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à propos de "Journal d'un lecteur"

Par larouge • Manguel Alberto • Dimanche 05/07/2009 • 0 commentaires  • Lu 524 fois • Version imprimable

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Le Temps
Un an de la vie d’un grand lecteur
L’Argentin Alberto Manguel, qui vit désormais en France, a relu certains des livres de sa bibliothèque. Et propose aussi une biographie du très discret Kipling.
Isabelle Martin, Samedi 30 Octobre 2004
Né en 1948, l’Argentin Alberto Manguel, qui a vécu en Italie, en Angleterre, à Tahiti et au Canada, est installé depuis 2001 en France, dans un petit village proche de Châtellerault, où la grange de sa maison accueille désormais sa vaste bibliothèque. Déballant et rangeant ses livres, il a entrepris d’en relire certains durant un an, avec le projet d’écrire «quelque chose qui tiendrait à la fois du carnet intime et du recueil de citations». Tel un commis voyageur, l’écrivain s’est beaucoup déplacé durant cette année, ce qui garantit à cet essai d’un genre particulier (qui fait suite à sa monumentale Histoire de la lecture, parue en 1998 chez le même éditeur) une ouverture sur le monde confirmée par l’éclectisme de ses goûts littéraires. Si deux Latinos ouvrent et ferment le ban (Bioy Casares pour L’Invention de Morel et Machado de Assis pour Mémoires posthumes de Braz Cubas), on croise aussi dans ces pages Wells et Kipling, Chateaubriand et Goethe, le père de Don Quichotte et celui de Sherlock Holmes… Parce que la lecture est d’abord pour lui une conversation, Manguel revient aux livres «afin de trouver des mots pour ce que nous savons déjà»: ainsi, à la date anniversaire du 11 septembre 2002, relit-il dans Les Mémoires d’outre-tombe la condamnation sans appel du terrorisme; et juge-t-il accordé à notre temps de fragmentation les 164 listes des Notes de chevet écrites au Xe siècle par la Japonaise Sei Shônagon – il en propose d’ailleurs un certain nombre lui-même: ses villes favorites (Venise en tête), ses romans policiers préférés (surtout anglais et américains), les objets qui lui ont été offerts dans la pièce où il écrit, etc. Cet immense lecteur, qui n’aime pas qu’on lui résume un livre, regrette le temps béni de l’innocence, quand il ignorait que le docteur Jekyll et Mr Hyde étaient une même personne. Ce qui ne l’empêche pas de relire une nouvelle fois avec délices Kim, qui est pour lui synonyme de ce qu’on appelle au Québec l’«heureuseté». Il consacre parallèlement à Kipling une courte biographie littéraire, que ce dernier aurait sans doute appréciée malgré sa détestation pour ce genre de «cannibalisme supérieur»: c’est un portrait plein d’empathie de l’auteur à succès des Livres de la jungle et des Histoires comme ça, qui fut aussi un père durement éprouvé par la mort de sa fille aînée et de son jeune fils tué sur le front en 1915, le premier Nobel de littérature anglais et le chantre de l’Empire britannique, qu’il mit cependant en garde contre l’autosatisfaction dans son célèbre poème «Recessional», publié dans le Times pour le jubilé de la reine Victoria. Contrairement à cet essai qui se lit d’un trait, le Journal d’un lecteur demande à être dégusté avec lenteur, telle citation ou telle remarque suscitant la réflexion et parfois le sourire, quand Manguel rapporte par exemple une querelle de clocher sur la sonnerie des cloches dans son village: «Monsieur, déclare un ex-gendarme très raide, si nous perdons l’angélus, nous perdons la France!» Chacun des douze ouvrages relus apporte son lot de remarques en relation avec le genre auquel il appartient, avec l’actualité du moment ou les occupations de l’écrivain: ainsi le conflit entre l’idéal et la réalité dans Don Quichotte est-il l’occasion de glisser une anecdote sur l’humiliation professionnelle qu’il éprouve à téléphoner à la rédaction d’un magazine, afin d’obtenir un paiement en retard, pour s’entendre demander après des excuses: «Vous avez vraiment un tel besoin de cent livres?» Et il cite dans la foulée Dorothy Parker, qui disait que les deux mots les plus plaisants de la langue anglaise étaient: cheque inclosed.
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