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à propos de "Marelle"

Par larouge • Cortazar Julio • Jeudi 02/07/2009 • 0 commentaires  • Lu 716 fois • Version imprimable

Je n'oublierai jamais que, lorsque je suis venu à Paris en 1951, je gagnais ma vie comme speaker des Actualités Françaises, en espagnol j'entends, jusqu'au jour où une lettre des partenaires mexicains est arrivée disant que si on ne mettait pas immédiatement ce speaker à la porte, ils abandonnaient les Actualités, c'est ainsi que j'ai perdu ma première source de revenus de l'époque qui était vitale… "Julio Cortázar
C'était une après-midi parisienne quelconque. C'était du moins une après-midi semblable à bien d'autres, de celles que l'on trouve dans un roman dont le titre n'était pas Mandala, bien que cela n'ait aucun rapport ni avec Paris, ni avec Buenos Aires, ni même avec le Club du Serpent. Par cette après-midi pluvieuse, dans un lointain chapitre 22 de Marelle, un homme est renversé par une automobile. Curieusement cet homme est écrivain. Nous ne connaissons pas les raisons d'un événement si commun, mais on peut ajouter que mystérieusement l'un des spectateurs est latino-américain, un certain Oliveira. Sur l'accidenté, nous savons seulement qu'il était perplexe après sa rencontre avec le pare-chocs et que dans son appartement il ne possédait que des livres et un chat. Au moment des faits, l'un des témoins osa dire sur un ton emphatique : " cela devait arriver, les écrivains sont si distraits ! ", tandis qu'il faisait un geste de profond désintérêt… nous avons comme l'impression que ce témoin était français.
Oliveira, qui aimait participer aux événements les plus quotidiens et absurdes du Paris de son temps, s'est assuré qu'il n'était rien arrivé à cet homme, qui prononça quelques phrases désordonnées avant de s'en aller en marchant vers une destination inconnue. Peut-être que l'accident, le regard du vieil écrivain, le froid et la tombée du jour ont incité Oliveira à réfléchir sur lui-même, à penser à l'autre, et finalement, à l'inquiétante question sur la " maîtrise " de soi. Tout ceci conjugué à un doute ontologique qui nous paraît inaccessible, posé à partir d'un lieu que nous pourrions définir comme sien (quelque chose de l'ordre de la relation entre le monde du roman et son personnage principal) : comment accéder à ce qu'est l'autre, à l'autre, à la véritable altérité ? Oliveira pensa à cette autre main, une main "venant de l'extérieur, de l'autre " qui donnerait une réponse à la main tendue (sûrement la sienne) en attendant quelque chose.
Comme nous le savons tous, ce n'est pas le chapitre 23 qui succède au chapitre 22, mais le 62. Ce genre de choses, anormales en apparence, arrive dans ce livre dont le titre n'est pas non plus Almanach (sachant que, d'un point de vue purement technique, cela aurait pu l'être). Il se passait quelque avec ce chapitre 62, il y avait un délire de grandeur fantastiquement développé, à tel point que ses prétentions excessives l'amenèrent à devenir un livre au fur et à mesure des années. De plus, ce chapitre avait une certaine tendance scientifique. Tendance, soit dit en passant, assez amateur1 dont les raisonnements étaient très fragiles, du point de vue épistémologique. Ce que je ne peux pas nier au chapitre 62 c'est sa prémonition sur la tendance scientifique que la littérature a eue plus tard, quelque chose qui, à l'époque, n'était pas très bien vu ; de nos jours, cette tendance s'est affirmée avec une recherche d'originalité peu claire. En définitive, le chapitre 62 reproduit un certain nombre de notes dispersées d'un projet de livre de Morelli. Le livre verra le jour (expression utilisée par certains tandis que d'autres le disent d'une manière plus claire mais moins suggestive) en 1968 sous la signature de ce Julio Cortázar, avec le titre 62. Maquette à monter. A mon avis, on trouve dans cette œuvre une série de projections et d'idées à peine esquissées dans Marelle.
La ville de Cortázar, la ville de ses romans, ressemble à ce lieu pensé par les " tartares " de 62. Cet espace unique dans la construction de la fiction aurait quelque chose à voir avec l'esprit des personnages du roman : " … nous étions tous d'accord pour dire que chaque lieu et chaque chose pouvaient avoir un lien avec la ville, et ainsi pour Juan, il ne paraissait pas impossible que, d'une certaine manière, ce qui venait de lui arriver faisait partie intégrante de la ville, l'une de ses irruptions ou de ses galeries d'accès s'ouvrant cette nuit-là à Paris comme s'il avait pu s'ouvrir dans n'importe quelle ville dans laquelle il exerçait la profession d'interprète. Nous étions tous venus dans cette ville, toujours sans le vouloir, et au retour nous en parlions, nous comparions les rues et les plages en nous retrouvant au Cluny. La ville pouvait être Paris, on pouvait y trouver Tell ou Calac dans une brasserie d'Oslo, l'un d'entre nous avait eu l'idée de passer de la ville à un lit à Barcelone, à moins que cela ne soit le contraire. La ville ne s'expliquait pas, elle était ". Il vaudrait mieux être plus explicite ; on pourrait dire de manière trompeuse que Paris est un " protagoniste " ou un lieu privilégié de Marelle, 62 et d'une multitude de contes et articles de Cortázar, jusqu'à être le point de départ de la traversée singulière du livre Les Autonautes de la cosmoroute. Mais il vaut mieux ne pas se laisser duper. Ou au moins il faut se laisser duper tout en étant conscient de l'être. Les œuvres de Cortázar ne nous parlent pas de Paris, du moins de ce lieu si connu à travers les guides touristiques ou les cartes géographiques, mais d'un autre Paris.
