Luz, personnage central du roman bouleversant d’Elsa Osorio, prête sa voix aux enfants volés sous la dictature militaire : un cheminement tragique de l’ombre vers la lumière.La romancière argentine, Elsa Osorio, racontait récemment avec une émotion contenue comment, lors de la présentation de son livre à Tucuman (Argentine), ville dans laquelle vivraient encore d’anciens tortionnaires, une fille de disparus avait lu publiquement une lettre à Luz, comme si celle-ci avait réellement existé... C’est dire la force, l’authenticité de ce personnage de fiction qui n’en est pas vraiment un, enfant volé pendant les sombres années de la dictature argentine (1976-1983) dont le roman va raconter la remontée difficile, douloureuse et opiniâtre vers les origines. Le récit commence en 1998 quand Luz, jeune femme de vingt ans - c’est le titre original du roman , A veinte anos, Luz - , débarque avec son mari et son fils, à Madrid avec l’espoir immense, après de longs mois d’enquête, d’y retrouver son vrai père, exilé en Espagne. Des terreurs anciennes et inoubliablesCar Luz a connu le destin tragique de ces enfants kidnappés à la naissance ou en bas âge, « objets, butin de guerre » dont l’appropriation faisait partie d’un plan systématique mis en place par les militaires en mal d’enfants. Volée à sa mère, détenue politique montonera sommairement exécutée, Luz a été « donnée » à Mariama, fille d’un haut-gradé, tortionnaire responsable de la répression. Elevée dans un milieu favorable au régime militaire, Luz n’en connaîtra pas moins en grandissant des doutes sur ses origines, qui se confirmeront et l’entraîneront dans une enquête semblable à celle des Grand-Mères de la place de Mai.Elsa Osorio réussit dans ce roman magnifique, avec un art consommé de la narration, à construire un récit palpitant apparenté au roman policier, qui tiendra le lecteur en haleine jusqu’à la dernière ligne. Elle brosse des portraits tour à tour terrifiants - comme celui de la Bête, sergent de l’horreur banalisée, qui part quotidiennement à son « bureau » pour torturer ses victimes - ou émouvants, comme celui de la belle Miriam, prostituée au grand cœur qui conduira Luz sur les traces de son passé.Basée sur une structure complexe dans laquelle les différents temps du récit, et les points de vues s’entremêlent, l’intrigue se construit et se referme progressivement sur un lecteur pris au piège de cette toile d’araignée narrative, plongeant avec effroi, guidé par Luz, dans ces années noires de l’histoire argentine. Car si Luz est une fiction, le roman, construit à partir de faits bien réels, prend appui sur l’Histoire. Ce sont sept années de peur et de tortures dans les camps de détention, comme celui tristement célèbre d’Olmos qui sont évoquées ici... Elsa Osorio, qui réside à Madrid depuis 1992, avait 23 ans en 1976 et a connu ce climat de terreur instauré par le Général Videla qui, encore aujourd’hui, la fait frémir quand elle doit retourner dans certains endroits de l’Université de Buenos Aires. Ancienne opposante à la dictature, elle sait communiquer à son lecteur, sans jamais tomber dans la complaisance, des terreurs anciennes qui ne s’oublient pas. En donnant une voix à ces enfants volés, inversant la perspective habituelle des « Grands-mères », l’auteur ouvre aussi la réflexion et le travail de mémoire sur les années de dictature, à peine amorcés en Argentine et plus que jamais au cœur de l’actualité.Rappelons que le poète argentin Juan Gelman (Prix Juan Rulfo 2000), dont l’épouse, enceinte, et le fils ont « disparu » en 1976, vient tout juste de retrouver sa petite-fille, localisée à Montevideo. Rappelons encore que l’église argentine a demandé, en septembre dernier seulement, pardon pour ses « péchés » commis sous la junte militaire...Odile MontaufrayVOX Latina - Mars 2001Luz ou le temps sauvage, de Elsa Osorio. Métailié.352p, 125F .
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