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à propos de "La traduction"

Par larouge • De Santis Pablo • Lundi 22/06/2009 • 0 commentaires  • Lu 758 fois • Version imprimable

Sous couvert d'un polar à suspens digne d'Agatha Christie, Pablo de Santis livre une réflexion efficace et belle sur les perversions de l'altérité. Il y a plusieurs histoires, quelques fausses pistes et pas mal de morts suspectes dans La Traduction, le premier livre à paraître en français de Pablo de Santis. On ne sait si cet Argentin trentenaire et à l'évidence lettré exerce lui-même l'activité de traducteur, mais on devine, à le lire, qu'il en connaît parfaitement les usages et les perversions. Son roman se présente comme une fable à suspens sur les vertiges du sens, qui devrait amuser d'abord les familiers de ces colloques où l'on discute, par exemple, de "l'opportunité de faire parler les gangsters de New York en argot de Buenos Aires"... La réponse qu'il suggère à cette épineuse (et sempiternelle) question des équivalences argotiques ­ "traduire des polars avec des tueurs sourds-muets" ­ montre bien avec quel humour de Santis aborde un sujet en définitive très sérieux. Sous les apparences ludiques d'un polar plutôt léger, La Traduction propose en effet une réflexion originale, plus profonde qu'il n'y paraît, sur l'énigme de Babel et les mystères de l'altérité. L'auteur imagine pour cela un dispositif narratif digne d'Agatha Christie (elle-même victime, notons-le au passage, de traducteurs souvent calamiteux). Les participants à un congrès linguistique sont réunis pour quelques jours dans un hôtel inachevé de Port-au-Sphinx, une morne station balnéaire de l'Atlantique argentin où des phoques viennent mourir hors saison, victimes d'une étrange épidémie. Ce ne sont pas les seuls : le cadavre de Valner, spécialiste vaguement charlatanesque des langues artificielles et mythiques, est retrouvé dans la piscine désaffectée de l'hôtel, bientôt suivi sur l'Achéron par d'autres intervenants, tous préoccupés d'un hypothétique idiome des Enfers, une chimère d'avant Babel... Qui donc est le coupable ? Dans le huis clos venteux de ce congrès polyglotte, le narrateur, lui-même traducteur, se transforme en Hercule Poirot saussurien : il découvre que les morts cachaient sous leur langue une vieille pièce de monnaie et se met à suspecter le brillant Naum, son ancien ami et éternel rival. Car il y a une femme, aussi, dans le jeu de doubles et de dupes dont s'amuse sans cesse le roman : qu'il s'agisse de langues ou de sentiments, n'est-ce pas forcément trahir que de passer de l'un à l'autre ? Construit en quatre parties dont les épigraphes ­ de Borges à Dante ­ constituent des indices précieux, La Traduction se refuse à révéler quelle vérité se dissimule in fine sous le palimpseste de son intrigue. Multipliant de fausses parenthèses sur le silence des langues ou les idiomes inventés, Pablo de Santis préfère laisser ouvert le mystère d'un sens originaire, qu'il résume en citant Ulises Drago, l'auteur fictif d'une Babel évidemment imaginaire ­ "Une langue maternelle : cela n'existe pas. Nous naissons dans une langue inconnue. Le reste n'est qu'une lente traduction." C'est donc au lecteur seul qu'il reviendra d'affronter l'énigme de l'inconnu, pour se perdre peut-être au-delà du dernier cercle, là où l'aura mené ce roman d'une assez diabolique efficacité.
Fabrice Gabriel
23 mai 2000
www.lesinrocks.com

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