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à propos de La première défaite

Par larouge • Amigorena Santiago • Samedi 01/09/2012 • 0 commentaires  • Lu 1516 fois • Version imprimable

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 Santiago H. Amigorena poursuit sa formidable entreprise d’encyclopédie de lui-même, et sonde le deuil de l’amour et le manque de l’être aimé, dont seule l’écriture peut nous libérer.

L’amour, l’autre, quand ça marche, c’est merveilleux ; mais quand ça ne marche pas, c’est la porte ouverte à l’anxiété, au doute, à l’incompréhension, et souvent à l’écriture pour mieux tenter de saisir une vérité toujours mouvante qui nous échappe. Si, depuis longtemps, nombre d’écrivains ont écrit leurs amours, peu s’en sont bien tirés, cédant trop souvent à l’étalage exhibitionniste, à la thérapie à la petite semaine ou au règlement de comptes à hauteur de grenouilles.
 
En littérature, ça marche aussi rarement qu’en amour, mais quand ça marche, c’est tout aussi merveilleux, et c’est le cas des romans de Santiago H. Amigorena, formules magiques qui nous délivrent de nous-mêmes, lecteurs empêtrés de nos vies comme l’est ici l’auteur-narrateur, nous ravissent – au sens littéral du terme – pour mieux nous ramener au coeur même de notre existence afin d’en percevoir quelques précieux éclats de vérité. Demande-t-on, finalement, autre chose à la littérature ? C’est pourquoi, depuis 1998 et la parution du premier roman (Une enfance laconique) de cette sorte d’entreprise encyclopédique de lui-même à ramifications multiples et borgésiennes, on ne rate aucun des textes d’Amigorena.
 
Fétichiser l’être aimé pour s’éviter de disparaître
 
On en était resté au magnifique Premier amour, paru en 2004, récit du premier amour, donc, du jeune Santiago avec la jeune Philippine. Amour fou qui le mène à l’écriture tant la femme aimée, même présente, lui échappe : comme si toute présence amoureuse portait en elle, intrinsèquement, une part d’absence – comme si l’amour ne pouvait advenir que pour et par cette absence dans la présence de l’autre. L’amour serait déjà cette fiction que l’on invente pour combler le manque dans l’autre, le manque de l’autre.
 
C’est ce motif, inépuisable, qui hante encore La Première Défaite. Où l’on retrouve un Amigorena au seuil de la vingtaine, quitté par Philippine, défait par la tristesse. L’écriture va entrer en jeu pour se “refaire”, se reconstituer une intégrité trouée, voire pulvérisée par le manque de l’autre aimé. Elle s’impose comme le seul moyen pour reconstituer cet autre disparu, le posséder enfin entièrement, voire le fétichiser pour s’éviter de disparaître, soi-même, à la vie.
 
“(…) seul celui qui a aimé en étant aimé sait que la jalousie fait partie de l’amour, qu’elle montre que la possession est le but de l’amour et que ce but ne peut jamais être atteint. Depuis que Philippine m’avait abandonné, de la plus désastreuse – et de la plus douloureuse – des manières, depuis qu’elle ne m’aimait plus, je la possédais entièrement. Je la possédais comme on possède seulement ce qu’on a perdu. Je pouvais la contempler aller et venir dans ce monde qui m’était étranger, je pouvais la voir rire dans les bras de ce garçon que je ne connaissais pas, je pouvais surprendre leurs baisers, sans sentir que je la perdais encore : je l’avais déjà perdue.”
 
La Première Défaite raconte les cinq années qui ont suivi la rupture : cinq années de larmes, de solitude, de souffrance suicidaire. Des amis, quelques amantes, des contrées traversées en tout sens, Rome et Patmos, l’île Saint-Louis à Paris et puis Londres, l’Amérique du Sud… Et l’enfer, toujours : car l’enfer c’est d’être, partout et avec tous, d’abord avec soi-même.
 
Alors il y a l’écriture de poèmes et journaux au moment où l’événement se vit, insérés au livre qui s’écrit trente ans plus tard et sort aujourd’hui. Il y a le récit des larmes et de la douleur face au manque de sens qu’est la disparition abrupte de la personne aimée, les lectures qui façonnent (Joyce et Proust), les commentaires proustiens, les phrases au charme envoûtant, à la finesse poétique autant qu’intellectuelle, écrites au passé mélancolique, dans une mission impossible (faire revivre ce qui est mort ; ramener à la vie ce cher disparu qu’est le passé), mais à l’issue optimiste déjà gravée dans l’écriture même :
 
“Seule la pensée de la mort nous permet de vivre pleinement et nos chaînes sont la mesure de notre liberté. Mais peu d’activités humaines nous font comme l’écriture espérer être libérés tout en rendant nos chaînes si flagrantes, si lourdes. Car au-delà de sa source – qui est le silence – et de son but – qui est la mort -, l’écriture porte toujours l’illusoire promesse de nous libérer de cela même qui l’autorise et qui est le véritable gardien de l’être humain, de ce qui nous tient le plus intimement prisonniers et qui le plus intimement nous préserve : le langage.”
 
Le langage qui capture aussi un temps : les années 80. L’écriture autobiographique n’est jamais pour Amigorena le prétexte romantique pour s’extraire du monde. Il reste toujours politique, car “la politique n’a pas d’autre horizon que l’utopie”. Comme l’écriture, en somme. L’écriture comme acte politique puisque échafaudant une utopie, parce qu’étant elle-même utopie : la seule où l’on puisse se réconcilier avec soi-même et les autres, et même avec ce grand Autre éternellement problématique. La seule où l’on puisse, au fond, réaliser l’idéal de la politique, et cela que l’on soit l’auteur ou le lecteur du texte. C’est pourquoi on n’a plus qu’une envie : rester les captifs consentants, désirants et heureux des romans de Santiago H. Amigorena.
 

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