Le gros, le Français et la souris
« Il s’agit presque toujours d’une question de pouvoir, de l’exercer ou d’être perdant. Ni les dix commandements ni les tables de multiplication ne sont des points d’appui solides sans le pouvoir. Avec le pouvoir, on peut modifier les résultats et jusqu’aux règles du jeu elles-mêmes : naître, vivre, mourir sont toujours des manifestations de quelque dieu éphémère et sans pitié, qui, en abaissant le pouce, condamne à vivre ou à mourir. »
Le pouvoir est une question essentielle, pour ne pas dire le plus petit dénominateur commun, du roman noir.
Nous sommes en Argentine et l’individu qui se laisse ainsi aller à ces quelques considérations vaguement philosophiques sur le pouvoir, se nomme Garcia. Longtemps, on l’a surnommé le gros, rapport à son embonpoint et à sa mollesse de caractère. Il a fait de la taule, côtoyé de sacrés tarés et joué au planton pour le compte de Tony Capriano Muller, le chef « respectable » d’une grande famille. Une crapule sans scrupules qui s’est enrichie sur le dos d’autrui mais ça, on ne le dit pas.
Il fut un temps où il a cru prendre sa revanche sur les autres : les moqueurs. Il fut un temps où l’espoir de se venger de la vie lui est apparu comme une possibilité engageante et bien engagée. Avec, en guise de compagnons de fortune, la souris, un ancien boxeur au cerveau déglingué par trop de K.O. et, le Français, un anarchiste mystique et caractériel, Garcia a organisé LE gros coup : enlever l’épouse du boss Capriano pour en tirer le pactole. A la fois ravisseur et intermédiaire désigné par ses complices pour percevoir la rançon, il pensait tout contrôler avec, en bonus, la femme du patron dans son lit. Et puis, les choses n’ont pas tourné comme prévu car, à aucun moment, il n’a vraiment possédé le pouvoir.
« Le gros, le Français et la souris » est le premier roman de Raùl Argemi traduit dans l’Hexagone. Pourtant, l’auteur compte déjà cinq titres à son actif dont certains ont même été récompensés (le prix Dashiell Hammett pour « Penultimo nombre de guerra » et le prix Francisco Garcia pour « Patagonia chu-chu »)
A l’instar de Paco Ignacio Taibo II (loué soit son nom), Argemi s’inscrit dans cette littérature noire sud-américaine à la fois ironique et chaleureuse. Il nous décrit ici une Argentine littéralement pourrie par le fric, unique étalon de la réussite et point d’appui du pouvoir. Narré à la première personne, le récit s’apparente à une confession intime. L’intrigue est construite à la façon d’un habile flash-back (le prologue et l’épilogue se répondent) qui écarte d’emblée les tressautements browniens du thriller. Le style de Argemi est sec, noir et grinçant. Toutefois, il sait s’adoucir lorsqu’il s’agit de faire montre d’empathie envers les protagonistes de son histoire ; pauvres marionnettes d’un théâtre d’ombre qui masque les ficelles qui les manipulent.
Avec Raùl Argemi, on peut donc affirmer sans craindre le ridicule que le noir se porte au mieux.
source: http://yossarian.over-blog.com/article-23444237.html
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