Le docteur Nigro est atteint d'un léger syndrome d' "invisibilité" : visage quelconque, personnalité insignifiante, il ne semble posséder aucune aura... des caractéristiques qui lui valent le surnom de "Docteur Personne" dans l'hôpital où il travaille. Comble du paradoxe pour un médecin qui est spécialiste de la mémoire... Ce n'était nullement le cas de son maître, le docteur Fabrizio, éminent chercheur passablement farfelu et mégalomane, qui avait fait édifier un institut, bâtiment complexe ("projection" de sa personnalité), comprenant un "théâtre de la mémoire", un amphithéâtre inversé érigé en l'honneur de l'harmonie universelle...
Quand arrive dans son service de neurologie Diago, un homme "entre parenthèses", c'est-à-dire amnésique, Nigro est de nouveau forcé de se replonger dans le monde étrange et vertigineux de son ancien professeur, mort depuis quelques années : le père du malade était un ami de Fabrizio, un architecte reconnu, qui lui aussi avait participé à la conception du bâtiment de la fondation Fabrizio. La curiosité de Nigro est attisée et avec l'aide de Luciana, l'ex-femme de l'amnésique, il tente de comprendre pourquoi Diago, avant de plonger dans les gouffres de l'oubli, avait passé des mois à explorer les archives de feu son père, à la recherche d'une improbable clé qui expliquerait sa disparition soudaine. Nigro hérite en quelque sorte de l'enquête inachevée de son patient (et par la même occasion de son ex-femme), dans l'espoir d'en apprendre un peu plus sur Fabrizio, dont la mort n'a pas éradiqué l'incroyable ascendant qu'il avait sur le jeune docteur : "Fabrizio était mon thème", avoue-t-il.
Ce roman peut donner froid dans le dos : personnages proches de la démence, individus désemparés ou en marge, s'agitant comme des marionnettes ; psychologie, architecture et métaphysique se côtoient sans scrupules dans ce roman où les morts sont plus vivaces que les vivants eux-mêmes, réduits à l'état de fantômes.C'est tout particulièrement l'évocation des recherches de Fabrizio (typique "professeur fou"), qui manipule le cerveau comme d'autres les gènes, qui procure de véritables frissons : construction de faux souvenirs, mémoires capables d'être remplies de données artificielles, et son terrible legs à des associés aussi déments que lui, assoiffés de pouvoir.
Quête identitaire et faux polar scientifique, Le Théâtre de la mémoire est une exploration érudite et intense de la nébuleuse qui compose l'esprit humain, un labyrinthe chaotique et tortueux, que même les spécialistes ne semblent pas compétents à maîtriser...
B.Longre(août 2002)
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