Dans ce Paris, celui de Cortázar, vivent Osvaldo " l'escargot " et Tell, ainsi que Calac, Polanco et Hélène avec cette poupée prête à se transformer au cours de 62. Dans ce Paris, la Maga passe son temps, sans le savoir et sans se poser de question, à rencontrer Oliveira qui vient parler un peu de métaphysique et de jazz avec Ronald et Etienne. C'est un Paris de toujours, de discussions intéressantes, sans limite, sans les obstacles subtils de la normalité. C'est pourquoi, quand Cortázar se rendait compte qu'un Paris commençait à trop ressembler à l'autre, il prenait le train à Buenos Aires pour aller voir la Talita ou Traveler ou plus simplement, il éliminait ces pages de la version définitive. C'est ainsi que le texte qui suit, si évident et si n'a pas pu faire rebondir le " Livre de bord " de Marelle à la fin du roman : " Paris était à cette époque sans cesse recto, verso, à l'envers, en deçà, au-delà. Tous les mots avec " trans " et tous les sens de la rencontre. (...) Inutile de regarder des images, de se mettre en transe, de s'exciter ; la chose venait naturellement comme les envies de pisser ou de dormir. "
Ceci était l'autre Paris, celui de 1950, année du premier voyage de Cortázar en France où commencent une suite incroyable de coïncidences. Cette année-là, peu avant son arrivée, il rencontre sur le bateau la femme qui, dans Marelle, est la Maga. Son nom est Edith, elle était allemande de parents juifs. La coïncidence est propice à un échange de regards, un cumul de suppositions et peut-être une première tentative de rêverie. Cortázar revient vivre à Paris en 1951, cette même ville où, par hasard, il retrouve Edith dans une librairie du boulevard Saint-Germain. Après une courte conversation ils se quittent sans se donner rendez-vous. Mais l'ensemble de coïncidences et de jeux de hasard ne faisait que commencer : un peu plus tard, toujours par hasard, Edith et Julio se rencontre dans la file d'attente pour entrer au cinéma. Le film est La passion de Jeanne d'Arc de Carl Dreyer. Cela ne doit pas nous surprendre, si l'on tient compte des principes du monde de Cortázar, qui au cours du film rencontre un certain Antonin Artaud. A la sortie, Julio et Edith discutent un peu et se quittent une fois de plus. L'histoire raconte que, quelques jours plus tard, ils se retrouvent au Jardin du Luxembourg, et entament une grande conversation en se racontant leur vie. On ne connaît pas les détails de la conversation de ce jour-là même si on suppose qu'ils se sont mis d'accord pour ne pas se donner rendez-vous et de s'en remettre au hasard pour se rencontrer à nouveau. C'est en tout cas ainsi que cela s'est passé dans l'autre Paris, entre Oliveira et la Maga.
C'est étrange parce que cet autre Paris, celui de Juan et Hélène - les personnages de 62.- ressemble un peu à celui de Julio et Edith. Certaines des rues et certains lieux portent les mêmes noms : Saint-Germain, la Place Maubert, Bastille, République, la station de métro Malesherbes, parmi tant d'autres. Ce genre de coïncidences peut nous induire en erreur, parce qu'il n'est pas raisonnable d'affirmer que si un incrédule s'arrête à l'angle des rues Vaugirard et Monsieur le Prince, malgré tous les efforts et la patience possible, on n'y verra jamais aucun des " tartares " ni aucun membres du Club du Serpent.
On ne peut pas non plus oublier ce dernier voyage des " tartares ". Il n'en manque aucun, il y a Calac, Nicole, Hélène, Polanco, Juan, Tell, Austin, Silvia, Osvaldo l'escargot, mon paredro et Feuille Morte. Il n'y a personne d'autre dans le wagon et le voyage leur appartient. Il manque quelques pages pour finir le roman et le groupe se dirige vers Paris. Quel Paris ? Nous ne sommes pas sûrs. Peut-être que finalement Cortázar s'approche du Paris de Julio et Edith, peut-être que les " tartares " pourront s'approcher de cette année 68 durant laquelle le roman a été publié. Que font-ils ? Austin essaye de rendre Hélène jalouse en enlaçant Celia, - en vain soit dit en passant - parce que Hélène pense à des questions beaucoup plus transcendantes comme ce qu'elle va faire de la poupée ou ce qui se passera entre elle et Juan ; Juan demande des excuses à Tell en lui caressant les cheveux et avoue avoir couché avec une autre ; Feuille Morte crie " Bis ! Bis ! " et Nicole se remet d'un malaise certainement suspect. Soudain, pendant le trajet vers Paris, " les tartares " sont obligés de descendre à cause d'un contrôleur qui n'accepte pas la présence de Osvaldo dans le train et encore moins qu'il se batte pour trouver quelques centimètre sur l'un des sièges du wagon, avant d'entrer dans la Gare Montparnasse. Le voyage s'arrête. Et en quelques lignes, le roman se termine. Au comble du découragement, une partie du groupe appelle Marrast au téléphone pour qu'il les rejoigne, la pagaille est accentuée.
A cette histoire confuse on doit ajouter ce disent ceux qui ont pu voir le manuscrit de Marelle (conservé à la Benson Latin American Collection de l'Université du Texas, à Austin). Ces chanceux et illustres philologues affirment que dans la dernière version de Cortázar, avant la publication du livre, le chapitre 62 n'y était pas et que ce chapitre fut seulement inséré dans la version finale envoyée à la presse. Cette heureuse insertion nous rend quelque peu circonspects, au moins d'une manière secrète, et nous fait penser que quelque chose d'extraordinaire est arrivé avec la publication de Marelle. Au moins nous savons que le chapitre 23 de Marelle est la suite du roman 62. Maquette à monter. C'est ainsi que le sommaire de Marelle établit la lecture de la manière suivante " … 20-126-21-79-22-62-23-124… ".



