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à propos de “Le livre du retour”

Par larouge • Baron Supervielle Silvia • Samedi 13/06/2009 • 0 commentaires  • Lu 595 fois • Version imprimable

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Critique de lemonde.fr
Le 16 Avril 1993
Le langage du silence
Voici le huitième recueil de poèmes de Silvia Baron Supervielle et, après l’Or de l’incertitude (1), son deuxième ouvrage en prose.En lisant aussi bien sa prose que ses vers, on songe au grand peintre romantique Caspar David Friedrich, en particulier à ceux de ses tableaux où un personnage, vu de dos, contemple quelque paysage illimité, cherchant l’infini du ciel obstrué par des arbres ou des montagnes.Infini, lointain, distance : voilà des mots-clés où l’imaginaire de notre poète trouve de récurrents repères tout au long de son oeuvre. Comme si son ambition était d’atteindre à une beauté indépendante de tout sujet, à un monde où rien ne se bornerait à être _ comme dans cette plaine argentine où Silvia Baron Supervielle est née, où le jour immense s’éteint comme un son meurt, et de laquelle, au fond, elle n’est jamais sortie. Si, toutefois, elle a préféré vivre en France, pays de ses ancêtres, dont elle a repris la langue.Serait-il interdit de penser que, bien des fois, les poèmes qui respectent une métrique, un système de rimes, d’allitérations, une forme établie par la rhétorique, comptent des vers anodins, et que leur beauté n’est due qu’à ces ” trouvailles ” où le sens et le son jouent de concert, au point qu’elles semblent venues de plus haut que l’auteur ? Comme Ungaretti, lorsqu’il se limite à inscrire sur la page ces trois mots : ” Je m’illumine/ d’immensité ” (” M’illumino/ d’immenso “), Silvia Baron Supervielle tâche de ne retenir que le moment extrême de la méditation ou de la rêverie. Aussi dit-elle : ” L’indiscernable/ vibration/ de l’édifice/ qui emmure/ le cri. ” Ou : ” L’éclair emportera/ le ciel entier/ la mer détachée/ prendra les arbres/ tout sera un flot/ de feu délivré/ de dessin. ” Ou encore : ” Sommes/ nous déjà/ quittes/ le songe/ et moi. “Dans l’Or de l’incertitude, où elle s’aventurait dans les sables mouvants de la prose, Silvia Baron Supervielle prit comme prétexte _ pour décrire ses impressions d’Argentine, et dire ” ce passage qui manque dans les cartes de l’alphabet [et qui] relie une mer à une autre, une langue à une autre langue “, _ la relation de voyage rédigée par un mousse de l’expédition de Magellan, s’efforçant de nommer, dans les langues qu’il baragouinait, les choses du Nouveau Monde : faune, flore, aborigènes.Dans le Livre du retour, c’est une autre lecture passionnée de son enfance (l’histoire d’une fille qui a grandi dans un phare, n’ayant jamais connu les côtes, les villes), qui se trouve à l’origine d’une pareille entreprise : ” Oeuvrer sur le panneau de la mémoire (…). On rêve que je m’adresse à toi, alors que tu n’es visible pour personne, et que dans le rêve je suis à mon tour un fantôme. ” Laquelle des deux, de la narratrice ou de la fille de la mer, s’adresse-t-elle à l’autre ? Celle qui n’a d’existence que dans les pages d’un roman oublié est devenue l’image idéale projetée dans l’avenir par la lectrice enfant. Et c’est vers cette image d’elle-même, somme toute, que l’écrivain entreprit un jour le voyage de retour vers le pays d’où les siens étaient partis. La lecture d’un livre peut tracer, ou dévoiler, le chemin que l’on suivra _ c’est-à-dire le destin.L’histoire est ténue ; les paysages, peints d’un seul coup de pinceau, se dérobent en leurs détails ; ce qui paraît à portée de la main se dissout, se fond dans l’ailleurs des ailleurs perdus ; et les visages n’ont pas de traits ; c’est le regard, non pas les yeux, qui attire l’auteur : c’est l’âme qu’elle voudrait débusquer, et l’esprit en tête-à-tête avec lui-même qui lui importe.Certes, il y a un danger, dans le genre de la fiction, à trop s’abandonner à l’évanescence. Rilke disait des personnages de Maeterlinck qu’ils étaient comme des parfums, mais il regrettait que l’on ignorât le jardin duquel ils proviennent. Et Virginia Woolf observait que si Shakespeare pouvait faire exactement ce qu’il lui plaisait avec la langue, c’était parce que Falstaff, Cléôpatre, Hamlet, les soldats, les dignitaires, les meurtriers lui apprenaient à écrire.Il y a une pudeur à franchir, dès qu’il est question de brosser des personnages, de ” raconter ” une histoire, la vie.Cela dit, cette pudeur, qui est le propre de la poésie, est souvent magnifique dans les pages de ce Livre du retour, où le langage (qu’enrichit la pieuse attention portée par l’auteur aux mots qu’on aurait cru endormis à jamais dans une page de Rabelais, dans une ligne d’Agrippa d’Aubigné), le langage, donc, jouit d’un état de bonheur dont il est lui-même la source.Et tout cela par un jeu de modulations délicates, avant de parvenir au silence : pour que l’ouïe écoute ce qu’on entend quand rien ne se fait plus entendre _ sauf cette pensée d’où l’on ne peut revenir à soi par voies de paroles _ et comme l’écho d’une conférence de rêves.
BIANCIOTTI HECTOR

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