Je suis l'antre litétraire : les secrets de l'homme-livre
Alberto Manguel, dont l'œuvre est comme une offrande permanente à la littérature, reprend à son usage l'adage de Sartre (et de bien d'autres avant lui) pour qui la bibliothèque était un lieu de conversation privilégié avec ses amis les écrivains morts. Morts en apparence, la bibliothèque résonnant des discussions infinies comme une tour de Babel de l'esprit. Le diariste nous ouvre en chemin son intérieur, sa vie, sa maison, et se regarde par les livres qu'il reprend. Car il s'agit surtout ici de relire, de faire un point sur les étapes d'une vie par le meilleur de soi, c'est-à-dire le meilleur de ce qu'il a lu.
Les relations de Manguel à Borges, Stevenson ou Kipling nous sont connues par ses précédents ouvrages. Par ce journal qui couvre une année « scolaire », il choisit de relire pour nous les œuvres les plus importantes de sa vie. Et, par le fait, sa propre vie.
Un livre par mois, un mois par livre
Chaque mois s'ouvre par un nouveau livre. Sont convoqués Goethe ausi bien que Cervantès, Chateaubriand ou Buzzati, Atwood ou Wells, les grands classiques et une nuée d'autres encore. Et si les lectures latérales sont nombreuses et polymorphes, Alberto ne se détourne jamais de son ouvrage de chevet, que les autres viennent pour ainsi dire nourrir. Tout comme l'actualité internationale (en temps de seconde Guerre d'Irak) pour ce Canadien né Argentin et vivant en France quand il ne fait pas le tour du monde de conférence en service après-vente pour ses ouvrages. Le tout formant comme ce miroir stendhalien promené au bord du chemin, Alberto Manguel trouve dans chacun des ouvrages qu'il cite, et il en est pléthore, la nourriture de son existence quotidienne. Sans artifice, le passage de l'un à l'autre monde se fait, comme si l'auteur était aussi naturellement un vivant qu'un lisant.
« Ma lecture s'attache à tout ce que je fais, à tous les lieux où je me rends. »
L'installation en France se fait quand enfin, après une traversée du monde, Albeto Manguel peut se sentir chez lui quelque part, chez lui n'est pas un lieu imaginaire, c'est une vieille maison adossée à une vieille église. C'est la découverte du jardin en climat modéré, des petites histoires de voisinage, de la vie quotidienne et simple qui sans distraire aère le lecteur et le renvoie bien disposé à ses travaux, souvent de commande. Il n'y est pas assez souvent à son goût, chez lui, mais quand il y revient c'est toujours pour s'y retrouver. Et l'installation nouvelle lui permet, immense joie incompréhensible aux profanes, de ressortir ses livres, de les organiser, de les trier même et de contempler dans des caisses puis des rangées ce qui a été le sel de notre vie.
Pourtant il y a chez ce lecteur universel une simplicité naturelle qui rend accessible les lectures les plus ardues, et qui sait pointer par la citation juste les forces d'un texte. Et ses retours affectifs sur les principaux textes de sa vie sont une invite à fouiller par soi même ces textes, non pas pour vérifier, mais pour s'y essayer, emportés par l'engouement sincère de l'auteur qui, par le fait, écrit pour lui-même.
« Je pourrais composer mon journal intime exclusivement à partir de fragments d'autres journaux intimes. Ce ne serait là que le reflet de mon habitude de parler par citations. »
L'immense culture de Manguel se déploie sans ornement, sans ostentation, pour le simple complément de texte et comme éclairage sur le monde. La lecture a ceci, en effet, de nourrissant, qu'elle instruit sur l'humaine nature. Chaque « ouvrage du mois » apporte une réponse au monde alentour, devenu fou. Et les livres, accumulés en un temple de sérénité et d'amour spirituelle, recompose une plus belle vie. Le livre, finalement, proustien, seule réalité.
Loïc Di Stefano
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