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à propos de "Papiers de Nouveauvenu et continuation du rien "

Par larouge • Fernandez Macedonio • Jeudi 25/06/2009 • 0 commentaires  • Lu 1228 fois • Version imprimable

Le 10 Avril 1992
Le maître de Borges
Qui est-il, au vrai, Macedonio Fernandez, cet Argentin disparu il y a une quarantaine d'années, et que Borges, non sans quelque raison, appelait son maître, le désignant comme l'homme le plus extraordinaire qu'il eût jamais connu ?Pour s'en faire une idée, il faudrait d'emblée citer le début de son " Autobiographie ", laquelle fait partie du présent ouvrage et ne compte pas plus de trente lignes : " L'univers ou la Réalité et moi naquîmes le 1 juin 1874, et il est facile d'ajouter que les deux nais sances se produisirent près d'ici et dans une ville de Buenos-Aires. Il y a un monde pour chaque naître, et le pas naître n'a rien de personnel, mais signifie tout simplement que le monde n'est pas. Naître sans le trouver n'est pas possible : on n'a jamais vu un moi se retrouver sans monde à la naissance, ce qui m'induit à croire que c'est nous-mêmes qui apportons la Réalité qui s'y trouve, et qu'il n'en resterait rien si effectivement nous mourions, comme certains craignent. "Des faits plus concrets ? Macedonio fit des études de droit et, son doctorat obtenu, il n'exerça sa profession de juriste que pendant quelques années. Il s'est marié très jeune, sa femme lui donnant quatre enfants : devenu veuf, en 1920, il les confia à sa famille. Ne disposant que de notions d'anglais, il entretint cependant une correspondance assez nourrie avec William James _ l'une de ses marottes étant, à l'époque, la possibilité de dévoiler, dans les labyrinthes de la matière, le " substrat atomique du Moi ". Enfin, il vécut presque toute sa vie dans de modestes pensions, soit dans la capitale, soit en province, en la seule compagnie de sa guitare et de quelques cahiers que, une fois remplis de ses méditations, il s'empressait d'abandonner derrière lui lorsqu'il changeait de domicile, puisqu'il soutenait _ Borges le lui entendit dire _ que supposer que l'on peut perdre quelque chose est de l'orgueil, l'esprit humain étant si pauvre qu'il est condamné à trouver, perdre et redécouvrir toujours les mêmes perplexités et les mêmes métaphores. Or, en dépit de ce réel détachement à l'égard de sa littérature _ qui touche aussi bien à l'essai qu'à la poésie et au roman ou, plutôt, et avant la lettre, à l'anti-roman, _ son oeuvre complète, dont la publication ne commença que plus de vingt ans après sa mort, compte une dizaine de volumes.A leur sujet, il convient tout de suite d'observer que pas un des titres qui les composent ne saurait donner en lui-même une idée exacte du génie de Macedonio _ peut-être parce que Dieu lui avait donné tout juste du génie, négligeant de lui accorder du talent et l'ambition de faire une oeuvre.Ainsi, et bien que depuis fort longtemps des universitaires européens et américains se penchent sur son " cas ", l'étonnant Argentin n'était traduit que de façon très fragmentaire _ en français, en anglais, en allemand, en italien, en polonais... _ avant que Silvia Baron Supervielle ne propose, hier, les poèmes d'Elena Bellemort et autres textes (José Corti, 1990), et, aujourd'hui, ces Papiers de Nouveauvenu. Et, soit dit par parenthèse, on ne saurait assez vanter le labeur intrépide de la traductrice, si l'on songe à la véritable guerre que, par moments, se livrent le français et la langue de Macedonio, lequel passa sa vie à se méfier des vérités acquises : à imaginer l'envers du monde tel que le langage l'a forgé.Cela le poussait à abonder en paradoxes _ ce rire de la pensée, cette écume au sommet de la vague de la philosophie. De sorte que si l'on essaye d'isoler, dans ses pages scrupuleusement illogiques, des assertions, celles-ci paraissent se réduire à de simples plaisanteries. Et pourtant, on n'est pas loin des jeux de mots _ des " nonsense " si chargés de sens _ d'un Lewis Carroll quand, par exemple, à propos d'une salle de conférences désertée par le public, Macedonio insinue que s'il y avait eu encore un absent, il n'aurait pas trouvé de place. Ou, dans le cas contraire, que l'assistance était si grande que même les non-présents s'y trouvaient.Aussi, lorsque, en parlant d'un ami de très haute taille, il le décrit " si grand que sa tête pourrait buter contre son chapeau ", ajoutant qu'" il atteint le sol avec les pieds ", et que c'est là que commencent leur amitié et la possibilité de se comprendre.Il détestait les monuments publics parce que, dit-il, ils représentent presque toujours " des hommes portant un pardessus grec ou une ample lévite en marbre ", tout en soutenant que chaque ville se doit de posséder une statue en l'honneur de l'inventeur du côté droit et du côté gauche, de ceux de l'avers et du revers, " distinction à laquelle seuls les trous se dérobent ". N'oublions pas qu'il conseillait de ne rien entreprendre aujourd'hui, " car l'avenir est plein de choses prêtes, tellement préférables, et doit d'ores et déjà se trouver très proche, après tant de Passé "...Mais, sur un mode plus grave, Macedonio observe que toute situation ressentie, " pour insignifiante en durée ou en intensité qu'elle soit, représente la totalité de l'interrogation de la métaphysique ". Ce qui n'est pas sans rappeler Wilde, selon lequel, à chaque instant de sa vie, chaque homme est tout ce qu'il a été et tout ce qu'il sera.Enfin, au sujet d'une personne inconnue dont il feignait de rédiger l'impossible biographie, Macedonio disait que, de savoir qu'il fût possible d'ignorer autre chose d'elle, il ne consentirait pas à ce qu'on le dépasse dans l'ignorance qu'il avait patiemment accumulée à son sujet, ni dans la promptitude à la diffuser...C'est ce sentiment d'ignorance, mais, en l'occurrence, involontaire et sans allégresse, que le chroniqueur partage, ici, alors qu'il aurait tant souhaité donner un aperçu de l'oeuvre de Macedonio Fernandez, susceptible d'entraîner le lecteur à la découverte d'un écrivain entre tous rare, entre tous solitaire : d'un Grec arrivé trop tard en ce monde _ les astres ayant parfois de ces distractions, _ qui aurait manqué d'interlocuteurs pour empêcher la dispersion de ses soliloques.D'un homme qui, seul avec lui-même, et tout en répugnant de se sentir quelqu'un, un monsieur muni de papiers d'identité, ne tenait qu'à être " soi ". Et qui, comme Monsieur Teste _ mais légèrement plus réel que ce personnage fait de mots, et avec une sorte de bonheur négligent, _ s'obstinait, en jouant de la guitare, dans les longues tenues sur les cordes, à répéter, à marteler les quelques questions qui auront toujours hanté l'esprit des poètes, des philosophes : la réalité, l'être et le non-être, le langage, l'origine des sentiments, le sens de la souffrance dans l'économie du monde... Sans attendre la récompense d'une réponse : pour le plaisir socratique de penser.
BIANCIOTTI HECTOR

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