paru dans pagina 12 le 23-12-2009:

La Maga

 Por Mario Goloboff *

De la larga nómina de mujeres míticas o literarias (quizás, con la experiencia humana transcurrida, hayan dejado de ser distintas) que pudieron impactar la sensibilidad de nuestras muchachas de las capas medias argentinas y latinoamericanas en los tiempos modernos, sólo una, vecina, contemporánea, lo hizo cabalmente. No fueron la Esther o la Débora bíblicas, ni la Circe o la Penélope homéricas, ni la Yocasta de Sófocles, ni la variada y concurrida Antígona, ni la Ofelia o la Julieta de Shakespeare, ni la rebelde Nora de Heinrik Ibsen ni, más cercanamente, las españolas y lorquianas Mariana Pineda, Bernarda Alba o la audaz novia de Bodas de sangre, ni la colombiana María; fue una uruguaya inventada por un argentino, que a la sazón andaba por París, Horacio Oliveira: la ahora célebre Maga.

Nacida por obra y arte de Rayuela (y claro está que de su inmenso creador, Julio Cortázar) como la mujer joven, la intuitiva, la ligera, la sensible, la antilogos, la poética, la que vagaba por las calles y a quien seguramente encontraríamos, sin buscarla, rondando alguno de los puentes de París (tal vez el más estético, el más artístico de todos, el Pont des Arts), en esa imbricación de ciudad luz con santamaría rioplatense que supo ser esta novela, el personaje fue convirtiéndose, por magia y gracia de la sola letra escrita, en un ideal de cierta feminidad con el que tantas mujeres se identificaron. Y a quien, por nuestra parte, los varones buscábamos o perseguíamos o soñábamos.

No por casualidad cortazariana, la Maga fue la quintaesencia de otras mujeres que recorren su obra, con rasgos de la Alina Reyes de “Lejana”, de la Delia de “Circe”, de la Laura de “Cartas de mamá”, de la Leticia de “Final del juego”, de la bella e imaginada “Silvia” de Ultimo round y, muy probablemente, el espejo femenino de “El perseguidor”, Johnny Carter-Charlie Parker, para quien el tiempo funcionaba de un modo tan personal que alguna vez declaró “esto lo estoy tocando mañana” y quien también decía que no pensaba nunca o, mejor dicho, que no pensaba como nosotros: “Estoy como parado en una esquina viendo pasar lo que pienso, pero no pienso lo que veo”.

