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à propos de "Musée du roman de l'éternelle"

Par larouge • Fernandez Macedonio • Mercredi 24/06/2009 • 0 commentaires  • Lu 1247 fois • Version imprimable

Le 22 Octobre 1993
Macedonio Fernandez et l'ombre des choses
Excepté quelques petits fragments _ qui suffisaient déjà à donner le " la ", la teinte, la couleur de son inspiration _ publiés au cours des années 60 dans la revue les Lettres nouvelles, ce n'est que quarante années après sa mort, survenue en 1952 _ alors qu'il était quasiment octogénaire _, que l'Argentin Macedonio Fernandez a commencé d'être traduit en français. Comment s'en étonner ? De son vivant, ce n'est que poussé par des amis qu'il avait fait paraître quatre minces volumes d'une oeuvre dont la publication s'achève maintenant, et qui en comptera onze.Macedonio est né en 1874, à Buenos-Aires, " la première ville qui sort immédiatement de la campagne " _ de ces pampas inépuisables où, disait-il, il ne fallait pas se croire à l'abri si l'on se trouvait derrière une haie : d'un côté ou de l'autre de celle-ci, on se trouvait également dehors. Des gauchos y passaient-ils de temps en temps ? Ce n'était que pour l'amusement des chevaux.Pour Borges qui, sa vie durant, l'appellera le maître _ ce qui tend à démentir la fatale supériorité de celui-ci sur le disciple _, Macedonio était une sorte d'Adam qui aurait pensé, et résolu, au paradis, les problèmes fondamentaux : il était difficile d'être historien et, encore plus, archéologue ou théologien au septième jour de la Création.Toujours selon Borges, Macedonio était passé maître dans l'art de ne rien faire et de rester solitaire, ne vivant que pour penser ; écrivant pour mieux le faire, mais n'emportant jamais les manuscrits lorsqu'il changeait d'appartement ou, le plus souvent, de pension. Ecrire n'était, pour lui, que formuler d'une façon nouvelle ce qui avait déjà été dit : on finissait toujours par découvrir que les seules énigmes étaient la souffrance et la mort, et qu'être un redécouvreur n'avait d'importance que pour soi-même. Il ne croyait pas à la superstition de l'originalité, qui afflige nos contemporains, et le principe du copyright lui paraissait saugrenu.Aussi les angoisses du style lui semblaient-elles vanité, et toute publication consentie, un accident préjudiciable à la réflexion. Insouciant de lui-même, il aurait voulu n'être personne, comme Ulysse, mais, dans son cas, pour essayer de dévoiler, en marge de l'univers, le mystère de celui-ci en toute objectivité. Il en rêvait comme du fruit suprême de sa solitude : " Qu'importe ce que je suis, moi ? Contentons-nous de ce que toute beauté soit en elle. "Au fond, le but de Macedonio était l'identification de la réalité avec l'expérience la plus intime de la conscience. Cela dit, tout convaincu qu'il fût que la sensibilité ne renseigne que sur elle-même, et que si l'on croit que l'émotion renseigne sur ce qui la provoque on n'est pas un artiste, mais un métaphysicien, il ne put s'empêcher d'être et l'un et l'autre _ même si la seule chose qui lui tînt vraiment à coeur ne consista en rien d'autre que dans l'art et l'amour.Il n'est pas interdit de penser à Valéry (à qui, physiquement, il ressemblait, et qu'il considérait comme un " jongleur de scrupules ") _ Valéry qui disait : " Il me manque un Allemand qui achèverait mes idées. " La mort avant la véritéComme tout un chacun _ et comme on l'a déjà dit _ il se heurtait à deux faits têtus, inéluctables : la souffrance et la mort. Aussi, convaincu dans son for intérieur " que l'on trouve toujours la mort avant la vérité ", rêvait-il d'être " l'Artiste " _ lequel " se soucie même de l'ombre des choses pour que le jour ne les abîme pas " _ et de " vivre dans une " semi-clarté ", une " semi-action ", à " mi-veille ", sans reconnaître tout à fait les événements et les états, car, en dehors de la passion, la probabilité dominante est la souffrance ". Ce qui, au fond, le fascinait dans l'art, c'est que la finalité de celui-ci " est la fin de la vie : de l'individuel en elle. (...) Etre encore un autre en faisant tout pour un autre ".Ce Musée du roman de l'éternelle _ que l'on saurait difficilement apprécier si l'on n'a pas lu les Papiers de nouveauvenu suivi de Continuation du rien (1) _, Macedonio commença à le rédiger vers sa trentième année, le reprenant vingt ans plus tard, et encore une fois _ ce fut son work in progress _, un an avant sa mort. Composé, pour le principal, de préfaces, on ne peut assurer qu'il l'eût considéré achevé puisque, à la fin, lorsque la vie s'apprêtait à souffler les bougies, il mélangea les feuillets _ que son fils, Adolfo de Obieta aura mis près de vingt ans à ordonner. (A cet égard, il y a du Pascal dans son désordre.) Il aurait sans doute déplu à Macedonio d'apprendre que, ce faisant, il courait le risque d'être, un jour, rangé dans quelque secte d'épigones du nouveau roman...Or, le Musée, ce fut le seul livre envers lequel il éprouva de l'attachement, car, en dépit de ses innombrables déménagements de pensions en garnis, la masse de feuillets retrouvés l'accompagna toujours, avec son rasoir intermittent, son poncho, et cette guitare amie sur laquelle il jouait, de sa main lente, des morceaux de son invention pour tenir compagnie à ses pensées. Schopenhauer, dit-on, jouait chaque jour toutes les partitions de Rossini connues à l'époque, dans leur version pour flûte, mais, lui, pour oublier sa philosophie...Et c'est ainsi que l'artiste philosophe, qui aimait à cultiver le paradoxe _ cette manière du rire qui renverse à la fin tant de sévères cogitations _ autant qu'à fournir un sens aux non-sens, nous a laissé cet ouvrage qui résume sa vie de " chevalier-non-existant ", tel qu'il s'était voulu. Fiction, journal intime ou, plutôt, " ex-time ", " ricercare " méditatif et raisonneur, livre d'heures, théorie de la littérature _ et en particulier du roman : " Des personnages que j'ai écartés, on pourrait dresser une longue liste ; en matière de lecteurs, j'écarte une seule catégorie : le lecteur de dénouements ; le procédé qui consiste à livrer tout le contenu en pure substance, et la fin par anticipation, me garantira de ne plus le voir rôder dans les parages. "Or, dans son chaos magnifique, ce Musée _ considéré comme impossible à traduire et dont la réinvention en français, par Jean-Claude Masson, ne fait pas regretter l'original _ est, par dessus-tout, un ouvrage amical : l'un de ces livres qu'il suffit d'ouvrir à n'importe quelle page pour y puiser du réconfort, sourire, s'étonner, rire par instants aux éclats, être saisi par quelque sentence à la saveur antique, et qui trouvera sans peine le chemin de notre mémoire pour s'y nicher durablement ; ou par ces mots que le coeur a souvent du mal à trouver, et dont la justesse saura atténuer, sinon guérir, notre chagrin (ne serait-ce pas là l'ambition secrète de toute littérature ?). Telle cette ligne dont le traducteur-poète embellit l'agencement : " Il n'est point de beauté qui ne procède de la mort, ni mort qui d'amour ne procède. "On peut supposer que, sur ces mots, ce don de l'Esprit, Macedonio plaquait quelques accords mélancoliques lorsqu'il prenait sa guitare. Nous croyons, en tout cas, les entendre.
BIANCIOTTI HECTOR
source: www.alapage.com

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