samedi 23 janvier 2010
Les cousines - Aurora Venturini
"Les cousines" est le dernier roman de l'écrivain argentin Aurora Venturini, amie d'Eva Perron mais aussi de Sartre, Ionesco, Camus et Simone de Beauvoir.
Ce roman fut publié en 2007 en Argentine et est paru la semaine passée aux Editions Robert Laffont.
Il s'agit du premier roman de l'auteure à être traduit en langue française.
"Les cousines" est le récit d'une famille argentine laquelle, en apparence étriquée et soucieuse du qu'en dira-t-on, abrite une belle brochette de "simples d'esprits"...
Au milieu du jeu de quilles se trouve Yuna, la narratrice, une jeune femme souffrant également de retard mental mais qui a pour elle un indéniable talent pour la peinture qui la préserve de la folie ambiante.
Alors que Yuna perce rapidement dans le milieu artistique avec l'aide d'un professeur qui lui promet une brillante carrière, le reste de la famille dégénère...
Avortements, prostitution, décès, Yuna raconte de ses 12 à ses 19 ans le quotidien d'une famille pas comme les autres.
La narratrice, bien que d'un niveau intellectuel nettement supérieur à celui de toute sa famille réunie, souffre d'un certain retard, chose qu'elle ne manque d'ailleurs pas de rappeler au lecteur tout au long du roman.
"Je suis si fatiguée par la ponctuation les virgules indispensables pour respirer sinon on étoufferait et je ne veux pas disparaître avant d'avoir présenté un nombre important de tableaux au Salon des Beaux-Arts, le professeur a expliqué que ce serait une exposition uni-personnelle c'est-à-dire d'une seule personne, qui donnera des écrits et documents sur sa vie que quelqu'un lira et admirera non pour l'écriture qui manque de style mais pour les tableaux présentés et dont on parlera dans les journaux et les revues et je suis fière de mon oeuvre et que le professeur m'appelle la petite à la cravate à cause de ma ressemblance avec la jeune fille mélancolique de Modigliani." p.65
Des virgules omises volontairement, des justifications quant à l'emploi du dictionnaire, des retours en arrière sur certains événements, des répétitions quant aux liens familiaux unissant les personnages (qui de temps à autre n'étaient d'ailleurs pas superflues, tant j'ai du mal à me repérer dans les (pré)noms à consonance étrangère...).
Au fil de ma lecture, l'impression de devoir m'adapter constamment au niveau de la narratrice ne m'a pas quittée.
C'est une sensation à la fois dérangeante (frustrante même) mais laquelle provoque un effet "plus vrai que nature" assez bien réussi puisque j'ai vraiment eu le sentiment de partager la vie de cette narratrice un brin...particulière.
Quand j'ai commencé à lire ce roman, j'ai de prime abord trouvé Yuna détestable.
Le dégoût qu'elle manifestait envers sa famille, son ton supérieur additionné de mots très durs employés à l'encontre de sa soeur me révulsaient (à cet effet, j'ai souvent pensé à des extraits lus de "Où on va papa?" de Fournier).
Mais c'était sans compter la centaine de pages qui m'attendait encore et dont la lecture m'a ouvert les yeux quant à toutes les injustices commises à l'égard de la jeune fille.
Car si elle déteste sa famille, ce n'est pas sans raison, cette même famille le lui rend bien.
Or, si la différence est bien une affaire de naissance, l'indifférence n'a, elle, rien de génétique.
Ce n'est que lorsque Yuna commence à rapporter de l'argent à la maison que sa famille la laisse un peu plus tranquille, mais on est bien loin des démonstrations de fierté ou de tendresse.
C'est sans doute cet aspect qui m'a le plus secouée dans ce roman, cette absence totale d'affection qui m'avait déjà frappé, certes de façon moins extrême, dans "Mal de pierres".
Pour pouvoir canaliser ses émotions, Yuna transpose ses souvenirs sur la toile, la peinture lui évitant ainsi de sombrer dans la folie ou du moins réussit-elle à la maintenir suffisamment lucide que pour pouvoir différencier le bien du mal.
La peinture est son refuge (comme ce fut le cas pour Séraphine de Senlis ou Frida Kahlo) comme le sont les mots, piochés dans le dictionnaire pour pallier toutes les explications que Yuna ne peut recevoir de sa famille.
"Je crois que le dictionnaire me fait du bien, je crois que je vais surmonter des difficultés qui me semblaient auparavant insurmontables et je ne parle pas de ce que j'ai en tête : si je surmonte vraiment mon handicap, j'irai vivre seule parce que tous ces gens sont fatigants je vois en profondeur tout autant que je parle en surface ce que je vois en profondeur ne me plaît pas et de loin ça me fera moins mal ou ça ne me dérangera pas parce que je m'éloigne chaque minute davantage de ce qu'on appelle famille et je m'occupe de plus en plus de moi." p.96
Bien que j'ai souri à quelques démonstrations d'"innocence"( je pense notamment à l'explication sur le "secsoral"), j'ai rapidement réalisé à quel point cette naïveté pouvait être dangereuse et que celle-ci était incontestablement à l'origine de ce prisme de malheur entourant la famille.
La question du sexe est assez présente dans ce récit campé en majorité par des femmes. C'est même à elle seule qu'elle détermine leur rapport au sexe opposé.
Ici encore, les sentiments sont absents.
Certains faits peuvent choquer, sans compter la façon "rustre" dont ils sont évoqués.
Cette ambiance sombre et crue ne m'a pas semblé dissonante dans la mesure où les personnages sont tous "tarés" et que, partie de cet état de fait, je ne m'attendais pas à un langage très élaboré ni à des actes bien glorieux.
Non pas que j'attribue la méchanceté et le vice à toutes les personnes handicapées, loin de là.
Mais disons que comme le lecteur est très rapidement mis en situation, cela ne présage rien de "normal" pour la suite.
Bien que j'ai trouvé le regard extérieur de Yuna froid, impitoyable (mais souvent juste), maladroitement exprimé dans un style qui peut fatiguer à la lecture (j'ai tout de même mis quelques jours pour lire ce roman qui fait moins de 200 pages) et malgré que l'absence de tous sentiments dans le roman m'ait glacé le sang, j'ai trouvé ce récit parfaitement bien mené du début à la fin.
Les personnages sont bien cernés et fidèles dans leurs faits et gestes (l'auteure est psy, ce n'est pas un hasard). Tandis que bon nombre d'entre eux périclitent, Yuna évolue au fil des années, ce qui se ressent dans le style qui devient plus phrasé que parlé.
Enfin, j'ai aimé la force et le courage de la narratrice à lutter seule face à son handicap par la peinture et l'apprentissage des mots.
Bref une lecture peu commune que je ne recommanderais pas à tout le monde.
Je conseillerais ce roman aux lecteurs avertis qui ne craignent pas d'être "dérangés dans leur normalité", aux personnes que le handicap mental intéresse et qui se sentent prêtes à le voir secoué par un regard extérieur.
J'ajouterais également que comme il est de mise concernant les sujets délicats, il est préférable de choisir un bon moment pour lire ce roman.
Sur ce, je viens de réaliser que mes trois dernières lectures atteignaient un niveau de joyeuseté frisant le néant. Après la folie, les familles psychorigides, le handicap et la solitude, je crois que je vais aller pleurer dans les jupes de maman et réfléchir à la direction de ma prochaine lecture afin de, pour reprendre une expression que j'ai aimée dans ce roman, "sourire comme une portion de pastèque".
source: contesdefaits.blogspot.com/2010/01/les-cousines-aurora-venturini.html
Derniers commentaires
→ plus de commentaires