Puramente literario (doblemente ficticio, habría que decir, ya que “Oliveira decide inventar a la Maga para dar celos a Talita”, como reza el Cuaderno de bitácora o Log-book que acompañó la redacción de Rayuela en muchos de sus fundamentales tramos) ¿qué había en el personaje de la Maga para que transformáramos, por el poder de la escritura y de la lectura, a un ser de papel en algo tan vívido y tan vivo? Acaso, por empezar, su apelativo, siempre bien elegido por Cortázar, poeta al fin, buen nombrador y buen titulador; ese nombre de resonancias mágicas, extra terrenas, ocultas, esotéricas. Y luego, sus modos, sus movimientos vagos y ligeros, casi etéreos, su estar en el mundo a contramano, a contraluz, que no fuera “en la cabeza donde tenía su centro”, que no necesitara “saber” como nosotros, que pudiera “vivir en el desorden sin que ninguna conciencia de orden la retenga”, que “adorara el amarillo”, que buscara obsesivamente un trapito rojo cuando suponía haberlo perdido, que su espacio y su tiempo fuesen otros, que no la guiara nunca la razón sino exclusivamente la intuición; que la torpeza y la confusión, pero también lo estético, la dominaran (“la araña Klee, el circo Miró, los espejos de ceniza Vieira da Silva”); en fin, que tuviese otra dimensión humana, que no creyera para nada en los nombres de las cosas sino que al tocarlas las conociera, con una aproximación prelingüística y casi primitiva a la naturaleza, al mundo, en el lenguaje de la tribu utópica; una mujer con quien amar no fuera sólo mirarse a los ojos sino mirar en la misma dirección...

Desde entonces, no dejaron de pasar cosas muy graves en este bendito suelo. Se mataron ideales a sangre y fuego, y también ellos se fueron desgastando. El tiempo, ese gigante, fue haciendo caer los días, las horas y los ídolos. Decepcionados del resbaladizo porvenir, volvimos al presente de las ilusiones más concretas y las concretas cosas. Y a encontrarnos, al cabo de las décadas, con la amarga premonición de Pablo Neruda en sus veinte poemas juveniles: “Nosotros, los de entonces, ya no somos los mismos”.

Tampoco puede olvidarse la propia evolución de la llamada cuestión de género en lo que va de los ’70 del siglo pasado a hoy. La imagen de mujer subestimada, desplazada y despreciada, así como también la imagen de exaltada, venerada, idealizada (en la que fueron diestros los literatos españoles y ni qué hablar los franceses desde Michelet a Breton y de Musset a Aragon) han sido sustituidas por lo que Gilles Lipovetsky llamó “La tercera mujer”, cuando sostiene que “a los antiguos poderes mágicos, misteriosos, maléficos atribuidos a las mujeres han sucedido el poder de inventarse a sí misma, el poder de proyectar y de construir un porvenir indeterminado de antemano. Tanto la primera como la segunda mujer estaban subordinadas al hombre; la tercera mujer es sujeto de ella misma. La segunda mujer era una creación ideal de los hombres; la tercera mujer es una autocreación femenina”. ¿Pudo ser la Maga, en la imaginería de Cortázar y en la nuestra, una suerte de transición entre aquella segunda mujer y esta tercera? ¿Pudo ser así leída?

Quizás, por ello, no todo esté apagado. Acaso todavía tengamos presente en alguna ocasión a la inconmensurable Maga; quizás sintamos un relampagueo, alguna vibración. Pero, tal vez, no más. Ahora, de nuestras conciencias parecen haberse adueñado otras costumbres, otros valores, otros símbolos.

También otras mujeres. Sin hacer nombres, como exigían en pasadas épocas en voz alta y con sonrisa cómplice mis tías maternas, pero mirando asustadamente la galería de robustas damas que acaudillan hoy los módicos ideales de buena parte de la clase media urbana, y por quienes muchas señoras y señores ponen los ojos en blanco y dan sus votos entusiastas a la inanidad conservadora, vemos, con no escaso pesimismo, cómo han retrocedido nuestros sueños, qué pobres son estos ideales, cuánta distancia separa ya a la fraterna Maga de algunas patricias y descarriadas Furias, de esa gruesa, platinada mediática, de esta enjoyada bisabuela con vestidito de organdí.

En fin, que como sentenciaba la inscripción de los romanos en los relojes de sol, referida claro está a las horas que marcan nuestro duro tránsito: Omnes ferunt, ultima necat. Todas hieren, la última mata.

* Escritor, docente universitario.


fuente: www.pagina12.com.ar/diario/contratapa/13-137510.html

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