psychanalyse, qui était déjà solidement implantée dans son pays... Ce livre, Emilio le dédie à lui-même, «créatif, courageux, un peu hystérique». C'est bien ainsi qu'il se montre, ni avocat, ni procureur. Il use de son savoir psychanalytique avec une aisance voire une désinvolture remarquable, tout le contraire de ces bigots qui sont légion dans la profession. S'il admire Lacan, il nourrit peu de sympathie pour les lacaniens. Le grand âge est arrivé. La peur de la mort, qui l'a toujours hanté, est plus lancinante que jamais. Il n'en conserve pas moins le goût de la vie. «Il est curieux, écrit-il, que Freud n'ait jamais abordé le thème de la vieillesse d'un point de vue psychanalytique. Il n'a émis que des lieux communs et des plaintes.» Il a seulement dit : «Peut-être mourons-nous parce que nous désirons mourir.» Rodrigué n'est pas d'accord. «Ce qui est évident, c'est que le Vieux reste un continent à explorer, plus vierge encore que la Femme... La mort est la compagne sexuelle du Vieux, sa muse érotique. Dans la vieillesse, avec ou sans Viagra, fleurit une exubérante sexualité riche en énigmes et labyrinthes qui ferait rougir les demoiselles.»...
Claude Jannoud - Le Figaro du 3 février 2005
Il a osé : «Je dédie ce livre à Emilio Rodrigué, psychanalyste argentin créatif, courageux et un brin hystérique.» Narcissisme ? Humour ? Autodérision ? Qui est donc ce «je» qui s'exprime avec autorité sur la page de garde ? La face cachée d'Emilio Rodrigué ? Son inconscient, son diable intime ? La première «séparation nécessaire» (la première «castration» au sens freudien du terme) serait-elle donc entre soi et soi ? Ce n'est pas tous les jours qu'un psychanalyste dévoile le pot aux roses. S'aimer soi-même, c'est le principal. Mais pour cela il faut bien, n'est-ce pas, que «je» soit un autre. On le voit dès la première ligne, le turbulent biographe de Freud se révèle un écrivain foisonnant, plein d'humour et de bonté, mais avant tout et «jusqu'au bout des ongles» un authentique psychanalyste, un mordu de l'inconscient... Dans le milieu fermé de la psychanalyse, Rodrigué fait figure de vedette, mais à vrai dire il s'en fiche ; ce qui le fait courir, ce sont les femmes. «Philosopher sur l'amour», voilà sa spécialité. «Je suis partisan des ruptures brutales», avoue-t-il. Les muses de Rodrigué s'appellent Noune, Martha, Beatriz ou Graça, et c'est en suivant ces étoiles filantes, moitié coeur brisé, moitié séducteur impénitent, que Rodrigué s'invente un destin aléatoire. Avec elles, il court sur la plage et célèbre des noces mystiques...
Catherine David - Le Nouvel Observateur du 17 février 2005
... L'essor stupéfiant de la psychanalyse argentine date des sombres années 1940. Il est lié aux fantasmes d'un trio d'émigrés qui voulurent sauver le legs freudien de la barbarie nazie. Il y a eu Enrique Pichon-Rivière, suisse et fou de Lautréamont, Arnaldo Rascovsky, intellectuel juif qui fit entrer Freud à l'Université, et Marie Langer, la tenace pasionaria qui rêvait de faire de Buenos Aires la Vienne latino-américaine. Emilio Rodrigué est leur fils spirituel... Météorite communiste mais péroniste durable, il prend en main, dans les années 1960, les rênes de l'Association psychanalytique argentine (APA). Il multiplie les thérapies de groupe, ateliers corporels et autres psychothérapies et prend ses aises avec une technique plus traditionnelle. La fondation du groupe Plataforma est le grand moment : trente-quatre jeunes gens ruent dans les brancards ; une psychanalyse ouverte prise dans le tourbillon de Mai 68. En 1972, c'est la chape de plomb de la dictature militaire. La peur et l'exil. Les «psychoargonautes» argentins - l'expression est belle - se dispersent aux quatre vents. Pour Rodrigué, cap sur Madrid, Paris, Bahia et sa plage blonde, Ondina : course, beach ball et petits pétards... Emilio Rodrigué, qui se qualifie lui-même de «vieux capitaine de divan», n'est pas un homme austère. Il est l'auteur d'une remarquable biographie de Freud (Freud, le siècle de psychanalyse, Payot), et, avec l'âge, tend vers un hédonisme intégral, le fil rouge de ses Mémoires...
Alain Rubens - Lire de mars 2005
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