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à propos de "La botanique du chaos"

Par larouge • Shua Ana Maria • Jeudi 16/07/2009 • 0 commentaires  • Lu 1306 fois • Version imprimable

Botanique du Chaos – Botánica del Caos

 

Présentation

 

            Les formes narratives brèves ne sont pas un genre mineur dans la littérature contemporaine de langue espagnole ; cultivé par la plupart des auteurs parallèlement à l’œuvre romanesque, el cuento (conte ou nouvelle) est d’une importance équivalente à la novela (roman). Si le lecteur francophone connaît Gabriel García Márquez ou Julio Cortázar botanique1.jpgpour leurs romans, bien peu connaissent leurs nouvelles, et qui connaît, par exemple, le Cubain Virgilio Piñera, lui qui n’a cultivé que les formes brèves dans son œuvre narrative ? L’Argentin Jorge Luis Borges est l’exception qui confirme la règle, laquelle considère la nouvelle comme une sorte d’échauffement, d’exercice préparatoire à l’œuvre véritable, le roman. Comment s’étonner alors de la totale méconnaissance de la micro-fiction ?

 

 

 

            Si Augusto Monterroso est généralement considéré comme le maître du micro-récit, c’est dans la seconde moitié du XXème siècle que le genre prend véritablement son essor, et certains critiques n’hésitent pas à parler d’une véritable explosion de cette forme narrative ; on lui consacre des colloques internationaux, des thèses, cherchant à saisir et à rendre compte des caractéristiques d’un genre pour le moins rebelle. Le lecteur hispanophone pourra se reporter aux nombreuses publications, entre autres, de María Isabel Larrea Oportus, Dolores Koch, Juan Armando Epple, Rhonda Dahl Buchanan, Violeta Rojo ou Lauro Zavala. Selon certains de ces chercheurs, la micro-fiction est proprement latino-américaine et son développement est étroitement lié à la situation socio-économique du sous-continent : dictatures et crise économique auraient entraîné la fin du discours globalisant et logique, du récit qui offre une illusion de totale compréhension, de la toute puissance du narrateur. D’autres, moins convaincants, voient un lien entre le développement de ce type de récits et celui de l’informatique et de l’Internet.

 

***

 

            Dans ce genre rebelle, inclassable, insaisissable, aux frontières du récit, de la poésie, de l’aphorisme et de la brève de comptoir, les œuvres de Ana María Shua figurent sans conteste parmi les productions les plus remarquables. Quatre de ses livres (La sueñera, Casa de Geishas, Botánica del Caos, Temporada de fantasmas) recueillent ses « récits éclair », « mini ou micro-fictions », « récits hyper-brefs ou ultra-courts » ou « fictions subites », les noms ne manquent pas pour ce genre en plein développement.

 

            Les textes de Botanique du Chaos, considéré par Ana María Shua elle-même comme l’un de ses meilleurs ouvrages, se répartissent en onze chapitres qui cherchent désespérément à organiser un univers éclaté, fragmenté, souvent incompréhensible, où, en définitive, seul l’humour permet de survivre.

 

            Dans un entretien avec Ángela Pradelli, professeur de littérature, écrivain et journaliste argentine, publié sur le site Literaturas.com lors de la publication de Botanique du Chaos, Ana María Shua tentait de définir elle-même ses micro-fictions ; en voici quelques extraits :

 

            « … On part de l’idée que ce sera un petit univers, ce qui détermine la proportion de chaos que l’on prend pour le construire. Quelquefois, pas toujours, on s’appuie sur les connaissances du lecteur. Dans un conte comme "Raz-de-marée cherche prophète", je suppose que le lecteur connaît déjà les relations complexes et profondes entre lesbotanique2.jpg prophètes et les catastrophes naturelles. Quelquefois, pas toujours, on travaille avec la matérialité même du texte, comme dans cette petite histoire : "Fuyons, les chasseurs de lettres sont arriv….". Les procédés sont divers… »

 

            « … Il est certain que le genre a un penchant pour le fantastique. Ce sont eux, mes contes, qui choisissent cette voie, alors que je tente, sans succès, les fouettant parfois, de les conduire vers l’imitation la plus crue de la réalité. Par ailleurs, le tissage du fantastique et du quotidien dans une même trame est typique de la littérature argentine, dans tous les genres : Borges, Cortázar, Bioy Casares, Denevi… Seul Puig, peut-être, a été capable de sortir de cette trame… »

 

            « … La seule limite [du genre], c’est qu’il ne permet pas le développement des personnages. Pour le reste, un cosmos de quinze lignes peut tout contenir. Bien entendu, il vaut mieux que les meubles soient petits. Par ailleurs, le conte très bref exige une écriture impeccable. A cette taille, la plus petite erreur acquiert des proportions gigantesques. Mais cela ne constitue pas une limitation, au contraire, c’est un avantage pour le lecteur. Pour l’écrivain, c’est un grand plaisir qui l’attend : la possibilité de partir de la matière brute et d’arriver à la sculpture parfaite d’un seul coup. Dans la production du genre, il y a des instants d’extase et de révélation, comme dans la poésie… »

 

            « … Je ne connais pas beaucoup la théorie du conte, mais je sais qu’il y en a plusieurs, contradictoires, et que de nouveaux contes fondent de nouvelles théories. Ce que j’attends du conte très bref, c’est qu’il soit aussi insaisissable et glissant qu’un poisson ou que n’importe quel bon texte littéraire… »

 

***

 

            Insaisissables, ces micro-récits le sont certainement pour la critique ; le lecteur peut par contre s’en emparer, les laisser puis les reprendre sans en épuiser complètement les multiples significations. Les notes de traduction ne lui faciliteront pas la tâche (ne lui gâcheront pas le plaisir, plutôt) : très rares, elles visent simplement à mettre le lecteur francophone au niveau du lecteur argentin (qui lit peut-être en ce moment les poèmes d’Alfonsina Storni ou un recueil de nouvelles de Borges à l’ombre d’un casuarina).


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