La Fiancée d’Odessa
Edgardo Cozarinsky, Nouvelles traduites de l’espagnol (Argentine) par Jean-Marie Saint-Lu,Actes-Sud, 2002, 161 pages, 19,90 euros.
Les personnages d’Edgardo Cozarinsky, cinéaste argentin né à Buenos Aires, petit-fils d’immigrés russes installé à Paris depuis une trentaine d’années, ne peuvent s’appréhender qu’à travers la littérature. Aucune clef ne pourrait à elle seule embrasser l’ensemble de ces existences marquées par l’exil, l’appartenance à des diasporas nombreuses - russe, juive ou argentine - le mélange poussé parfois jusqu’à la contradiction, les identités mêlées, les mémoires obscures et les tragédies totalitaires du siècle passé.Dans ce recueil de nouvelles, l’histoire se plait à brouiller les pistes. Le passé n’est pas une belle et rectiligne avenue proprette qui exhale une illusoire pureté. Ici, il emprunte des chemins sinueux, couverts d’aspérités, qui laissent certes les corps meurtris mais font les âmes belles. L’histoire y est horizontale, confuse et foisonnante, souterraine autant qu’incertaine mais toujours irréductible à une explication sèche et verticale (l’identité, la pureté et tant d’autres catégories globalisantes). Deux nouvelles en sont particulièrement l’illustration. Hôtel d’émigrants où, fidèle à son habitude, l’auteur mêle enquête et fiction. Dans la Lisbonne des années quarante, les candidats à l’émigration fuyant la nuit nazie voient s’éteindre “les dernières lumières de l’Europe”, et, s’éloignant vers un autre continent, portent en eux un monde fait de vies entrecroisées, peuplé de personnages obscurs et de secrets annonciateurs d’existences équivoques.Exilée avec son époux en Argentine, La Fiancée d’Odessa sera aussi par une initiative imprévue à l’origine d’une bifurcation fondatrice. Devenue secret de famille, passant de génération en génération par les femmes et uniquement par elles, l’histoire de l’aïeule sera transmise “comme un savoir dangereux, interdit peut-être”. Pourtant, plus d’un siècle étant passé, ce secret est révélé à l’arrière petit-fils de ce couple. L’important alors n’est pas de dénoncer l’identité usurpée par cette lointaine aïeule mais de raconter. La révélation n’invalide nullement ce que les uns et les autres, des dizaines de cousins et cousines de par le monde, sont devenues. Ainsi, l’appartenance à une communauté de destin et la foi en cette appartenance priment sur tout autre pseudo-légitimité érigée en barrière. Les existences et les certitudes seraient, comme la vie elle-même, relatives, et supporteraient donc bien cette salutaire dose de scepticisme...
Mustapha Harzoune
[09/12/2002]
source: http://www.alterites.com
|
Recherche d'articlesArchives par mois
liens amis
|
Derniers commentaires
→ plus de commentaires