Expectative (L')
Damiàn Tabarovsky
Maison d'édition : Christian Bourgois
© Copyright
On n'en finira pas de gloser sur l'étonnante vitalité de la littérature argentine. En témoigne l'apparition d'une nouvelle génération d'écrivains dont Damian Tabarovsky est, avec Marcello Figueras et quelques autres, un des plus brillants représentants. S'ils restent fidèles aux leçons de leurs aînés, ces jeunes hussards se sont largement affranchis de leur tutelle immédiate, en ayant toutefois hérité d'un même scepticisme à l'égard des académismes narratifs, un même goût de la déconstruction romanesque. Hétérodoxie de principe à laquelle ils n'hésitent pas à donner parfois une tournure politique. Ainsi dans Literatura de Izquierda, un essai non encore paru en français, Tabarovsky revendique–t–il le caractère progressiste de la « digression » qui incarne à ses yeux le refus de hiérarchies qui régissent l'ordre traditionnel du récit. Affirmation qui n'a certes pas le privilège de la nouveauté depuis Sterne, Joyce ou Burroughs (et qu'un Bolaño ou un Fresán pourraient aussi bien reprendre à leur compte), mais que Tabarovsky a le mérite de mettre en oeuvre d'une manière bien singulière. Dans Bingo, cet affranchissement est vécu par procuration, sous un mode dysphorique à travers la figure d'une jeune femme, Teresa, qui vient d'être quittée par son mari. Ne nous y trompons pas : le sol qui s'effondre sous ses pieds est d'abord celui du récit lui–même, privé des repères familiers qui orientent son parcours. Ce que Tabarovsky semble mettre en cause c'est le telos même du projet romanesque, cette idée qu'il est tout entier tendu vers un dénouement. La notion d'« intrigue » se délite et, à l'image de Teresa qui erre sans but dans la ville, le fil du roman devient une succession de digressions aussi étonnantes qu'inopinées. Dans les Hernies, cette déréliction textuelle s'ancre dans l'histoire immédiate pour dresser en creux le portrait de l'Argentine du président Menem, sorte de compromis néo–péroniste avec les excès du libéralisme. Les protagonistes sont deux jeunes professeurs d'espagnol, Luciano et Mimi, qui donnent des cours à des chefs d'entreprise européens. À travers des ondes neurolinguistiques dissimulées dans une vidéo, ils parviennent à leur envoyer des messages subliminaux afin de leur soutirer assez d'argent pour vivre comme des princes jusqu'à la fin de leurs jours. La portée de leur acte excède toutefois sa finalité mercantile : leur véritable désir est d'abolir à travers la gratuité d'un geste libre, une sorte de « coup de dés » mallarméen, la trame prévisible de leur existence hasardeuse. ...
Par : Emilie Colombani
lire la suite ici
Derniers commentaires
→ plus de commentaires