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à propos de "la faim de maria bernabé"

Par larouge • Garcia Lao Fernanda • Jeudi 05/01/2012 • 0 commentaires  • Lu 1568 fois • Version imprimable

La Faim de Maria Bernabé

Fernanda Garcia Lao
La Faim de María Bernabé (Muerta de hambre, 2005), Fernanda García Lao, traduit de l'espagnol (Argentine) par Isabelle Gugnon, roman, éditions La Dernière Goutte, octobre 2011, 224 p., 18€.



(d'une traite, comme elle le précise dans l'avertissement liminaire) est obèse. Elle mange, ingurgite, se shoote à la nourriture, dans le but avoué de se faire exploser. « Mon corps est mon discours », dit-elle. À sa façon, elle lutte. Contre une vie de famille aisée et délétère, père adultère et mère alcoolique. La faim inextinguible de María est l'aveu du malheur, qui dans le livre de Fernanda García Lao, passe par l'ironie et la farce.
 
Durant son enfance, María est obsédée par ses deux petites voisines, des jumelles rousses et parfaites, reines de beauté. Sont-elles ses sœurs ? Ou simplement les filles de la maîtresse de son père ?  Qui, curieusement, est toujours appelée « Mother ». L'exploration de leur maison réserve quelques étonnements, et dans l'écriture, on glisse insensiblement de la « poupée » de chair que l'on exhibe sur les podiums à la poupée de celluloïd, « dure et orthopédique », qui se met à chanter lorsqu'on lui tape dessus. María, elle, n'est jamais lauréate des concours auxquels elle participe, concours réservés à sa « catégorie », durant lesquels elle croise la route d'enfants difformes, désignés dans le texte de manière géométrique, « Cercle », « Losange »... 
 
Les événements s'accélèrent, étranges mais plausibles : installation de la maîtresse et de ses jumelles au domicile familial, rencontre amoureuse et charnelle avec un certain Emilio, apparition d'un diététicien, internement psychiatrique. À ce stade, le lecteur tique. La forme de la narration adopte le cheminement d'un « processus digestif, partant du début - s'approcher d'une assiette - pour arriver à la fin - se débarrasser des aliments ingérés ». Mais les différents chapitres mêlent le passé et le présent dans la conjugaison, et également dans la diégèse. Tout semble tourner autour de la date du 25, ou du 26, on ne sait pas encore pourquoi, mais on n'a pas oublié l'incise de la page 73. Quelques petits repères nous ramènent sur un chemin psychologique, « à l'évidence, les règles avaient changé en mon absence. Elles évoluaient toujours sans la moindre explication. Et tout le monde paraissait s'y adapter naturellement. Tout le monde, sauf moi. L'humanité d'un côté et moi, de l'autre », à moins qu'il ne soit symbolique. Ou métaphorique. 
 
Les situations sont reprises et chamboulées, parfois en paragraphes entiers et similaires à ceux des premiers chapitres. Une voie de déchiffrement s'entrouvre peut-être : on a été avertis que la structure suivait le processus digestif, que l'on partait de l'assiette pour arriver à... la défécation, sans doute. Nous voici arrivés, peut-être, avec ce grand brassage de situations, au moment de la digestion elle-même : nous sommes dans l'estomac, les sucs gastriques sont à l'œuvre, tout est malaxé, redistribué. On a vu passer les plats. On a mâché et dégluti. À présent, on digère, on concentre, on transmue. On s'inquiète un peu, aussi, au sujet du chapitre à venir. Qui se conclut, ou presque, sur « Il n'est resté aucun vestige de ma vie. Tout a été liquidé comme pendant un grand repas en plein air. La table est vide, la nappe est sale, les chaises sont en désordre. Il n'y a aucune trace des invités ». La vie a défilé, organique et sensuelle, cruelle et violente. C'est bien à un parcours que nous avons assisté. Un parcours dont la solitude est la tache aveugle, ce fameux point qu'il convient de découvrir au centre du labyrinthe. La vie, la mort, l'ingestion et la digestion, voilà les méandres que nous avons suivis.
 
La partie finale, intitulée « Mon uvre » est une tentative de retournements multiples, en vortex. Qui est qui ? Qu'est-ce qui est vrai ? Inventé ? Et à quoi bon se poser ces questions pour un roman ? Même si l'on trouve dans ces ultimes pages une interprétation crédible à l'exclamation « she is a cross-eyed girl » de Mother et une explication tout aussi plausible à la réflexion de María Bernabé « J'ai décidé que tu n'existais pas. Je vais cesser de t'évoquer ». La lecture d'un tel texte n'est pas aisée. On peut y voir, tout simplement, le mal-être existentiel d'un personnage féminin. C'est sans doute un peu court. De même que la seule explication par la schizophrénie. Les allusions à la surdité, à un bandeau sur l'œil, le remplacement d'une « maman » inapte à son rôle par une « Mother » yankee prenant soin de ses jolies petites jumelles, la trahison du père, une phalange coupée et que l'on cherche à genoux, tout cela peut faire basculer l'interprétation, également, vers le politique. Peut-être. 
 
Christine Bini
 
(Cet article a été publié également dans La Cause Littéraire)  

source: http://cle.ens-lyon.fr/

 

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