Recueil de huit nouvelles intéressantes et sans fil conducteur apparent, un peu ‘sans queue ni tête’. Ecrites entre 1979 et 2002, elles surprennent ou provoquent, avec une grande liberté de ton et de conception. Quoique un peu inégales, elles ne peuvent laisser indifférent.
On sent dans cette plume le plaisir d’écrire et amuser, de surprendre avec un humour froid et corrosif, assez ‘british’ comme le sont parfois les Argentins d’ascendance britannique, et même de choquer en jouant avec les genres littéraires et sexuels. Fogwill est maître dans l’art de tromper son lecteur, sans recourir au mensonge, mais en tirant parti de la propension humaine à se duper et dont il brocarde au passage l’incapacité à s’en départir. Et il use de nombreux et déroutants stratagèmes : dans Mémoire de Passage par exemple, l’incipit dit « par la suite, nous entendîmes parler (p.7) », donnant l’impression que le récit a déjà commencé et que la narration est prise en cours.Il recourt aussi à l’intertextualité interne au recueil : « première déception du lecteur : dans ce récit je suis un homme (p.27) », à l’intertextualité externe renvoyant à d’autres auteurs ( dont l’incontournable Borges en Argentine ) et à un ‘faux rythme narratif’ qui peut donner le sentiment que tout est écrit d’avance, impression renforcée par l ‘écriture fragmentaire qui imposent ses résonances ou répétitions… Cela, avant qu’une surprise ne chamboule la perspective qu’à le lecteur sur le récit et le narrateur ( qui peut devenir narratrice), les personnages rencontrés n’étant pas toujours ceux qu’ils disent être…Les 8 Nouvelles 1. Mémoire de passage est un texte ambitieux et réussi : une femme d’origine argentine parcourt le monde et les domaines de la connaissance, le fil de ses pérégrinations semblant infini. Elle change de sexe suite à une mutation naturelle…2. Muchacha Punk, la seconde nouvelle qui donne son au titre du recueil, est écrite à la première personne comme la majorité du recueil, mais c’est néanmoins la seule qu’on puisse qualifier d’autobiographique. Elle narre la rencontre à Londres d’un Argentin et d’une jeune Punk, l’occasion pour l’auteur de gifler ses propres préjugés tout en jouant avec ceux du lecteur. Avec de fines touches d’humour noir, il porte un regard sociologique sur la dégradation de la jeunesse et des hautes classes européennes, à travers l’exemple de punkettes qui sous le masque de la rébellion cachent des vies banales et sans intérêt.3-4-5. Libération de femmes et Les passagers du train de nuit sont plus marquées par le passé récent de l’Argentine, la résistance face à la dictature militaire et le traumatisme du retour des soldats après la guerre. Dans Help a él, jeu de mot anagrammatique tiré du titre L’Aleph de Borges, le fantastique est détourné en une variation pornographique fécale ultra-violente. Choc garanti.6. Le long rire de toutes ces années, l’autre réussite du recueil, vaut à lui seul le détour car représentatif des thématiques de l’auteur et de ses procédés narratifs pour dynamiter les préjugés du lecteur et contourner avec ironie les canons de la nouvelle comme genre littéraire, cuentos en espagnol ? Là encore, l’effet de surprise est là où on l’attend le moins.7. Plus poétique et onirique, Chants de matelots dans les pampas ne convainc qu’à moitié, pêchant par sa longueur et l’impression de répétition engendrée par l’organisation en fragments, caractéristique du recueil. Publié en 1998, notons qu’à l’origine ce récit n’appartenait pas au recueil Muchacha Punk, publié en 1995.8. Enfin, Cristallin est un petit bijou qui aborde originalement le thème de la création artistique, saisissant avec intensité la condition du peintre castré par le monde moderne et le règne de la photographie.
Xavier Charreton
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